Gare au « sens unique » fiscal

L’exercice par le contribuable d’une faculté de choix entre plusieurs possibilités est définitif, Aucune modification n’est tolérée par l’administration même si ce choix apparaît a posteriori défavorable au contribuable
Arnaud Tailfer, counsel, cabinet Arkwood SCP
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Plusieurs décisions récentes illustrent le fait que les contribuables peuvent parfois se retrouver en situation de « sens unique » fiscal, du fait de la requalification ou de l’évolution de leur situation. Là où ils pensaient pouvoir se raccrocher à un régime favorable, qui aurait été applicable en premier lieu, ils se retrouvent in fine à supporter une imposition plus forte, sans possibilité de régularisation. La loi confère à l’administration fiscale et au contribuable la faculté de modifier les déclarations et actes permettant l’établissement des impôts (1). Pour l’administration, il s’agit de son pouvoir de rectification, lorsqu’elle constate des omissions, insuffisances ou erreurs. Ces rectifications peuvent bien entendu être assorties de sanctions mais il ne s’agit pas là du facteur d’aggravation que nous souhaitons mettre en évidence. Pour sa part, le contribuable dispose également de la faculté de déposer des réclamations afin de solliciter la modification des bases de calcul de son imposition.

Encadrement strict de la requalification. Le cadre de la requalification des situations des contribuables, à leur demande ou à l’initiative de l’administration fiscale, obéit cependant à des règles strictes. Ces règles, si elles sont libellées différemment selon qu’il s’agit des impositions des particuliers ou des entreprises, obéissent à la même logique selon laquelle une option régulièrement formée ou, à l’inverse, non valablement formée dans un délai impératif, ne peut plus être a posteriori modifiée. Ainsi, l’exercice par le contribuable d’une faculté de choix entre plusieurs possibilités est définitif dans son principe et opposable à l’administration.

Option ferme. Le problème est que le contexte dans lequel ces choix sont opérés peut-être totalement bouleversé a posteriori, soit par l’administration fiscale, soit par une mauvaise conjonction de circonstances. On pourrait légitimement penser qu’à nouveau contexte, nouvelle décision. Ce n’est pourtant pas la position de l’administration fiscale, selon laquelle des décisions régulièrement formées du contribuable ne peuvent pas être modifiées même lorsqu’elles lui apparaissent, par la suite, défavorables(2).Voici une sélection de cas dans lesquels le juge de l’impôt a pleinement validé ce principe, générant de lourdes impositions pour les contribuables concernés.

Imputation sur le déficit d’une plus-value à long terme. Une société dont l’objet social est l’acquisition et la construction d’immeubles en vue de la location et la détention de participations, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. À cette occasion, l’administration fiscale a remis en cause le déficit de la société au titre de l’année 2003. Initialement, cette société avait pourtant choisi d’imputer sur ce déficit une plus-value nette à long terme réalisée à la suite d’une cession de titres de participation(3). En effet, le code général des impôts offre aux entreprises le choix entre l’imposition des plus-values nettes à long terme à un taux réduit ou la compensation de ces plus-values avec un déficit ordinaire constaté au titre de l’exercice ou reportable sur cet exercice(4). Dans la mesure où les déficits de la société ont été remis en cause, cette dernière soutenait que la plus-value nette à long terme redevenait imposable au taux réduit (16 %). Au contraire, l’administration affirmait qu’en choisissant d’imputer la plus-value à long terme sur le déficit déclaré, la société requérante avait pris une décision de gestion opposable qui lui interdisait de bénéficier ultérieurement de l’imposition au taux de 16 %. La plus-value à long terme devenait ainsi imposable au taux ordinaire de l’impôt sur les sociétés. Pourtant, il est évident qu’en l’absence de déficit, cette société n’aurait jamais choisi cette imputation, qui ne permet que de « compenser le déficit d’exploitation de l’exercice »(5), celui-ci n’existant pas. En d’autres termes, il était proposé à la société de faire comme si elle avait initialement, délibérément, choisi d’imposer un produit au taux ordinaire de 33,33 % au lieu de 16%. Cette position rigoureuse a été confirmée à la fois par la cour administrative d’appel de Paris puis par le Conseil d’Etat.

Cession à prix minoré d’un actif. Dans une autre affaire, une société qui a pour activité la détention et la gestion de titres de participation, s’est vue notifier, à la suite d’une vérification de comptabilité, un redressement relatif à la cession d’un élément d’actif moyennant un prix insuffisant(6). Le prix déclaré bénéficiait du régime d’imposition favorable applicable aux cessions de titres de participation. En cas de discussion sur le prix retenu, la société devait certainement penser que le supplément de prix suivrait le même régime favorable. Pourtant, selon l’administration, cette minoration du prix traduisait l’existence d’une libéralité assimilable à une distribution de fonds sociaux. Cela engendrait ainsi un supplément de bénéfice imposable entre les mains de la société dans les conditions de droit commun - au taux de 33,33% -, sans que le contribuable puisse bénéficier du régime favorable d’imposition au taux global de 3,33 %. Le débat sur le prix retenu était ainsi d’un intérêt particulièrement fondamental et la position de l’administration fiscale a finalement été validée par le Conseil d’Etat.

Appel à la prudence. Par ailleurs, au regard d’une jurisprudence récente(7), il convient de noter que l’administration fiscale aurait potentiellement pu tirer des conséquences de la vente à prix minoré à l’égard du bénéficiaire de libéralité, ce dernier étant en outre redevable de droits de mutation à titre gratuit au taux de 60%. La faculté de requalification donnée à l’administration fiscale doit mener les dirigeants à bien réfléchir aux conditions des transactions conclues avec les sociétés qu’ils dirigent.

Dons manuels de titres par des particuliers. Une dernière affaire met en lumière le fait que la révélation tardive à l’administration de dons manuels peut conduire à des situations catastrophiques pour les contribuables(8). Pour rappel, il n’existe pas d’obligation de déclaration des dons manuels, sauf révélation à l’administration fiscale. En année N, un contribuable a cédé des actions qu’il détenait, générant une plus-value d’un montant total approximatif de huit millions d’euros. Cette plus-value tenait compte du fait qu’une partie des titres cédés provenait de donations manuelles réalisées en années N (deux mois avant la cession), en N-6 et N-9 non révélées au moment de la cession. En l’absence d’acte, le contribuable avait retenu un prix d’acquisition nul pour les titres provenant de la donation. En année N+3, le contribuable a souscrit une déclaration de don manuel pour les titres reçus par donation. Or, en matière de droits de mutation à titre gratuit, la règle est de retenir la valeur des titres à l’instant de la révélation et s’ils ont été cédés depuis, la valeur au jour de la cession. Rétrospectivement, le contribuable s’est aperçu que la plus-value déclarée en année N, pour les titres donnés, devenait nulle : la valeur retenue dans l’acte de donation, constituant le prix d’acquisition, était en effet égale au prix de cession. Il a ainsi demandé la restitution de l’imposition sur la plus-value. Selon l’administration, suivie par le Conseil d’Etat, la déclaration de don manuel souscrite postérieurement à la cession des titres ne pouvait pas être prise en compte pour déterminer le montant de la plus-value taxable. Cette solution est sévère, le contribuable pouvant ainsi être valablement imposé sur une plus-value égale au prix de cession des titres et acquitter, en outre, des droits de mutation sur la valeur de cession des titres. L’effet traditionnel de purge de la plus-value d’une donation avant cession n’est ainsi pas toujours garanti et le séquencement des opérations doit être bien établi !

Ces situations, si elles se fondent sur des principes connus et redoutés des techniciens, peuvent légitimement interpeller le non-initié. Par souci de sécurité, il est donc préférable, à l’instant d’une prise de décision, outre la traditionnelle analyse des avantages et inconvénients des chemins fiscaux ouverts au contribuable, de s’assurer que ces chemins ne peuvent pas se révéler être a posteriori des sens uniques lourdement taxés.

(1) LPF art. L 10 et L 45

(2) BOI-BIC-BASE-40-10 n°130

(3) CE, 28-12-2018 n° 406709

(4) CGI, art. 39 quindecies, I. 1.

(5) CGI, art. 39 quindecies, I. 1.

(6) CE 8e-3e ch. 26-12-2018 n° 424570, Sté JPC-DS

(7) Cass. Com., 7 mai 2019, 17-15621

(8) CE, 25-11-2015, n° 378004

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