
Le Conseil d’Etat se prononce en faveur du nu-propriétaire

L’intérêt fiscal de l’opération de donation avant cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux gorgés de plus-values n’est plus à démontrer:
- Pour le donateur, la donation ne constitue pas un fait générateur de l’imposition sur la plus-value.
- Ainsi que l’a rappelé une décision du Conseil constitutionnel (1), le donataire, quant à lui, doit être regardé comme ayant très logiquement acquis les titres à leur valeur retenue dans le cadre de la donation en vue du calcul ultérieur de la plus-value de cession, permettant ainsi de purger partiellement (donation de la nue-propriété) ou totalement (donation de la pleine propriété) la plus-value sur le bien cédé.
- Quant aux droits de donation, si c’est bien le donataire qui les assume, ils viennent rehausser le prix de revient des titres cédés.
Quid des frais d’acquisition supportés par l’usufruitier lors du calcul de la plus-value de cession ?
L’arrêt du 11 mai 2017 (2) a apporté une solution inédite s’agissant de la prise en compte des droits de donation dans le prix de revient. Rappelons les faits: suivant actes de donations enregistrés en 2007, un père a donné la nue-propriété d’actions qui lui étaient personnelles à ses deux fils et l’usufruit à son épouse, les trois donataires prenant à leur charge le paiement de la quote-part de droits de donation leur incombant (à l’aide de fonds transmis en pleine propriété). La formule choisie a ainsi permis de revaloriser fiscalement la totalité du prix de revient. Trois mois plus tard, les titres détenus en usufruit/nue-propriété ont été cédés à la même valeur que celle de la donation avec maintien du démembrement de propriété et remploi dans des actifs eux-mêmes démembrés.
Dans ce cas de figure, rappelons que c’est le seul nu-propriétaire qui est le redevable de l’impôt, y compris sur la portion de plus-value le cas échéant afférente à l’usufruit (3). En l’espèce, s’agissant des frais de donation, les nus-propriétaires ont retenu dans le calcul du prix de revient, et donc de l’impôt de plus-value, non seulement les droits qu’ils avaient personnellement acquittés mais aussi ceux payés par leur mère lors de l’acquisition de son usufruit.
Fond de l’affaire.
Il en a résulté une moins-value que l’administration fiscale a remise en cause. De son point de vue, seuls les droits acquittés par les enfants pouvaient venir en augmentation du prix de revient. Les contribuables ayant contesté cette décision ont été déboutés une première fois par le Tribunal administratif puis une seconde par la Cour administrative d’appel de Bordeaux (4). Cette dernière a considéré que:
- Il n’est pas contesté que la plus-value est imposable entre les mains du nu-propriétaire puisqu’il résulte de l’article 578 du Code civil que ce dernier est le propriétaire des biens dont l’usufruitier n’a que la jouissance temporaire.
- Il peut être déduit des articles 150-0 A et 150-0 D du CGI et de l’article 74-0 B de l’annexe II dudit code que seuls les frais supportés personnellement par le redevable de l’impôt en sa qualité de cédant peuvent venir majorer le prix d’acquisition retenu lors de la transmission à titre gratuit.
Les nus-propriétaires n’étaient donc pas fondés à tenir compte des droits de donation acquittés par leur mère au moment de la donation, seuls les droits acquittés par le cédant (ici le nu-propriétaire) pouvant être retenus. On pouvait cependant relever, à l’encontre de cette analyse, que la plus-value déclarée par le nu-propriétaire tenait néanmoins bien compte de la revalorisation de l’usufruit dans un calcul global du prix de revient des titres cédés.
Sans remettre en cause son analyse sur le redevable de l’impôt, le Conseil d’Etat a rendu une décision inédite favorable pour le contribuable.
Heureux dénouement, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour d’appel et a considéré que «lorsque le prix de cession est remployé pour l’acquisition d’un autre bien sur lequel le démembrement est reporté, le prix effectif d’acquisition comprend l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition, tant de la nue-propriété que de l’usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l’usufruitier». Les requérants ont également souhaité que le Conseil constitutionnel soit saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en ce que la Cour administrative d’appel aurait méconnu les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques en créant une différence de traitement du redevable selon les modalités de répartition du prix de cession. Sur ce point, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’y a pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel dès lors qu’il donne droit aux nus-propriétaires de prendre en compte l’ensemble des frais d’acquisition, évitant ainsi une différence de traitement des redevables en fonction de l’emploi du produit de cession. En effet, lorsque les titres cédés conjointement sont démembrés, le redevable de la plus-value diffère selon l’affectation du prix de cession (démembrement, quasi-usufruit ou éclatement du prix).
Transpositions.
Il semble légitime de supposer que cette décision soit transposable au cas d’un quasi-usufruit: l’usufruitier redevable de l’impôt aurait ainsi la possibilité d’imputer également les droits pris en charge par le nu-propriétaire dans le calcul de sa plus-value. Mais cet arrêt soulève également la question de savoir si, dans le cas d’une donation avec réserve d’usufruit, le nu-propriétaire redevable de l’impôt pourrait se prévaloir des abattements pour durée de détention de l’usufruitier. Une réponse positive permettrait ainsi, dans une logique similaire, d’éviter une inégalité de traitement du redevable en fonction du sort des capitaux issus de la cession. Cette décision, favorable au contribuable en termes d’imputation de droits de donation, pourrait ainsi être annonciatrice d’autres décisions à venir concernant les abattements pour durée de détention !
(1) C. const. n°2012-661 DC du 29 décembre 2012 art. 19 de la loi de Finances rectificative pour 2012.
(2) Conseil d’Etat, 11 mai 2017, n°402479.
(3) BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 n°100, 14 octobre 2014; CE 28 octobre 1966 n°68280; CE 17 avril 2015 nos371552 et 371551.
(4) TA Bordeaux, 25 février 2014 nos1201815 et 1200700; CAA Bordeaux, 14 juin 2016 nos14BX01301 et 14B01302, 5e ch.
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