
La valse-hésitation du pénal et du fiscal

En droit, il arrive que l’application stricte de certains principes engendre des situations surprenantes, voire incohérentes, pour le profane. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 31 mai 2017 , mettant en scène le principe d’indépendance des procédures fiscale et pénale, en est une parfaite illustration.
En vertu de ce principe, destiné à assurer une certaine étanchéité entre les ordres de juridictions, le juge fiscal de l’impôt et le juge pénal sont par principe tenus d’exercer leur office en totale indépendance et sans s’influencer dans le cadre de procédures distinctes visant des faits identiques. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation fondée sur ce principe, la décision administrative statuant sur l’impôt n’a pas, au pénal, l’autorité de la chose jugée et le juge pénal ne doit pas surseoir à statuer jusqu’à la décision administrative .
Or, cette position a pour effet de permettre qu’un contribuable se retrouve dans la situation – absurde mais non moins rare – dans laquelle, déchargé de toute imposition par le juge de l’impôt, il est néanmoins condamné pour fraude fiscale par un juge pénal.
Par une décision du 24 juin 2016 , le Conseil constitutionnel semblait avoir mis fin à cette possibilité. Les sages de la rue Montpensier avaient en effet considéré que le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait « permettre qu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale ».
Or, pour des raisons de procédure, la Cour de cassation a néanmoins pris le contrepied de cette décision dans la présente affaire, faisant ainsi trébucher le contribuable sur le volet pénal.
La caractérisation d’un établissement stable en France. Au cas particulier, était en cause une société britannique ayant son siège social à Londres et exerçant une activité de commercialisation de produits diététiques à destination du marché français.
Il ressort de l’arrêt que dans cette affaire, la société britannique ne disposait d’aucun local d’exploitation ni d’aucun moyen humain et matériel au Royaume-Uni. Elle réalisait également son chiffre d’affaires intégralement hors de ce pays. L’administration avait en outre relevé d’importants liens avec la France : la société britannique disposait d’une adresse postale chez une société française qui enregistrait les commandes, ses clients résidaient principalement en France, les règlements étaient versés sur des comptes bancaires français et les fournisseurs étaient basés en France.
L’administration fiscale avait ainsi conclu à l’existence d’une présence taxable en France, caractérisée par l’existence en France d’un établissement stable de la société britannique. C’est dans ce contexte que l’administration fiscale a déposé plainte auprès du Procureur de la République pour fraude fiscale – en raison du défaut de déclaration de résultats soumis à l’impôt sur les sociétés et omission de passation d’écritures comptables obligatoires - notamment à l’encontre du gérant de fait de la société étrangère.
Les procédures fiscale et pénale ont donc été menées en parallèle.
S’agissant de la procédure fiscale, l’administration fiscale considérait qu’en sa qualité de « maître de l’affaire », le gérant de fait devait être imposé à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre des revenus réputés distribués réalisés par la société étrangère. Or, par un arrêt définitif de la Cour administrative de Paris en date du 2 octobre 2013 , le juge de l’impôt avait conclu à l’absence d’existence en France d’un établissement stable et avait donc déchargé le gérant de fait de l’ensemble des impositions mises à sa charge par l’administration fiscale.
Devant le juge pénal, le prévenu tentait d’opposer l’existence d’une décision juridictionnelle administrative devenue définitive pour faire échec à sa condamnation pénale.
L’application du principe d’indépendance des procédures. A l’occasion de l’examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité particulièrement médiatisées , le Conseil constitutionnel s’est prononcé par la voie d’une réserve d’interprétation sur la situation selon laquelle un contribuable peut être déchargé de toute imposition par le juge de l’impôt et néanmoins condamné pour fraude fiscale. Pour rappel, dans ces deux affaires, la critique portait sur le cumul de sanctions fiscale et pénale en cas de poursuites parallèles devant le juge de l’impôt et le juge pénal, les requérants se fondant sur la règle de non cumul des peines, dite communément « non bis in idem ».
Le Conseil constitutionnel a finalement validé le cumul des sanctions fiscale et pénale, sous la réserve toutefois que n’est pas possible la condamnation d’un contribuable pour fraude fiscale s’il ressort d’une décision de justice devenue définitive que l’impôt n’était pas dû.
Pour autant, dans le présent arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que cette réserve d’interprétation ne s’appliquait pas à la fraude fiscale par omission déclarative.
Pour rappel, le délit de fraude fiscale de l’article 1741 du code général des impôts peut prendre de multiples formes. Il est caractérisé dès lors que le contribuable s’est soustrait à un impôt soit en omettant une déclaration fiscale dans les délais prescrits, soit en dissimulant une part des sommes sujettes à l’impôt, soit en organisant son insolvabilité ou en s’opposant au recouvrement de d’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse.
Les affaires à l’occasion desquelles le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation impliquaient un cas de fraude par dissimulation volontaire. Dès lors, la Cour de cassation, qui avait à connaître d’un cas de fraude fiscale par omission d’écritures en comptabilité, a fait une application stricte de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel et a écarté son application. Le contribuable, déchargé de toutes les impositions réclamées par l’administration fiscale, pouvait donc valablement être sanctionné pour fraude fiscale par le juge pénal.
Une évolution attendue. Si le juriste conçoit l’application stricte de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel que fait la Cour de cassation, un profane pourrait être choqué par la situation qui en résulte. Il ressort en effet de la décision du Conseil constitutionnel qu’il s’est prononcé uniquement sur l’hypothèse qui lui était soumise . Ceci étant dit, il semblerait logique que sa position soit identique pour ce qui est des cas de fraude fiscale autres que la dissimulation volontaire. Sans doute sera-t-il amené à se prononcer prochainement sur les autres matérialisations de fraude fiscale.
(1) Cass., crim. 31 mai 2017, n° 15-82.159
(2) Notamment Cass., crim. 13 juin 2012, n° 11-84092
(3) Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016
(4) CAA Paris, 2e ch., 2 oct. 2013, n° 12PA01844
(5) Décisions QPC du 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC - affaire WILDENSTEIN et n° 2016-546 QPC - affaire CAHUZAC
(6) Voir décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 au point 5
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