
Les marchés ne craignent pas une régulation accrue des Gafa

Dans quelle mesure l’élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis fait-elle peser un risque sur les valeurs technologiques ? Les marchés ont plutôt vendu le secteur à l’annonce de sa victoire début novembre, aussi sous l’effet de la découverte des vaccins anti-covid, mais le Nasdaq a vite oublié ce risque politique, battant à nouveau ses records historiques depuis, tandis que les actions Google (+37% depuis janvier), Apple (+69%), Facebook (+40%), Amazon (+72%) et Microsoft (+38%) s’en rapprochent.
Commerce
Joe Biden a rappelé qu’il ne reviendra pas immédiatement sur l’accord commercial avec la Chine ou les droits de douane, préférant s’attaquer en priorité aux vols de brevets et de technologies, sachant qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité d’adaptation de ces géants, rappellent les analystes. «Par exemple, Apple a déjà sensiblement réduit sa dépendance à la Chine pour la fabrication du dernier iPhone ramenée aux Etats-Unis et en Corée du Sud», note Christian Parisot, chef économiste d’Aurel BGC. «L’approche de Joe Biden également ‘America First’ pourrait cependant limiter l’afflux de cerveaux étrangers, très utile à ces entreprises», nuance John Plassard, spécialiste en investissement chez Mirabaud.
Concurrence
Les abus de position dominante seraient davantage ciblés. «Mais les attaques en cours, comme celle menée contre Google par le procureur de New York, portent plus généralement sur des litiges juridiques avec les Etats que sur des changements réglementaires par l’administration fédérale. Et les investisseurs ne sont jamais très sensibles à ces annonces, vu la longueur des procédures», poursuit Christian Parisot, pour qui les Gafa ont plus à craindre d’une éventuelle baisse des recettes publicitaires à court terme, malgré la croissance du e-commerce.
Les marchés sont convaincus que leur puissance économique protège ces quasi-monopoles d’un démantèlement, également difficile sans renforcer les concurrents chinois. «La perspective d’une action très offensive de la nouvelle administration – en dépit de propos assez durs de Joe Biden au début de la campagne - est limitée par le fait que les entreprises de la Silicon Valley ont dépensé beaucoup plus pour soutenir la campagne des démocrates que celle des républicains», rappelle Gilles Möec, chef économiste d’Axa IM, dont les portefeuilles sont cependant sous-exposés.
Sans chercher à les démanteler, la nouvelle administration pourrait être tentée de suivre l’Europe sur la voie d’une concurrence accrue en les obligeant à ouvrir davantage leurs données - dont les revenus sont renforcés par la croissance des activités dans le «cloud» - et leurs algorithmes au contrôle des autorités sur leurs conflits d’intérêts et pratiques commerciales biaisées. «On peut aussi imaginer des obligations de compatibilité ou de partage des exclusivités que certains (Apple, Tesla…) ont parfois anticipées», avance John Plassard.
Libertés
Le gouvernement fédéral pourrait aussi aller plus loin sur la protection des libertés et utilisateurs en suivant le Vieux Continent avec une réforme comme le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), qui a (un peu) inspiré le California Consumer Privacy Act (CCPA) entré en vigueur le 1er janvier, et beaucoup de supporters au Congrès. Les Etats-Unis précéderont même peut-être le projet européen en cours pour imposer aux plates-formes une obligation de moyens dans la gestion des contenus. Donald Trump et Joe Biden souhaitent tous deux abroger la Section 230 du Communications Decency Act, garantissant depuis 1996 l’immunité aux réseaux sociaux sur leur contenu. L’actuel président a menacé mercredi de mettre son veto au projet de National Defense Authorization Act (NDAA) si cette loi n’inclut pas un article invalidant la Section 230, au nom de la sécurité du pays et des élections. Joe Biden s’inquièterait davantage de contenus préjudiciables à la cohésion sociale et au respect des droits.
Social
L’enjeu social n’est pas toujours préservé par la gig-economy : l’Etat de Californie, gouverné par les démocrates - dont la sénatrice et future vice-présidente Kamala Harris - très soutenus par les techs, a adopté par référendum le 3 novembre la très critiquée «proposition 22» permettant aux entreprises comme Uber, Lyft ou DoorDash de contourner partiellement la loi locale et de garder leurs conducteurs ou livreurs sous le statut d’entrepreneurs indépendants : la loi AB-5 exigeait que ces derniers soient reclassés comme salariés bénéficiant d’avantages divers (salaire minimum, assurances, allocation santé, congés, protections sociales et syndicales, etc.), dont seuls les trois premiers resteront (diminués). «La non-adoption de la Prop-22 aurait induit une augmentation significative des coûts et des questions sur la validité des business models. Il était aussi prévu que des législations similaires suivent dans d’autres Etats, ce qui semble maintenant beaucoup moins probable», note Amanda Lyons, gérante spécialisée chez GAM.
Fiscal
Concernant la fiscalité, l’administration Trump a déjà mis en place, en 2018 avec la réduction de l’impôt sur les bénéfices (IS) de 35% à 21%, des minimas qui n’existaient pas avant notamment pour les sociétés de propriété intellectuelle (GILTI), les revenus immatériels de source étrangère (FDII) ou les bénéfices américains (BEAT). Joe Biden, qui souhaite ramener l’IS à 28%, ne devrait pas surenchérir sur ce secteur en particulier. Et en attendant une «taxe numérique» de l’OCDE, «certaines entreprises ont compris le changement d’ère à venir en s’engageant à payer plus d’impôts dans le cadre du collectif Tech for Good lancé par la France, à l’instar de Google, Facebook ou Netflix», rappelle Christian Parisot (Amazon et Apple ont décliné).
Malgré toutes les nouvelles contraintes possibles, «les marchés ne valorisent pas un risque auquel ils ne croient pas avant au moins deux ans et un éventuel changement de Sénat», conclut John Plassard pour justifier de perspectives encore très positives.
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Australie : attaque mortelle de requin sur un surfeur à Sydney, plages fermées
Sydney - Un «grand requin» a tué un surfeur samedi sur une plage populaire de Sydney, a annoncé la police, une attaque mortelle rare qui a entraîné la fermeture de plusieurs plages en Australie. La victime, un habitant de 57 ans, surfait avec cinq ou six amis dans les eaux du Pacifique, au large des plages voisines de Long Reef et Dee Why, au nord de Sydney, ont précisé les autorités. Ce surfeur expérimenté, marié et père d’une jeune fille, a perdu «plusieurs membres», a déclaré le responsable de la police de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud, John Duncan, lors d’une conférence de presse. «D’après ce que je comprends, lui et sa planche ont disparu sous l’eau», a-t-il ajouté. «Le corps a été retrouvé flottant dans les vagues» et «la planche du surfeur a été brisée en deux». Deux surfeurs l’ont aperçu dans l’eau et l’ont ramené à terre. «Malheureusement, à ce moment-là, il avait déjà perdu énormément de sang, et les tentatives de réanimation ont échoué», a poursuivi M. Duncan. Des témoins ont vu le squale, a indiqué la police, qui avait évoqué auparavant un «grand requin». Des experts gouvernementaux examineront les restes de la planche et le corps de la victime afin de déterminer l’espèce du requin, a indiqué la police. La plupart des morsures graves en Australie proviennent de grands requins blancs, de requins-bouledogues et de requins-tigres. Des images diffusées par les médias locaux montraient des policiers rassemblés sur le rivage et des ambulances garées à proximité. Les plages situées entre les quartiers nord de Manly et Narrabeen ont été fermées pour au moins 24 heures, a indiqué Surf Life Saving NSW, branche locale d’un réseau de clubs de sauveteurs bénévoles et professionnels. «Terrible tragédie» «Pour le moment, merci de rester hors de l’eau sur les plages environnantes et de suivre les consignes des maîtres-nageurs et sauveteurs», a déclaré le directeur général de l’organisation, Steven Pearce. «Nous adressons nos plus sincères condoléances à la famille de l’homme touchée par cette terrible tragédie». Les clubs de sauvetage voisins ont annulé toutes les activités et entraînements nautiques pour le week-end. Des drones et des sauveteurs sur des jets skis surveillaient les plages à la recherche de la présence de requins. Il s’agit de la première attaque mortelle de requin à Sydney depuis 2022, lorsque Simon Nellist, un moniteur de plongée britannique de 35 ans, avait été tué au large de Little Bay. La précédente attaque fatale dans la ville remontait à 1963. Un surfeur anonyme a déclaré au Sydney Daily Telegraph avoir été témoin des suites de l’attaque : «Quatre ou cinq surfeurs l’ont sorti de l’eau et il semblait qu’une partie importante de la partie inférieure de son corps avait été attaquée», a-t-il dit. Les gens ont été sommés de sortir de l’eau, a-t-il raconté. «Il y avait un sauveteur qui agitait un drapeau rouge. Je ne savais pas ce que cela signifiait... mais j’ai pensé que je devais probablement rentrer à terre». La dernière attaque mortelle en Australie remonte à mars, lorsqu’un surfeur avait été tué au large de la plage isolée de Wharton Beach, en Australie-Occidentale. Depuis 1791, plus de 1.280 incidents impliquant des requins ont été recensés en Australie, dont plus de 250 mortels, selon une base de données sur les rencontres entre ces squales et les humains. David WILLIAMS © Agence France-Presse -
Anthropic règle un litige majeur sur le droit d’auteur en IA avec un accord à 1,5 milliard de dollars
New York - La start-up américaine d’intelligence artificielle (IA) Anthropic a accepté de verser au moins 1,5 milliard de dollars à un fonds d’indemnisation d’auteurs, ayants droit et éditeurs qui poursuivaient l’entreprise pour avoir téléchargé illégalement des millions de livres, selon un document de justice publié vendredi. Cet accord à l’amiable, d’un montant colossal, constitue une étape marquante dans le débat sur l’utilisation de données pour développer et entraîner les grands modèles d’IA générative. «Cet accord historique est le plus élevé pour une affaire de droits d’auteur», a commenté auprès de l’AFP l’avocat des détenteurs de droits, Justin Nelson, du cabinet Susman Godfrey. «C’est le premier de son genre dans l'ère de l’IA». Fin juin, le juge californien saisi du dossier avait néanmoins estimé que le fait d’alimenter un logiciel d’IA générative avec des oeuvres en théorie protégées par le droit d’auteur ne constituait pas une infraction. Il avait seulement retenu contre Anthropic le téléchargement et le stockage de livres issus de librairies pirates en ligne, reconnaissant la société californienne coupable de ne pas avoir acheté ces ouvrages. «Nous sommes en désaccord avec l’opinion du tribunal selon laquelle on peut séparer le téléchargement d’une oeuvre de son utilisation», a indiqué une porte-parole d’Anthropic. Mais «nous pensons que cet accord va nous permettre de nous concentrer sur notre mission essentielle, plutôt que sur un long contentieux», a-t-elle ajouté. Le montant sur lequel se sont accordées les parties sera au minimum de 1,5 milliard de dollars et pourrait augmenter si la liste définitive des livres concernés, qui n’est pas encore arrêtée, dépassait 500.000, auquel cas Anthropic verserait 3.000 dollars de plus par ouvrage. L’accord doit encore être homologué par le juge William Alsup. Une audience est prévue lundi au tribunal fédéral de San Francisco. «Un début» Cette transaction permet à Anthropic d'éviter un procès, qui devait démarrer début décembre pour déterminer le montant des dommages et intérêts. La start-up risquait d'être condamnée à débourser une somme bien supérieure à celle décidée avec les détenteurs de droit, au point de mettre en péril son existence même. L’accord «va assurer à chaque (plaignant) une indemnisation significative», a fait valoir Justin Nelson, «et il établit un précédent en matière de paiement des détenteurs de droits.» De nombreux autres dossiers sont encore en cours devant des tribunaux américains, initiés par des écrivains, musiciens ou éditeurs de presse pour utilisation non autorisée de leur production. Vendredi, deux écrivains ont lancé un recours, qu’ils souhaitent collectif, contre Apple, accusant le géant de la Silicon Valley d’avoir utilisé des oeuvres contenues dans des bibliothèques pirates pour entraîner les modèles d’IA intégrés dans ses appareils. La plupart des grands acteurs de l’IA générative s’appuient sur la notion juridique d’utilisation équitable («fair use» en anglais), susceptible de limiter l’application du droit de propriété intellectuelle. Dans sa décision de juin, le juge Alsup avait estimé qu’en entraînant ses modèles d’IA, baptisés Claude, avec des milliers de livres, Anthropic s’inscrivait dans le cadre de l’utilisation équitable. «Le principe juridique selon lequel le développement de l’IA sur des oeuvres protégées relève d’une utilisation équitable demeure intact», a souligné la porte-parole d’Anthropic. Cet accord «ne fait que régler un différend sur la façon dont certains documents ont été obtenus», a-t-elle poursuivi. En juin, dans une autre affaire de ce type, concernant Meta, devant la même juridiction, un autre magistrat fédéral avait donné raison au géant des réseaux sociaux, mais tout en expliquant que les plaignants auraient pu soulever des arguments recevables. Les créateurs de contenu, qu’il s’agisse de musique, de livres ou d’articles, s’inquiètent de voir la valeur marchande de leur travail s’effondrer avec l'émergence des interfaces d’IA générative. «Nous espérons qu’il s’agisse du premier exemple d’une longue série de sociétés d’IA à qui on demande des comptes pour le vol de contenu créatif», a réagi l’organisation Human Artistry Campaign, qui milite pour un développement responsable de l’IA. «Ce n’est qu’un début», a écrit l’association sur X, «mais il est marquant et historique.» Thomas URBAIN © Agence France-Presse -
Donald Trump rebaptise le Pentagone en « ministère de la Guerre » pour afficher la puissance américaine
Washington - Donald Trump a signé vendredi un décret visant à rebaptiser le ministère américain de la Défense en «ministère de la Guerre», ajoutant qu’il voulait par là envoyer un «message de victoire» et «de force» au reste du monde. Le président américain a laissé entendre qu’il pouvait se passer d’un vote du Congrès pour procéder à ce changement d’appellation. «Les mots comptent», a dit le chef du Pentagone Pete Hegseth, présent aux côtés de Donald Trump dans le Bureau ovale, assurant que cette nouvelle appellation devait permettre de «restaurer une éthique guerrière». Formellement, il s’agit pour l’instant d’une appellation «supplémentaire», selon un document distribué dès jeudi par la Maison Blanche. Un haut responsable du ministère a indiqué que le coût de cette opération, potentiellement très dispendieuse, deviendrait «plus clair» au fur et à mesure de sa mise en place. Peu après la signature du décret présidentiel, les mots «ministère de la Défense» ont été immédiatement retirés d’un mur dans le Pentagone, devant des caméras de télévision. Le site du ministère a été renommé et Pete Hegseth se présente désormais comme «ministre de la Guerre» sur X. «Nous allons soumettre (ce changement de nom) au Congrès», a prévenu Donald Trump. «Je ne sais pas (si les parlementaires voteront en ma faveur, ndlr), nous verrons bien, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient besoin de le faire». «Trop défensif» Ce n’est pas la première fois que le républicain de 79 ans impose ses idées sans passer par la case législative. Son second mandat est marqué par une volonté assumée d'étendre le pouvoir présidentiel, à coups de décrets et de décisions empiétant sur les prérogatives du Congrès. Il a signé vendredi son 200e décret depuis son retour à la Maison Blanche en janvier. Le président des Etats-Unis avait déjà fait part de ce projet qui restaurerait une appellation ayant existé de 1789 à 1947. «Défense, c’est trop défensif, et nous voulons aussi être offensifs», avait-il déclaré. Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a mobilisé l’armée pour imposer une image de puissance spectaculaire et combler son appétit de fastes militaires. Il a organisé un rare défilé le jour de son anniversaire, déployé la Garde nationale dans des villes dirigées par ses opposants, et ordonné une frappe exceptionnelle sur un bateau dans les Caraïbes dans le cadre de la lutte affichée contre le narcotrafic. Les démocrates dénoncent régulièrement ce recours aux militaires, révélateur selon eux d’une dérive autoritaire. Contre le «politiquement correct» Le président américain avait eu pendant son premier mandat une relation plutôt contrariée avec l’armée. Son ancien chef d'état-major, le général Marc Milley, l’a qualifié d’"aspirant dictateur». Des articles de presse avaient également attribué à Donald Trump des propos méprisants pour des militaires américains morts au combat. Cette fois, le dirigeant républicain a remanié l'état-major américain pour s’entourer de hauts gradés choisis par ses soins, et a nommé en la personne de Pete Hegseth un ministre à la loyauté farouche. Le chef du Pentagone, adepte d’un discours viriliste et d’opérations de communication musculeuses, a dit vendredi que l’objectif de l’armée américaine était d’atteindre «une létalité maximale, pas une létalité tiède». Il a dit vouloir aller à l’encontre du «politiquement correct». Aurélia END © Agence France-Presse