
Les professionnels exigent un cadre stable et cohérent
L’Agefi Actifs. - La réformede la défiscalisation Outre-mer fait l’objet, selon le gouvernement, d’un consensus. Jean-Pierre Philibert, vous n’êtes passi satisfait des mesures prises par Bercy…
Jean-Pierre Philibert, président, Fedom.
- C’est le moins que l’on puisse dire. Au fil des années, on a assisté à la fois à un encadrement du dispositif, des coups de rabot, une moralisation de la défiscalisation aboutissant à quelque chose qui, pour nous, était acceptable. Mais brutalement l’année dernière, le Conseil constitutionnel a censuré dans le plafond de la défiscalisation la part variable, c’est-à-dire les 4 % des revenus des personnes physiques en complément des 18.000 euros.
Dès lors, notre première interrogation, rapidement relayée par tous les opérateurs, a porté sur le devenir des projets de défiscalisation et, dès l’année 2013, de ceux dits de plein droit qui n’avaient pas par définition pu faire l’objet d’une demande d’agrément avant le 31 décembre 2012.
Deuxièmement, la volonté du gouvernement était d’affirmer dans le même temps, selon la promesse du président de la République, qu’il ne manquerait pas un euro à l’Outre-mer. Très rapidement, cette idée du crédit d’impôt qu’on voyait arriver depuis longtemps à l’initiative de Bercy a été mise en place après une concertation qui a eu lieu pendant trois mois. Cette concertation a été marquée par plusieurs points, notamment l’absence de discussion entre l’administration de Bercy et de l’Outre-mer, ce qui est un peu paradoxal. Un des sujets majeurs a été de déterminer le seuil à partir duquel les entreprises devraient être soumises au crédit d’impôt et non plus bénéficier, pour se financer, de la défiscalisation. Le gouvernement nous a bernés parce que nous avons découvert lors de la dernière réunion, dix minutes avant la fin, que le seuil auquel tout le monde s’était arrêté, c’est-à-dire 20 millions d’euros, devait être appréhendé non au sein de chaque établissement ultramarin mais s’entendre au sens d’un groupe, conformément à l’article 39 du Code général des impôts (CGI). Or, cet article est l’un des plus flous du Code. Second sujet qui nous a paru incohérent dans cette notion de groupe, c’est qu’on va additionner – pour vérifier si on est en deçà ou au-delà du seuil de 20 millions d’euros – des chiffres d’affaires d’entreprises du groupe qui, pour certaines d’entre elles, n’ont jamais été éligibles à la défiscalisation et ne seront pas plus éligibles au crédit d’impôt.
Cela ressemble à un passage en force…
Jean-Pierre Philibert.
- Bercy veut effectivement faire un passage en force alors que le Premier ministre avait toujours parlé d’expérimentation réalisée auprès des entreprises les plus solides. Cela ne marchera pas. Nous avons donc une vraie difficulté au niveau du financement de l’investissement Outre-mer.
Que vont faire les banques ? Elles vont appliquer, et on ne peut pas le leur reprocher, les mêmes règles prudentielles que pour un financement classique.
Autre incohérence : la période de transition. Sur le financement des économies ultramarines, le crédit d’impôt est une disposition qui va s’appliquer à partir du 1er juillet 2014. Je suis prêt à prendre le pari que pas un seul dossier qui sera transmis à l’administration avant le 30 juin ne sera examiné sous l’égide de la loi actuelle, c’est-à-dire permettant la défiscalisation. On sait quelles sont les procédures de Bercy en la matière.
Il faudra bien qu’un jour on pointe toutes les erreurs stratégiques, parfois graves, que les gouvernements successifs ont faites sur la base de notes de la Direction du Trésor, du Service de la législation fiscale de Bercy. On a le sentiment que le pouvoir politique est tétanisé par Bercy et ne remet pas en cause un certain nombre de postulats, puisqu’on ne les démontre pas. Nous demandons à la représentation nationale d’exercer son contrôle, elle a aujourd’hui les moyens de le faire dans le cadre de la mission d’expertise et de contrôle. J’ai demandé au rapporteur général d’aller vérifier les chiffres de Bercy sur le crédit d’impôt. Nous ne les avons pas. ILest regrettable que le rapporteur général du Budget ne les ait pas, c’est même scandaleux.
Olivier Mariée, êtes-vous davantage satisfait des orientations prises par Bercy ?
Olivier Mariée, directeur du Pôle épargne, Axa.
- Il faut rappeler qu’une réforme fiscale doit normalement être au service d’une stratégie. Quand j’ai lu le rapport Berger-Lefebvre en début d’année, j’ai vu que la stratégie était de favoriser l’épargne longue et d’orienter vers les investissements dits productifs.
L’euro-croissance est une bonne idée, mais il faut faire attention. Il y a des changements perpétuels sur l’ISF. C’est extrêmement déstabilisant. Je ne juge pas le fond, mais la forme et la façon dont nos instances fonctionnent. Quand vous êtes un conseiller, une banque privée, une compagnie d’assurances et que vous avez des clients qui font face à cela, le résultat c’est qu’ils ne comprennent pas, ils sont inquiets, cela crée de la défiance.
Il y a un indicateur que personne n’évoque depuis deux ans sur l’assurance vie, c’est la collecte en assurance vie de résidents français au Grand-Duché du Luxembourg. Sur le premier semestre 2013, il y a environ 6 milliards d’euros de collecte, la moitié vient de résidents français. Sur l’année, il y aura donc environ 6 milliards d’euros de collecte en assurance vie de résidents français. Je ne pense pas que cela soit une bonne nouvelle. Je donne ces chiffres, mais je n’ai absolument rien contre les investissements au Luxembourg, nous avons une société là-bas. Mais cette tendance témoigne de cette instabilité qu’il faut combattre, ce problème de confiance.
Les Français vont au Luxembourg parce qu’ils n’ont pas confiance, parce qu’ils pensent que le fait de mettre leur argent au Luxembourg leur permettra, au cas où, s’ils souhaitent un jour se délocaliser, que l’argent soit déjà dehors. Deuxièmement, ils pensent qu’au cas où le gouvernement prendrait des décisions inattendues, leurs fonds seraient plus en sécurité.Un certain nombre d’acteurs aujourd’hui au niveau du gouvernement, du Trésor, l’ont heureusement compris.
Avez-vous donc réussi à avoir gain de cause sur certains points auprès de Bercy ?
Olivier Mariée.
- La préparation des contrats euro-croissance n’est pas encore bouclée. En janvier, nous aurons tous les éléments sur la poche diversification, sur le mode de fonctionnement de la provision mathématique. À ce moment-là, nous lancerons les développements informatiques et le lancement devrait intervenir dans les six mois. En revanche, la taxe de 0,32 % sur les transferts de l’euro vers l’euro-croissance n’est pas une bonne nouvelle. Nous n’avons pas demandé d’incitation fiscale, mais simplement qu’il y ait une neutralité.
Par ailleurs, il y a un gros problème – qui n’a pas été réglé – sur les contrats d’assurance vie depuis des années et sur les unités de comptes, c’est la renonciation.
C’est un problème plutôt pour les assureurs, mais pas forcément pour le client…
Olivier Mariée.
- Non, c’est un problème pour tout le monde. Nous pensions avoir avancé et je viens de me rendre compte que tout était revenu au point mort. Nous avions simplement demandé que le délai de renonciation, lorsque le client a fait un acte de rachat, un arbitrage, un reversement, arrête de courir. Nous faisons extrêmement attention à ce genre de sujet, nous plafonnons le taux d’unités de compte sur certaines affaires et interdisons un certain nombre d’opérations.
Nous parlions du Luxembourg. Trouvez-vous que les mesures fiscales qui sont proposées permettent de développer l’économieen général, et plus particulièrement la place des sociétés de gestion en France ?
Delphine Charles-Péronne, directrice des affaires fiscales et comptables, AFG.
- Nous ne sommes pas mécontents de la dernière loi de Finances. Pour nous, trois mesures sont favorables. Tout d’abord les cessions, les rachats de titres d’Organismes de placements collectifs (OPC) investis à 75 % en actions bénéficient désormais de par la loi des mêmes abattements de 50 et 65 % que les investissements en direct dans les titres. Nous avons aussi obtenu que les actionnaires de sociétés de gestion de portefeuille bénéficient du régime des « pigeons ». Dans tous les régimes antérieurs, les acteurs du secteur financier étaient systématiquement exclus de ce type de mesure de faveur. Les seules activités qui ne bénéficient pas du nouveau régime sont les activités de gestion pour compte propre. Par ailleurs, le PEA-PME nous va bien. Nous sommes en train de demander à Bercy que des fonds de fonds soient reconnus comme éligibles comme pour le PEA classique.
En revanche, d’un point de vue réglementaire, du fait de la transposition des directives OPCVM IV et AIFM, il est plus facile pour une société de gestion française de gérer des OPC au Luxembourg, voire de s’y implanter, ce qui met en relief les écueils de la fiscalité française.
La gestion d’actifs a plusieurs soucis. Le premier n’est pas nouveau, c’est la taxe sur les salaires qui pénalise énormément les sociétés de gestion françaises par rapport à leurs alter ego européennes. La deuxième entrave, qui est beaucoup plus grave, pourrait pratiquement aboutir à la mort de la gestion française. Je rappelle que la France est la deuxième place mondiale, avec une grosse spécificité dans la gestion financière. Le Luxembourg est très bien placé, mais la gestion des actifs est faite en France. Si la taxe sur les transactions financières (TTF) européennes est votée en l’état, il est évident que les structures vont se déplacer, les sociétés de gestion iront à Londres, les fonds iront au Luxembourg et il n’y aura plus grand-chose en France. C’est vraiment un risque.En effet, à l’heure actuelle, 40 % des clients des sociétés de gestion entrepreneuriales, donc des petites sociétés de gestion dynamiques, sont des non-résidents. Il est évident que ces derniers ne vont pas venir placer leur argent en France pour payer de la TTF alors même que s’ils vont à Londres ou à Luxembourg, ils n’y seront pas soumis.
Qu’advient-il des obligations de déclaration des monteurs de défiscalisation ?
Jean-Pierre Philibert.
- Pour le gouvernement, et Bercy en particulier, le problème, c’est la fraude. La fraude principale à la défiscalisation, c’était les faux dossiers, mais il n’y en a plus aujourd’hui. Il y a eu aussi la surfacturation, qui a d’ailleurs donné lieu à beaucoup de redressements. Le troisième problème, qui est beaucoup plus compliqué, c’est le « saucissonnage » : au-delà d’un investissement d’un certain montant, 250.000 euros, on passe à l’agrément. Vous avez peut-être intérêt, si vous avez un projet, à avoir deux projets à 150.000 euros que vous allez faire en plein droit, au lieu d’un projet de 300.000 euros qui nécessite l’agrément de Bercy. Sauf que la réalité n’est pas toujours la fraude : certains investissements existent réellement dans le cadre d’un plan pluriannuel et pourtant la loi n’admet plus désormais la notion de programme sur plusieurs exercices. La suspicion du Bureau des agréments est quasi systématique. Pour cette raison, nous demandons que ce soit de la responsabilité du monteur de détenir et de mettre à la disposition de l’administration l’ensemble des données qui ont permis de monter le dossier d’investissement. Reste à régler le problème de savoir qui gérera la fameuse liste des monteurs agréés. La profession a élaboré une charte très sérieuse, mais ni Bercy ni l’AMF ne veulent gérer cette liste : le problème n’est donc pas résolu, et ce malgré la bonne volonté de la profession.
Delphine Charles-Peronne.
- La réforme fiscale qu’il faudrait qu’un gouvernement courageux fasse un jour, c’est de dire que les modifications fiscales ne sont applicables qu’aux produits émis postérieurement. Lorsque vous souscrivez un contrat d’assurance vie ou un produit financier, il faut que la fiscalité qui s’applique au jour où vous prenez la décision de souscrire reste la même pendant toute la durée du contrat ou du produit financier. En droit pénal, la non-rétroactivité est strictement appliquée, pourquoi pas dans le domaine fiscal...
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