
L’investissement dans une réindustrialisation circulaire pourrait sécuriser les fonds propres des banques

Face aux limites planétaires et à l’épuisement progressif des ressources, nos modèles économiques traditionnels atteignent un point critique. La succession rapide des crises, qu’elles soient géopolitiques, environnementales ou sociales, souligne les vulnérabilités intrinsèques de systèmes fondés sur une production linéaire, l’extraction massive de ressources et l’obsolescence accélérée des produits.
En réponse, plusieurs approches émergent, toutes porteuses d’une ambition similaire : réduire significativement nos empreintes carbone et matières pour assurer la durabilité des systèmes socio-économiques et écologiques. À cet horizon, notre empreinte matières devra être divisée par cinq d’ici 2050. Économie circulaire, économie régénérative, économie contributive, Reuse économie, économie symbiotique, économie servicielle, ou encore Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC). Toutes convergent vers une même nécessité : repenser la création de valeur autour de l’usage, de la robustesse et du réemploi plutôt que de l’achat, de la consommation rapide et du renouvellement systématique. Et toutes permettent aux producteurs de diminuer leur coût de production et de lisser leurs ventes dans le temps et aux consommateurs de libérer du pouvoir d’achat tout en augmentant le champ des choix possibles.
Adaptation des normes comptables
Cependant, ces modèles demeurent sous-financés. L’économie de la fonctionnalité peine à se déployer pleinement faute de financements adaptés à sa nature intrinsèquement portée sur le long terme. La plupart des financements actuels restent de court terme ou insuffisamment dimensionnés pour accompagner une transformation aussi profonde. Or, sans instruments financiers adéquats, ces modèles resteront marginaux et peu compétitifs face aux logiques économiques traditionnelles.
Deux leviers principaux permettraient pourtant d’accélérer ce changement nécessaire. Le premier concerne la réglementation et les normes comptables. Actuellement, l’amortissement comptable des équipements industriels ne permet pas toujours une distinction claire entre composants durables et consommables. Pourtant, de nombreux composants industriels, notamment composés de matières stratégiques telles que les métaux stables, les alliages techniques, les métaux associés aux terres rares, possèdent une durée de vie réelle bien supérieure aux périodes d’amortissement classiques. En adoptant une conception démontable des équipements, un amortissement différencié par composants peut être appliqué, permettant ainsi d’étendre significativement leur durée d’amortissement. Cette simple adaptation technique et réglementaire peut rendre immédiatement ces modèles beaucoup plus attractifs économiquement.
Investir dans la durabilité est une manière pour les banques de renforcer leur propre résilience face aux risques futurs.
Financements hybrides
Le second levier est financier. Pour accompagner ces changements structurels, les banques ont un rôle clé à jouer, disposant naturellement d’un accès privilégié à une épargne stable. En innovant dans les produits bancaires, il serait possible de créer des financements hybrides combinant crédit revolving, prêt infrastructure et crédit d’impact à long terme, adaptés aux besoins spécifiques de ces nouveaux modèles économiques et adossés à des preuves de durabilité de biens financés. Dans cette logique, la directive CRD et les recommandations récentes de la Banque de France encouragent explicitement les établissements financiers à mieux prendre en compte les risques liés à la dégradation du capital naturel. Investir dans la durabilité devient donc aussi une manière pour les banques de renforcer leur propre résilience face aux risques futurs.
Les enjeux de cette transformation sont essentiels, particulièrement pour l’Europe. Ces nouveaux modèles économiques offrent une réponse concrète aux défis de compétitivité, de souveraineté industrielle et de création d’emplois non délocalisables, pleinement en ligne avec les préconisations récentes du rapport Draghi. Ils ouvrent une perspective de relocalisation industrielle, de réduction de nos dépendances stratégiques et de renforcement de la résilience économique territoriale.
De l’obsolescence à la pérennité programmée circulaire
Enfin, cette approche représente également un puissant levier de pouvoir d’achat et de dynamisme économique local. En réduisant structurellement les coûts d’usage des biens, en augmentant significativement leur durée de vie et en favorisant l’emploi local pérenne grâce à l’accroissement des activités de réparation et de remanufacture, ces nouveaux modèles économiques réactivent les écosystèmes territoriaux. Ils génèrent ainsi un cercle vertueux de création d’emplois directs, indirects et induits, stimulant à son tour les commerces et les services locaux, ce qui renforce encore le pouvoir d’achat des ménages.
Il ne s’agit pas ici d’une utopie, mais d’une opportunité concrète et réalisable. Passer de l’obsolescence à une « pérennité programmée circulaire » est désormais non seulement possible mais économiquement et écologiquement indispensable. Reste à réunir les conditions réglementaires et financières nécessaires à cette transition stratégique.
Les Signataires :
● Laurent Babikian, Conseil indépendant et conférencier
● Eléonore Blondeau, Experte Economie Circulaire
● Fabrice Bonnifet, Président du C3D et de GenAct
● Christian Bruere, Co-fondateur de Mob-ion et de DuraMob
● Romain Dekeyser, Directeur Impact pour la Caisse d'épargne des Hauts de France
● Stéphanie Flacher, Experte Banque et Numérique
● François-Michel Lambert, Ancien député, VP d’Aifrec (société savante de recherche en économie circulaire)
● Célia Rennesson, Co-fondatrice et Directrice Générale de Réseau Vrac & Réemploi
● Luc Teerlinck, Fondateur de WePlayCircular, auteur
● Eric Duverger, Fondateur Convention des Entreprises pour le Climat
Plus d'articles du même thème
-
«2030 Investir demain» : Faut-il regarder vers la Chine ?
Dans le cadre du Think Tank “2030 Investir demain”, Claire Martinetto, présidente du directoire d’ECOFI, et Bertrand Badré, fondateur et managing partner de Blue Like an Orange Sustainable Capital, décryptent les prises de conscience nécessaires pour pouvoir poursuivre efficacement un développement durable. -
Des investisseurs demandent aux entreprises exposées à des conflits de montrer patte blanche
Trente deux investisseurs, dont le FIR, Sycomore et Ecofi, réclament des entreprises une surveillance renforcée des risques de violation des droits humains en zones de guerre. -
BlackRock perd un mandat de 14,3 milliards d’euros du néerlandais PFZW
Le fonds de pension doté de 250 milliards d’euros a choisi de confier la gestion de son portefeuille d’actions à un groupe d’autres gérants, dans un contexte de recul des questions d’investissement responsable et de traitement du risque climatique chez certains gérants américains.
ETF à la Une

L'ETF d'Ark Invest, le casse estival de l'IPO de «Bullish»
- A la Société Générale, les syndicats sont prêts à durcir le ton sur le télétravail
- Le Crédit Agricole a bouclé l'acquisition de Banque Thaler
- Les émetteurs français de dette bravent la crise politique
- L'indice Euro Stoxx 50 va perdre deux représentants de la Bourse de Paris
- Les dettes bancaires subordonnées commencent à rendre certains investisseurs nerveux
Contenu de nos partenaires
-
Wall Street progresse avec le ralentissement de l’emploi et à la perspective d’une baisse des taux de la Fed
Washington - La Bourse de New York a terminé en hausse jeudi, portée par les chiffres de l’emploi privé aux Etats-Unis, qui ont renforcé les anticipations d’un assouplissement monétaire de la banque centrale américaine (Fed). Le Dow Jones a pris 0,77% et l’indice Nasdaq a gagné 0,98%. L’indice élargi S&P 500 a quant à lui avancé de 0,83%, établissant un nouveau record en clôture à 6.502,08 points. Les créations d’emplois ont nettement ralenti dans le secteur privé aux Etats-Unis en août, selon l’enquête mensuelle ADP/Stanford Lab publiée jeudi avant l’ouverture de Wall Street. Le mois dernier, 54.000 emplois ont été créés dans le secteur privé, contre 106.000 en juillet. Les investisseurs s’attendaient à environ 75.000 créations d’emplois. Ces données viennent s’additionner à des demandes hebdomadaires d’allocation chômage en accélération (+237.000) et à un sous-indice à l’emploi en contraction dans l’enquête de la fédération professionnelle ISM. «Nous sommes dans une période où les mauvaises nouvelles sont en quelque sorte de bonnes nouvelles, le marché attendant une baisse des taux de la Fed», commente pour l’AFP Pat Donlon, de Fiduciary Trust Company. Plusieurs membres de la banque centrale ont récemment plaidé pour un assouplissement monétaire de l’institution et son président, Jerome Powell, a laissé la porte ouverte à cette idée en raison du ralentissement du marché américain du travail. Les données publiées jeudi ont par conséquent renforcé les attentes d’une baisse de taux dès la réunion de politique monétaire de la Fed de septembre, selon l’outil de veille de CME, FedWatch. Et les analystes sont de plus en plus nombreux à anticiper des baisses lors des réunions suivantes. Ils scruteront donc avec d’autant plus d’attention la publication vendredi du rapport mensuel sur l'état du marché du travail aux Etats-Unis, juge Pat Donlon, qui estime qu’il «sera intéressant de voir quelle sera la réaction du marché». En attendant, «ce ne sont pas seulement les chiffres de l’emploi qui enthousiasment Wall Street: le candidat du président Trump au poste de gouverneur de la Fed est en passe d'être confirmé rapidement», note Jose Torres, d’Interactive Brokers. Conseiller de Donald Trump, Stephen Miran a jusqu’ici été un défenseur zélé de l’agenda économique du président américain, qui comprend des droits de douane élevés et des pressions permanentes sur la Fed, sommée de baisser les taux directeurs pour favoriser l’emprunt et soutenir l’activité. Sur le marché obligataire, le rendement des emprunts d’Etat américains à échéance 10 ans se détendait à 4,16%, contre 4,21% mercredi en clôture. Côté entreprises, la plateforme américaine de design collaboratif Figma (-19,92% à 54,56 dollars) a plongé après la publication de ses premiers résultats trimestriels depuis son introduction à la Bourse de New York fin juillet. L'éditeur de logiciels a pourtant dépassé les attentes à la fois sur son chiffre d’affaires du deuxième trimestre et sur ses prévisions pour le trimestre en cours. La marque de jeans American Eagle a été propulsée (+37,96% à 18,79 dollars) après avoir publié des résultats trimestriels globalement meilleurs qu’attendu. Cette marque s’est récemment retrouvée au cœur d’une polémique après une campagne publicitaire avec l’actrice Sydney Sweeney. Certains internautes ont accusé American Eagle de promouvoir l’eugénisme et des idéaux de suprématie blanche, tandis que d’autres l’ont au contraire saluée pour ce qu’ils considèrent comme une réaffirmation des valeurs traditionnelles. L'éditeur de logiciels américain Salesforce a glissé franchement (-4,85% à 244,01 dollars), malgré des résultats conformes aux attentes du marché. Les investisseurs ont surtout été déçus par les prévisions du groupe. Nasdaq © Agence France-Presse -
La Bourse Wall Street clôture en hausse, stimulée par l’emploi américain et l’espoir d’une Fed plus accommodante
Washington - La Bourse de New York a terminé en hausse jeudi, portée par les chiffres de l’emploi privé aux Etats-Unis, qui ont renforcé les anticipations d’un assouplissement monétaire de la banque centrale américaine (Fed). Le Dow Jones a pris 0,77% et l’indice Nasdaq a gagné 0,98%. L’indice élargi S&P 500 a quant à lui avancé de 0,83%, établissant un nouveau record en clôture à 6.502,08 points. Nasdaq © Agence France-Presse -
Médicaments non utilisés : jusqu'à 1,7 milliard d'euros gaspillés chaque année selon la Cour des comptes
Paris - Les médicaments prescrits en ville mais non consommés représentent chaque année en France entre 561 millions et 1,7 milliard d’euros, selon une évaluation de la Cour des comptes publiée jeudi qui appelle à identifier les produits les plus jetés et les raisons de ce gaspillage. A ce jour, «les modalités de collecte et de traitement des médicaments non utilisés ne permettent pas de connaître de manière précise les montants et la nature des dépenses de médicaments qui auraient pu être évités», souligne la Cour des comptes. Son évaluation des coûts a été réalisée à partir des quantités de médicaments non utilisés collectées par l’organisme Cyclamed chargé de leur récupération. La facture atteint jusqu’à 1,7 milliard d’euros si le calcul prend en compte tous les médicaments mais elle tombe autour de 561 à 788 millions d’euros si les plus coûteux en sont exclus, détaille la Cour des comptes. Le volume de médicaments jetés et collectés par Cyclamed représentait 8.503 tonnes en 2023. Le potentiel de réduction de ces déchets peut être évalué entre 224 millions à 867 millions d’euros, selon l’enquête conduite par la Cour des comptes. Il est «indispensable que les pouvoirs publics améliorent leur connaissance de l’usage des produits de santé, prescrits, dispensés et remboursés, et comprennent pourquoi certains d’entre eux ne sont pas utilisés», écrit l’instance de surveillance des finances publiques. Elle préconise de s’appuyer sur l’expertise de Cyclamed pour quantifier les médicaments non utilisés, évaluer la proportion des médicaments périmés, identifier les produits les plus gaspillés et en déterminer les raisons afin de «susciter des mesures de prévention». La redistribution des médicaments non utilisés pourrait être, selon elle, «une mesure prometteuse», en particulier pour les médicaments coûteux ou très prescrits. De même, certains dispositifs médicaux (béquilles, fauteuils roulants, déambulateurs etc..) pourraient être réutilisés, remis en état ou recyclés pour récupérer au moins leurs composants, préconise le rapport. Parmi ses autres recommandations pour un meilleur usage des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux), la Cour des comptes propose d’inciter les industriels à adapter les conditionnements et les délais de péremption. Les produits de santé ont représenté un coût de 36,05 milliards d’euros pour l’assurance maladie en 2023, dont 25,26 milliards au titre des médicaments et 10,79 milliards au titre des dispositifs médicaux. Le gouvernement vise une réduction des dépenses de santé de l’ordre de cinq milliards d’euros l’an prochain. © Agence France-Presse