
La possibilité d’agir groupé : une étape vers une meilleure protection des consommateurs

Après de multiples allers-retours entre les chambres, saisine de la commission mixte paritaire et un passage devant le Conseil constitutionnel, «l’action de groupe à la française» a enfin fait son entrée dans le droit positif[1]! Texte de compromis, le législateur a privilégié un système d’ «opt-in» (participation volontaire des consommateurs), un droit d’agir réservé à certaines associations[2] et un champ d’application excluant de ce stade certains domaines, comme la santé et l’environnement.
Cette procédure est organisée en trois phases :
-Un jugement sur la responsabilité du professionnel
A la différence d’autres systèmes étrangers qui prévoient une phase préalable portant sur la recevabilité de l’action, le juge français devra statuer en même temps sur les conditions de recevabilité et, si celles-ci sont remplies, sur la responsabilité du professionnel. Dès cette première phase, le juge sera en mesure de condamner le professionnel au paiement d’une provision à valoir sur les frais exposés par l’association et/ou à ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d’une partie des sommes.
-Des mesures de publicité afin d’informer les consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe
A l’exception de celles pouvant être ordonnées dans le cadre d’une action de groupe concernant le domaine de la concurrence, ces mesures de publicité ne pourront être mises en œuvre que lorsque la décision sur la responsabilité du professionnel ne sera plus susceptible de recours.
-L’indemnisation des consommateurs
Les consommateurs devront, en fonction des dispositions du jugement sur la responsabilité, s’adresser soit directement au professionnel soit à l’association requérante ou à toute personne mandatée par celle-ci afin d’obtenir leur indemnisation.
De manière alternative à cette procédure «ordinaire», une procédure simplifiée a également été intégrée pour permettre une solution accélérée dès lors que l’identité et le nombre de consommateurs lésés sont connus et que le préjudice subi est identique. Des mesures d’information individuelle (et non de publicité) doivent alors être réalisées en fonction des consommateurs identifiés.
Enfin, des dispositions spécifiques sont également prévues pour la médiation dans le cadre de l’action de groupe.
* * *
L’introduction de cette action de groupe s’inscrit dans une tendance plus large visant à protéger les consommateurs en leur offrant des solutions rapides en cas de litige.
Cette tendance a notamment été impulsée au niveau européen par la mise en place du Programme Consommateurs 2014-2020 dont l’un des objectifs est de garantir l’effectivité des voies de recours[3].
Le 21 mai 2013, le Parlement et le Conseil européen ont adopté une directive «relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation»[4] ainsi qu’un règlement «relatif au règlement en ligne des litiges de consommation»[5] qui prévoient la mise en place d’organes et de procédures de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation.
Plus récemment, la Commission européenne a publié une recommandation[6] en faveur de la mise en place de recours collectifs au sein des différents Etats membres. Elle y énonce plusieurs principes que chaque système devrait respecter (procédures de recours objectives, équitables et rapides; système d’opt-in; interdiction des dommages et intérêts punitifs, etc.) et invite les Etats membres à s’y conformer sous deux ans.
Cette recommandation complète, en outre, d’autres propositions: un projet de directive régissant les actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence[7] accompagné d’une communication de la Commission ainsi que d’un guide pratique relatifs à la quantification du préjudice[8].
C’est ainsi une approche horizontale des recours collectifs que les initiatives européennes essaient d’insuffler.
* * *
Même si certaines initiatives tendent à renforcer le règlement amiable des différends, d’autres sont propices à une judiciarisation des recours. Les entreprises en relation avec les consommateurs ont donc besoin d’anticiper ces changements!
La mise en œuvre de l’action de groupe en France, dans l’état actuel des textes, pose encore des problèmes d’interprétation et d’application.
Certaines notions clefs, si elles n’étaient pas précisées dans les décrets à paraître annoncés pour cet été, devraient être laissées à la libre appréciation des tribunaux, ce qui pourrait soulever des problématiques d’harmonisation au niveau national, hypothèse renforcée par le fait que tous les tribunaux de grande instance seront compétents pour connaître de ce type d’action.
A titre d’exemples:
-La procédure de l’action de groupe vise les préjudices individuels subis par des consommateurs placés «dans une situation similaire ou identique» mais que signifie cette expression? Est-il fait référence au préjudice subi ou au dommage causé?
-Les préjudices subis par les consommateurs devront provenir de manquements des professionnels «à leurs obligations légales ou contractuelles», la plus grande liberté d’appréciation serait ici laissée au juge, par exemple, pour qualifier une clause contractuelle d’abusive.
-Enfin, comment l’action de groupe doit-elle être introduite? Peut-il y avoir deux procédures introduites devant deux juridictions distinctes pour des mêmes faits? Ces actions suivront-elles le régime classique de la mise en état devant les tribunaux de grande instance? L’ensemble des modalités pratiques de la procédure restent floues.
Au-delà, l’action de groupe présente des risques pour toutes les sociétés dès lors que le client final est un consommateur[9] puisqu’elle peut être engagée en raison de manquements «à l’occasion» de la vente de biens ou de la fourniture de services. Ce terme n’exigerait donc pas une relation contractuelle directe avec le professionnel mis en cause, analyse qui semble confirmer par le fait que plusieurs professionnels puissent être poursuivis. Les risques financiers ou d’atteinte à la notoriété sont d’évidence importants. C’est donc l’ensemble de leur relation avec les consommateurs que les professionnels devront repenser afin d’écarter une mise en jeu de leur responsabilité.
L’expérience des litiges sériels montre que la stratégie de défense judiciaire doit être définie en tenant compte non seulement des enjeux juridiques, factuels et probatoires du litige, mais également de l’ensemble de ses implications financières, organisationnelles ou en terme d’image.
Or, dans le cadre de la nouvelle action de groupe, les modes alternatifs de règlement, qui sont une des options stratégiques possibles, comme la médiation spécifiquement visée par le texte, sont initiés dès la première phase, c’est-à-dire au stade du jugement sur la responsabilité, et ce alors que l’amplitude du succès possible de la phase d’opt-in n’est pas encore connue.
Cette nécessaire anticipation par les entreprises est d’autant plus importante que le texte actuel, à peine voté, est appelé à des évolutions prochaines. En effet, l’application de l’action de groupe fera l’objet d’un rapport du gouvernement fin 2016 afin d’évaluer les conditions de sa mise en œuvre et de proposer les adaptations jugées nécessaires.
Ces évolutions pourraient concerner tout d’abord le champ d’application de ce texte puisqu’au niveau national, l’élargissement à l’environnement et à la santé fait débat, une proposition de loi ayant été déposée en ce sens[10].
Au niveau européen, la volonté d’aboutir à des procédures harmonisées ou, à tout le moins, conformes aux principes posés dans la recommandation publiée en juin 2013 pourrait conduire à des évolutions des textes nationaux. Il est d’ailleurs possible que les dispositions françaises soient considérées non-conformes à la recommandation européenne sur les recours collectifs puisque seules des associations nationales sont recevables à agir, ce qui ferme la porte aux associations de consommateurs européens…
[1] Les modalités de l’action de groupe ont été insérées aux articles L.423-1 et s. du code de la consommation par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
[2] L’action de groupe ne pourra être engagée que par une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L.411-1 du code de la consommation.
[3] Communication de la Commission européenne du 22 mai 2012 relative à l’agenda du consommateur européen – favoriser la confiance et la croissance (COM(2012)225)
[4] Directive 2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation
[5] Règlement 524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation
[6] Recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les Etats membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union (2013/396/UE)
[7] Le Parlement européen a approuvé ce projet de directive le 17 avril 2014. Ce texte a été adressé au Conseil pour son approbation finale
[8] Communication de la commission (2013/C 167/07) et guide pratique relatifs à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du TFUE
[9] Le consommateur est désormais défini à l’article préliminaire du Code de la consommation comme «toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale»
[10] Proposition de loi visant à instaurer une action de groupe étendue aux questions environnementales et de santé, n°1692, déposée le 14 janvier 2014. Par ailleurs, la Ministre de la santé a annoncé l’instauration du principe de l’action de groupe dans la prochaine loi de santé publique dont le projet devrait être présenté en Conseil des ministres au mois de septembre 2014.
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