
Emmanuel Ferry : itinéraire d’un allocataire

« De toutes les villes du monde, de toutes les patries intimes qu’un homme cherche à mériter au cours de ses voyages, Genève me semble la plus propice au bonheur. » Cet hommage à la cité romande est signé de l’écrivain et poète argentin Jorge Luis Borges. Genève fait aussi le bonheur d’Emmanuel Ferry, directeur des investissements de Banque Pâris Bertrand qu’il a rejoint en 2009 après avoir effectué la majeure partie de sa carrière côté recherche en France. Elever ses enfants en Suisse est extrêmement agréable, dit Emmanuel Ferry, père de deux filles avec qui il aime passer du temps. « La vie à Genève est rythmée par les saisons. Genève est un hub à partir duquel il est aisé de voyager partout en Europe. La région de Lavaux demeure l’endroit le plus beau du monde avec ses vignobles en terrasses, la montagne et la vue sur le Léman. Aucun autre lieu au monde ne réunit ces trois caractéristiques, » plaide-t-il. C’est une toute autre vue que lui a offert la direction générale du Trésor français, rattaché aux Finances, lors de sa première expérience professionnelle en 1993. Une vue macro qui a forgé la suite de la carrière de ce bourguignon d’origine. « Je suis arrivé là un peu par hasard, j’y suis resté deux ans en tant qu’économiste. L’expérience était extrêmement formatrice, ma spécialisation régionale portait sur l’Europe centrale au moment où un rapprochement s’opérait entre l’Union Européenne et les pays de l’Europe centrale qui se cherchaient une indépendance, » explique-t-il. Sa carrière d’économiste se poursuit au CCF, devenu ensuite HSBC, avant qu’il ne rejoigne BNP en 1998, où il participe à la création d’une équipe de recherche macro pan-européenne, « ce qui était une nouveauté car la recherche s’effectuait avant pays par pays. » « On allait « vendre » l’euro comme monnaie de placement et d’investissement auprès des banques centrales et fonds souverains, notamment en Amérique Latine et en Asie. L’euro faisait du sens et représentait une alternative face au dollar, les monnaies européennes étaient sous-représentées dans les réserves et il n’y avait pas encore de réelle union politique. Vingt ans après, rien n’a changé, » raconte Emmanuel Ferry. 2007, le tournant De 2000 à 2007, il se retrouve aux côtés de Jean-Pierre Petit au sein de l’équipe de recherche économique actions d’Exane. S’ensuit un tournant qui va le faire alors passer dans le camp du buy-side. « C’est un mouvement qui n’est pas facile à effectuer surtout en France où les carrières sont souvent des silos. J’ai donc quitté la France pour m’installer à Genève et rejoindre un hedge fund global macro, » dit-il. « Les prémices de la crise financière se faisaient sentir et ce hedge fund a été l’endroit parfait pour apprendre la gestion et dérouler le scénario du renversement du crédit. J’étais aux avant-postes de cette crise, qui s’apparentait à un train déraillant au ralenti. Elle a débuté en janvier 2007 et s’est terminée début 2009. Le hedge fund a gagné de l’argent mais j’avais du mal à comprendre que nos investisseurs étaient des banques alors même que nous shortions les financières, » ajoute Emmanuel Ferry. La leçon qu’en a tiré le président de l’ISAG, l’association des stratégistes d’investissements de Genève, est qu’il faut se poser trois questions lorsqu’on est une organisation financière. Quel est le business model ? Quelle est la qualité du management ? Quelle est la qualité de l’actionnariat ? S’il reconnaît qu’un hedge fund demeure « sans doute un modèle discutable car pressé par des objectifs court-termistes, le management n’existe pas et l’actionnariat n’est pas le point fort », il en loue la discipline quasi-militaire en matière d’investissements avec une latitude d’investissement élevée, une communication efficiente et un bon accès à l’information. « La force de la Suisse réside dans son approche de la gestion de fortune et de l’allocation d’actifs. » « Au sein de la banque Pâris Bertrand, nous sommes partis d’une feuille blanche avec un plan précis. En matière d’investissement, mon ambition était d’incorporer les pratiques des gérants alternatifs dans l’univers de la gestion de fortune. La banque privée est un modèle très pertinent avec un management de qualité et un actionnariat plutôt stable. Je travaille au sein d’une équipe polyvalente, expérimentée et stable avec laquelle il est possible de développer des stratégies extrêmement sophistiquées, » explique Emmanuel Ferry, pour qui la force de la Suisse réside dans son approche de la gestion de fortune et de l’allocation d’actifs, une vision globale top down multi-classes d’actifs. L’autre point fort de la confédération helvétique pour le responsable des investissements de Banque Pâris Bertrand reste le processus de décision impliquant à la fois les autorités et la population et qui fait de la Suisse « une miniature de la construction européenne. » Emmanuel Ferry estime que ce modèle de vote et de gouvernance doit inspirer l’Union Européenne. Culture et allocation Le pays jouit aussi d’une réputation flatteuse pour ses vins mais Emmanuel Ferry reste fidèle à ses origines bourguignonnes, leur préférant un Chardonnay ou un Pinot noir tout en soulignant l’excellence des bouteilles suisses. Outre les crus, il cultive une passion pour la lecture, flânant dans les marchés aux puces à la recherche de beaux livres à acquérir depuis l’adolescence. « J’ai la chance d’avoir une très belle bibliothèque. Je ne suis pas forcément boulimique de lecture mais j’ai tendance à lire beaucoup de classiques comme ceux de Victor Hugo ou Saint Simon et d’ouvrages d’histoire, sur l’entre-deux guerres par exemple. Le cinéma des années 1940 à 1970 (Bergman, Godard, etc) me fascine également, » dit-il. Emmanuel Ferry demeure convaincu que les courants artistiques anticipent les grands cycles économiques et financiers. Selon lui, on peut entendre dans l’œuvre de Dostoïevski et d’autres compositeurs russes, les bouleversements qui vont ensuite survenir lors de la révolution russe. « Les musiques des années 70 amorcent l’inflation. Le rappeur américain 50 cent, c’est l’éclatement de la bulle Internet. La musique de la fin des années 60 annonce la fin des Trente Glorieuses. J’ai toujours cherché le lien entre les courants artistiques et les cycles. Pour moi, ce sont des signes avant-coureur d’évolutions structurantes et significatives de la société. Il faut se cultiver au sens large et connaître l’histoire. Celui qui ne la connaît pas est condamné à la revivre,» conclut Emmanuel Ferry.
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