«Une consolidation dans la gestion de fortune va avoir lieu en Europe»

Membre du directoire d’Oddo BHF et responsable du métier banque privée pour le groupe, Joachim Häger revient sur les raisons qui ont conduit au rachat de Quilvest. A l’aune d’une consolidation dans l’univers de la gestion de fortune, il expose la stratégie de sa maison.,
Propos recueillis par Franck Joselin
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 -  Irene de Rosen

ACTIFS - La banque Quilvest, rachetée par Oddo BHF, est renommée La Banque Privée Saint-Germain. Comment se positionnera cette nouvelle structure dans le groupe ?

Joachim Häger - Nous aurons deux marques pour déployer notre stratégie en France. Oddo BHF d’un côté et La Banque Privée Saint-Germain de l’autre. Le groupe Oddo BHF aidera La Banque Privée Saint-Germain à être plus efficiente en mettant par exemple à sa disposition ses outils de back ou de middle-office. La structure nouvellement entrée dans le groupe profitera notamment des services de reporting que nous avons déjàdéveloppés.

Quelles sont les raisons qui ont motivéce rachat ?

L’activité de banque privée d’Oddo BHF compte aujourd’hui 53 milliards d‘euros d’actifs. Avec 2 milliards d‘euros sous gestion pour 2.500 clients, Quilvest reste une petite structure, mais son activité est pérenne et elle pourra profiter du fait qu’elle est désormais membre d’un ensemble bien plus important.

L’opération de reprise de la banque Quilvest est aujourd’hui complètement finalisée. Mais même avant cela, cette entité ne nous était pas inconnue. Nous travaillions avec elle depuis plus de huit ans. Nous connaissons très bien les équipes qui la composent et le métier qu’elles exercent.

Depuis que nous avons initié notre relation avec Quilvest, nous avons constaté qu’il existait de nombreuses similarités entre cette banque et Oddo BHF. Ce sont, en premier lieu, deux structures indépendantes. Ensuite, Quilvest comme Oddo BHF sont focalisées à 100 % sur les besoins de leurs clients. Les banquiers ne vendent pas des produits, mais s’évertuent à optimiser l’allocation d’actifs de leurs clients.

Oddo BHF et Quilvest présentent aussi un profil d’activité comparable. Elles sont toutes deux centrées sur une clientèle d’entrepreneurs – et notamment d’entreprises familiales. Cette culture chez Oddo BHF provient du fait que la banque est elle-même une entreprise familiale. Nous raisonnons, pour nos clients, sur plusieurs générations. Toutes les décisions prises aujourd’hui doivent être bonnes pour la prochaine génération.Tous nos banquiers savent que leurs décisions auront un impact sur le long terme. Il y a beaucoup de similitudes entre les familles que nous conseillons et notre propre banque. Y compris par l’implication du groupe sur les sujets ESG (environnement, social, gouvernance, NDLR) et sa contribution à la société.

Pourquoi avez-vous conservé deux marques ?

Pour chaque décision que nous prenons en matière de gestion privée, nous sommes à l’écoute des préférences de nos clients. Or ceux de Quilvest étaient très attachés au fait que la structure dispose d’une marque propre. Même si le nom change, elle cultive aujourd’hui cette forme d’indépendance. Avec la marque La Banque Privée Saint-Germain, nous sommes persuadés que nous allons pouvoir accompagner nos clients sur le long terme. Chaque marque pourra par ailleurs développer sa propre identité, toujours sur des clients entrepreneurs, mais peut-être sur des sous-segments différents.

Les structures ne se feront-elles pas concurrence ?

Même si elles restent différentes, les deux structures seront complémentaires. Il n’est pas question de développer une concurrence interne. Les banquiers seront certes indépendants mais la direction de La Banque Privée Saint-Germain et celle d’Oddo BHF travailleront ensemble et formeront une même équipe pour renforcer l’expérience des clients des deux marques, avec une large gamme de solutions d’investissements, de prêts et de services, et une dimension internationale.

Le métier de la gestion de fortune est très concurrentiel. Comment arrivez-vous à vous démarquer, notamment par rapport aux très grands groupes ?

La grande différence avec d’autres banques privées est qu’Oddo reste avant tout une entreprise avec une vision de long terme. Et contrairement à des structures plus grandes, les décisions sont prises rapidement et les projets peuvent avancer vite. Le fait que les équipes de direction soient proches des clients nous permet de nous ajuster plus rapidement que les autres.

Par ailleurs, dans les grandes institutions, la gestion de fortune ne fait généralement pas partie des lignes de métier les plus importantes. Orpour être très bon sur cette activité, il faut qu’elle soit véritablement perçue et dirigée comme un métier cœur. Avec la gestion d’actifs, les marchés de capitaux et la gestion de fortune, nous disposons de trois divisions qui s’apportent mutuellement, avec une approche partenariale. Chacune peut bénéficier des forces que lui procurent les autres. La finance d’entreprise apporte naturellement des clients à la gestion de fortune, et celle-ci peut aider à définir les solutions d’investissement qui peuvent être adaptées pour de nombreux clients de la gestion d’actifs, par exemple sur les actifs privés. Ce point central de la gestion de fortune dans notre groupe constitue un atout. Les gérants et les banquiers privés s’appuient par exemple sur l’expertise de notre équipe de recherche actions qui suit plus de 700 valeurs. Nous utilisons notre propre recherche pour faciliter nos décisions. Nous nous différencions en cela de beaucoup de nos concurrents. Nous ne pouvons pas investir ou faire investir nos clients dans des entreprises que nous ne jugeons pas totalement transparentes et que nous ne connaissons pas parfaitement. Cela permet d’éviter de nombreuses erreurs.

Etes-vous à la recherche d’autres structures à reprendre, comme cela a été le cas avec la banque Quilvest ?

Nous pensons qu’une consolidation des activités de gestion de fortune aura lieu
, en Europe. Cela aussi bien pour des raisons de mutualisation des coûts que du fait d’un environnement réglementaire qui nécessite des investissements élevés en
, informatique et dans les fonctions supports. Nous voulons bénéficier de ce mouvement de concentration. Cependant, il faut qu’un rapprochement ait un réel sens stratégique et que les deux structures aient la même vision de ce qu’implique être ensemble. Nous devons avoir la même définition du meilleur conseil et de l’allocation d’actifs. La gestion de fortune est avant tout un métier où la relation de confiance avec le banquier prime. De plus, si les équipes qui nous rejoignent n’ont pas pour objectif de faire partie d’un tout, cela ne peut pas fonctionner.

Avez-vous l’intention de vous développer dans d’autres pays européens ?

Nous pourrions être tentés de nous développer dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne. Mais nous appliquons pour la croissance externe la même méthode que lorsque nous recrutons nos collaborateurs.Nous ne cherchons jamais activement de cible. Si une opportunité se présente à nous, nous examinons si un rapprochement est bon pour le groupe, ses actionnaires et ses clients. Nous devons être certains que l’opération sera gagnante pour tous. Nous avons d’ailleurs décliné de nombreuses propositions en France ou en Allemagne, car nous considérions que nous pouvions faire mieux avec notre dynamique de croissance organique qu’avec des opérations de croissance externes consommatrices en temps, en énergie et à des valorisations trop élevées pour pouvoir créer de la valeur pour les clients et pour le groupe.

Quelles méthodes allez-vous appliquer pour accélérer votre croissance organique ?

Nous resterons d’abord concentrés sur les clients entrepreneurs familiaux. Cela constitue déjà un segment très important et attractif. Nous devons rester très bons sur ce segment. Nous allons continuer sur la lancée de ces dix-huit derniers mois, pendant lesquels nous avons connu une croissance importante de nos activités de banque privée. Nous allons renforcer notre présence en France ou en Allemagne, notamment en attirant les meilleurs talents. Notre ligne directrice est « qui avant quoi » et nous ne faisons aucun compromis sur les talents au service de nos clients. Dans l’Hexagone, avec nos deux marques et nos deux équipes, nous allons encore accélérer. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons accueilli Emmanuel d’Orsay, qui était précédemment à la tête de l’équipe de gestion privée d’UBS en France. Nous allons pouvoir nous renforcer dans des régions dans lesquelles nous étions déjà présents, comme les villes de Marseille, Lyon ou Strasbourg. Nous sommes préparés à cela et disposons d’une offre attractive qui répond à la demande de plus en plus complexe des clients fortunés. Nous avons musclé notre offre par exemple sur le private equity, les fonds de dette, les fonds thématiques (intelligence artificielle, etc.), et bientôt nous allons proposer des investissements en venture capital.

Ces derniers mois, les recrutements se font plus difficiles dans la banque privée. Parvenez-vous tout de même à attirer assez de nouveaux talents ?

Chez Oddo BHF, comme Quilvest, nous restons très exigeants et sélectifs sur les équipes recrutées. Même dans cette période où les banquiers privés sont très demandés, notre groupe reste attractif. Nous restons à l’écoute du marché, mais il y a une chose qui, pour nous, n’est pas négociable, c’est l’énergie, l’intégrité et la motivation de nos collaborateurs. Il est très difficile de devenir un bon banquier et il faut disposer de solides compétences techniques. Mais cela ne suffit pas. Les banquiers qui nous rejoignent doivent être proactifs et intègres. Ils doivent faire ce qu’ils disent pour créer une relation de confiance avec le client.

Même si nous allons continuer d’étoffer nos équipes, notamment en France, nous nous appuyons avant tout sur les talents dont nous disposons en interne.

Il est aussi de plus en plus difficile aujourd’hui de recruter des profils technologiques. Comment ont évolué ces fonctions chez Oddo BHF ?

Nos équipes dédiées à la technologie n’ont cessé de croître ces dernières années. Nous sommes passés de 300 personnes sur ces métiers il y a trois ans à 500 personnes aujourd’hui, sur un total de 2.500 employés pour le groupe. Nous investissons continuellement sur des techniques. Elles nous permettent de rendre notre métier plus efficient, stable et fiable.

, SON PARCOURS

Joachim Häger est membre du directoire de Oddo BHF SE depuis juillet 2016. Il est également associé de Oddo BHF SCA à Paris et président du directoire de Oddo BHF (Suisse) AG. Dans le cadre de ses fonctions, il est responsable de la gestion de patrimoine des clients privés en Allemagne, en Suisse et en France. Avant de rejoindre Oddo BHF, il a travaillé pour Deutsche Bank pendant environ 25ans. En 2007, il a pris en charge la banque privée en Allemagne. A partir de 2014, il était coresponsable de la gestion d’actifs et depatrimoine.

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