
«Non, un dossier sur deux n’est pas refusé à cause du taux d’usure»

Il y a ceux qui crient et ceux qui chiffrent.
Ce mardi 20 septembre, les courtiers se sont retrouvés face à un choix: répondre ou non à l’appel de l’Union des intermédiaires en créditde manifester sous les fenêtres du gouverneur de la Banque de France. Les faits reprochés? Sa décision de ne pas modifier la méthode de calcul du taux d’usure et de ne pas accorder de coup de pouce au taux publié dans quelques jours.
D’office, certains courtiers ont prévenu qu’ils ne rejoindraient pas les rangs de l’UIC. C’est le cas par exemple de Meilleurtaux. «Je comprends la colère qui anime certains courtiers sur le terrain mais je pense que cette manifestation va stigmatiser encore plus notre profession et donner du grain à moudre à ceux qui disent depuis des mois «qu’il n’y a pas de problème d’usure, il y a un problème courtiers»», a écrit sa porte-parole Maël Bernier sur LinkedIn.
D’autres, comme Pierre Chapon, le co-fondateur du courtier en ligne Pretto, prennent carrément leur distance avec les chiffres avancés par la profession depuis l’été. Fin juillet, Opinion System a présenté une étude sur les refus de crédits menée pour le compte de six associations (1). L’étude a fait son effet et a été reprise allègrement…mais entre battage médiatique et préoccupations sincères, l’incompréhension fut majeure. Partout on a pu lire que 50 % des dossiers de crédit étaient refusés à cause de l’usure. Pourtant, ce que dit réellement le sondage d’Opinion System, c’est que 45% de ses 1.471 répondants indiquent que deux à trois dossiers sur dix sont refusés et que le taux d’usure en est la principale raison pour 35,86% d’entre eux. 55% des courtiers interrogés indiquent donc d’autres proportions (4 à 5 dossiers sur 10 pour 27% d’entre eux, plus de 5 pour 13% et 1 dossiers sur 10 pour 15%).
Source : Sondage marché IOBSP inter associations sur les motifs des refus de crédits, juillet 2022
Une mauvaise interprétation reprise largement par certains courtiers, au point d’hérisser le gouverneur de la Banque de France, qui a jugé le chiffre de 45% «très peu crédible». Il est rejoint sur ce point par certains courtiers qui, sans nier le problème de blocage du taux d’usure, contestent la proportion largement défendue par la profession.C’est le cas donc de Pierre Chapon, qui défend sa position.
Pourquoi contestez-vous le chiffre de 45% des dossiers refusés par le taux d’usure?
Car il est faux! Non, 1 dossier sur 2 n’est pas refusé à cause du taux d’usure. L’étude d’Opinion System publiée cet été et dont provient ce chiffre, ne dit pas ça. Ce que nous apprend le sondage, c’est que 40% des courtiers répondants disent observer un taux de refus d’au moins 40%, principalement à cause de l’usure. Mais il y a toute une distribution à prendre en compte et on sait que tous les sondages comportent des biais.
En revanche, le marché est tellement divers qu’il est possible que certains segments soient plus bloqués que d’autres. C’est notamment le cas des primo-accédants qui sont les plus pénalisés par la problématique du taux d’usure. Le taux de 45 % est sans doute vrai pour certains courtiers qui travaillent dans des régions où le revenu moyen par habitant est faible. Mais ce n’est pas une moyenne du secteur au niveau national.
A quelle proportion estimez-vous alors le taux de refus à cause de l’usure?
Nous avons repris les 4,500 dossiers pour lesquels nous avions obtenu un accord en 2021, et leur avons appliqué les critères de juin 2022. Avec cette méthodologie nous avons évalué le taux de refus à 18%, dont 5% pour taux d’usure et 13% pour taux d’endettement supérieur à 35%. Les taux continuant à augmenter depuis sans augmentation majeure du taux d’usure, nous avons réévalué ce taux de refus à 30% en septembre, dont 11% pour taux d’usure. Nous sommes donc loin des 1 dossier sur 2 !
Le gouverneur de la Banque de France a-t-il donc raison de dire que l’usure ne bloque pas le marché immobilier?
La Banque de France ne dit pas des choses fausses, mais ses chiffres sont en retard. Le marché n’est pas bloqué dans son ensemble, car l’éviction liée au taux d’usure pèse 11%, mais certains profils se trouvent particulièrement impacté, en particulier les ménages modestes : il y a donc un réel problème d’équité, même si le marché continue de tourner dans son ensemble. La problématique du taux d’usure a également amplifié le ralentissement de la production de crédit que l’on observe traditionnellement aux mois de juillet et août. Cet été, certaines banques ont totalement arrêté d’accorder des crédits immobiliers, ce qui a créé un report vers celles qui en produisaient encore et qui se sont donc trouvées débordées.
La situation connue cet été s’améliore progressivement depuis la rentrée, mais nous pensons que le problème lié au taux d’usure va perdurer car les taux continuent d’augmenter.
Le gouverneur de la Banque de France a fermé la porte à toute modification de la méthodologie de calcul vendredi dernier. Comment avez-vous pris la nouvelle?
Cette nouvelle n’est pas une surprise. Nous sommes depuis plusieurs mois dans une phase de hausse des taux, le taux d’usure augmente donc chaque trimestre sans évolution de la méthodologie, ce qui stabilise l’éviction à son niveau actuel, mais ne la résout pas
Nous sommes convaincus de la prise de conscience des pouvoirs publics, notamment de Bercy, concernant es biais de la méthodologie de calcul actuelle, et avons confiance dans la volonté à moyen terme de proposer des évolutions
Estimez-vous que vos confrères ont raison de manifester aujourd’hui ou que la réaction est disproportionnée?
Nous comprenons les craintes de la profession, notamment de certains courtiers présents sur des zones particulièrement touchées par l’éviction actuelle. Cependant, nous sommes convaincus que ce dont le débat a besoin est une analyse factuelle de la situation, dépassionnée, c’est notre rôle de conseil d’accompagner les emprunteurs et de trouver les meilleures solutions avec eux plutôt que de les décourager en grossissant les difficultés.
A quoi vous attendez-vous pour le prochain taux d’usure?
On s’attend à une augmentation comprise entre 0,2 et 0,4 points. Les pouvoirs publics nous semblent avoir compris le problème mais le phénomène d’éviction devrait continuer au quatrième trimestre.
Les Français peuvent-ils encore emprunter?
Oui, les acheteurs qui savent bien s’entourer peuvent encore emprunter à bon taux. C’est justement le moment de négocier les prix. Il faut remettre un peu de proportion dans l’analyse du marché: la majorité des Français peuvent encore emprunter à taux fixes en faisant bien jouer la concurrence. Ceux dont les dossiers sont bloqués peuvent se tourner vers les taux variables, notamment les solutions hybrides.
(1) Sondage marché IOBSP inter associations sur les motifs des refus de crédits, juillet 2022. Menée pour le compte de la CNCEF Crédit, l’AFIB, l’Anacofi, l’Apic, la CNCGP et la Compagnie IOBSP
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