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Politiques monétaires dans les pays émergents : les baisses de taux, c’est pour bientôt

A peine entré en fonction en janvier dernier, le président brésilien Lula s’est plaint du niveau élevé du taux d’intérêt directeur de la banque centrale (BCB). Il l’a qualifié «d’embarrassant» et déclaré qu’il n’y avait «aucune raison» de le maintenir aussi élevé. Lula n’avait pourtant pas eu l’habitude de faire pression sur la BCB lors de ses deux premiers mandats dans les années 2000. Une mesure qui avait alors contribué à la crédibilité grandissante de la politique de ciblage d’inflation de la banque centrale.
Qu’est-ce qui l’a fait changer d’avis vingt plus tard ? D’après lui, la cible d’inflation n’est pas appropriée aujourd’hui : un objectif de 3% est trop contraignant pour un marché émergent tel que le Brésil et devrait plutôt être de 4,5%, un niveau proche de celui en vigueur lors de ses deux mandats précédents. Il estime aussi que la «fourchette» autour de cette cible, c’est-à-dire la marge de tolérance dont dispose la BCB pour ne pas atteindre son objectif, devrait également être plus élevée.
La BCB fait figure de bonne élève parmi les banques centrales des pays émergents : en mars 2021, elle avait été l’une des premières dans le monde à commencer à durcir sa politique monétaire en réaction aux pressions haussières sur les prix. Beaucoup d’observateurs comme Lula s’attendaient donc à ce qu’elle soit aussi parmi les premières à réduire son taux d’intérêt directeur. Cette attente semble d’autant plus légitime que l’inflation a déjà beaucoup baissé au Brésil (inférieure à 4% en mai après un pic à 9,7% en juin 2022). Le taux d’intérêt directeur ajusté de l’inflation anticipée atteint donc presque 10%. Dit autrement, le coût de l’emprunt est très élevé. C’est à la fois un problème pour les ménages, dont la dette est en hausse, pour les entreprises, dont le nombre de défaillances augmente, et pour l’Etat, dont l’endettement dépasse 70% du PIB.
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Si le Brésil est un cas extrême, l’inflation a désormais commencé à ralentir dans la plupart des économies émergentes. Parmi les plus grandes, seuls l’Argentine et le Nigeria font figure d’exception. Plusieurs causes de la hausse de l’inflation en 2022 contribuent désormais à la désinflation : les chaînes mondiales d’approvisionnement ont retrouvé un fonctionnement normal, les cours mondiaux du pétrole sont en recul de plus de 35% depuis leur pic de juin 2022 et les prix alimentaires mondiaux sont désormais au plus bas depuis deux ans (même si certains comme celui du sucre restent en hausse). Mais, en dehors d’économies d’Asie et du Moyen-Orient ayant déjà retrouvé un niveau d’inflation «normal», le rythme de progression des prix à la consommation reste dans la grande majorité des pays plus élevé que la cible de la banque centrale et que la moyenne de la dernière décennie.
Infléchissement entamé
La plupart des banques centrales ont donc cessé d’augmenter leur taux d’intérêt directeur (sauf en Thaïlande, en Malaisie, dans les pays des zones francs de l’UEMOA en Afrique de l’Ouest et CEMAC en Afrique centrale, en Colombie et au Nigeria). Mais elles n’ont généralement pas encore entamé un cycle d’assouplissement (hormis en Hongrie ou encore au Vietnam). Les décisions de statu quo monétaire ont été prises à la fois dans des pays où l’inflation ralentit nettement, comme en Inde ou au Brésil donc, et dans d’autres où elle reste très supérieure à la cible, comme en République tchèque, en Pologne (en lien avec des pénuries de main d’œuvre chroniques) et au Chili.
Dans ce contexte, parmi les pays dont les banques centrales privilégient le statu quo à ce stade, le consensus de marché anticipait jusqu’au début du mois de juin que cette situation allait perdurer au cours des trois prochains mois au moins. Mais, la décision de la Réserve fédérale américaine de ne pas augmenter son principal taux directeur pour la première fois depuis 15 mois semble avoir favorisé des anticipations de baisses de taux plus nombreuses dans le monde émergent.
Dans les trois prochains mois, des assouplissements monétaires sont désormais attendus au Chili, au Brésil, en République tchèque et en Pologne. Et d’ici à un an, ces pays seraient rejoints par la Colombie, le Mexique ou encore l’Inde. En revanche, plusieurs banques centrales d’économies plus fragiles, comme celles d’Afrique du Sud, de Russie et de Turquie n’auraient pas cette chance et devraient toujours être contraintes de durcir davantage les conditions de financement pour les emprunteurs locaux dans les mois à venir.
Les raisons de cette incapacité persistante de plusieurs banques centrales émergentes de mener des politiques contracycliques sont diverses : inflation excessive, insuffisance des réserves de changes et/ou manque de crédibilité de la politique monétaire. Le Brésil n’est donc pas si mal loti.
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