
Donation avant cession, un intérêt sous contraintes

Par Audrey Ferry,responsable de l’ingénierie patrimoniale de Bordier & Cie (France), et Benjamin Poyet-Vicard,département gestion de patrimoine d’une étude parisienne
Pour un chef d’entreprise, la cession de son actif professionnel est un moment crucial. Il s’agit souvent d’une période intense où plusieurs de ses conseils (banquiers d’affaires, avocats corporate et fiscaliste, experts-comptables et auditeurs) se réunissent pour négocier les meilleures conditions de cession.
C’est aussi un point de bascule puisque la valeur de l’entreprise glisse du patrimoine professionnel au patrimoine personnel et constitue une opportunité pour le chef d’entreprise de réfléchir à des donations familiales en recourant notamment au mécanisme de donation avant cession.
La donation avant cession ou précession est une stratégie patrimoniale consistant à faire précéder la cession de l’entreprise d’une donation de ses titres, intervenant généralement peu de temps avant la cession, et ayant pour effet de purger définitivement la plus-value constituée par la différence entre la valeur des titres au jour de la donation et leur valeur d’acquisition.
Parce qu’elle constitue une opération intercalaire dans le processus de cession des titres sociaux, sa mise en œuvre requiert une particulière vigilance afin d’en garantir une parfaite sécurité, tant au plan civil que fiscal.
L’objet d’une telle donation est de transmettre des titres sociaux, qu’il s’agisse de parts sociales ou d’actions, ce qui présuppose que le donateur en ait la libre disposition. Cela suscite de procéder à un audit préalable de la documentation sociétaire, pour se libérer par accord des associés ou actionnaires, d’éventuelles contraintes statutaires et extrastatutaires, visant à encadrer la donation des titres puis leur cession par le donataire (clause d’inaliénabilité, clause de préférence, clause d’agrément par exemple).
Sécuriser la transmission
S’agissant de la valorisation à retenir des titres pour le calcul des droits de donation, il est usuel de recourir à la valeur indiquée dans la lettre d’intention (LOI), laquelle correspond à une valeur de marché. A défaut de disposer d’une telle valorisation, il est possible d’interroger un professionnel tel que l’expert-comptable qui sera à même d’évaluer la société, au regard des multiples applicables dans son secteur d’activité.
Le transfert de propriété des titres peut se réaliser soit en pleine propriété, soit en nue-propriété avec réserve d’usufruit au profit du chef d’entreprise. Dans cette seconde hypothèse, il faut veiller à ce que le donateur ne se réapproprie d’aucune manière le produit de la vente des titres donnés en nue-propriété.
Pour sécuriser cette transmission, il est également important de respecter une parfaite chronologie des opérations puisque la donation doit impérativement intervenir avant la cession. Plus précisément, il est nécessaire que toutes les conditions suspensives spécifiques à la cession n’aient pas été levées lors de la donation. En d’autres termes, il ne doit pas y avoir d’accord sur le prix et sur la chose. A défaut, l’administration considérerait que la donation a eu lieu après la vente, ce qui ferait échec à la purge de la plus-value latente.
Sur la forme, on ne peut que conseiller de faire appel à son notaire et à la rédaction d’un acte authentique pour sécuriser la transmission tant au plan civil que fiscal.
Au plan civil, en présence de plusieurs donataires, il sera recommandé de réaliser une donation-partage permettant de figer les valeurs données et d’intégrer des clauses répondant aux souhaits et objectifs du chef d’entreprise (notamment interdiction d’aliéner – à l’exception du projet de cession – et de mise en garantie, droit de retour conventionnel, anticiper le sort du prix de vente en cas de démembrement de propriété).
Plus encore, en présence d’enfant mineur, une précaution particulière doit être prévue dans l’acte de donation pour pouvoir assurer une parfaite cession des titres donnés. En effet, il s’agit d’exclure ces titres de l’administration légale des parents, en désignant un tiers administrateur disposant de pouvoir de disposition et d’éviter ainsi le recours au juge des tutelles. Cette clause sera d’autant plus indispensable en cas de séparation du chef d’entreprise, afin d’éviter toute immixtion de l’ex-conjoint dans l’opération de donation-cession.
Enfin, il convient de noter que la forme authentique n’exonérera pas pour autant l’obligation déclarative, concernant les actions, de procéder, dès la signature de l’acte de donation, au mouvement de registre de titres, permettant leur inscription au compte du donataire.
Respecter la chronologie des opérations
Au plan fiscal, l’attrait de l’authenticité est de conférer date certaine à l’acte de donation et qu’il n’y ait pas de possible contestation sur la date de l’acte, d’autant plus que la chronologie des opérations doit être minutieusement respectée. En ce qui concerne le coût fiscal de la donation, des droits de donation pourront être dus, selon le montant transmis et compte tenu du lien de parenté entre les parties, au-delà des abattements applicables entre donateur et donataire. Pour rappel, il est possible pour le donateur de prendre à sa charge le paiement des droits de donation, en principe dus par le donataire, sans pour autant que l’administration l’analyse comme une donation taxable additionnelle. Il est parfois préférable que les donataires assument eux-mêmes les droits de donation, puisqu’ils sont de nature à venir majorer le prix d’acquisition et créer une moins-value imputable.
Une fois l’acte de donation passé, une éventuelle seconde fiscalité s’appliquera lors de la cession des titres. Plusieurs paramètres seront à prendre en compte – évolution du prix depuis la donation et nature des droits transmis (pleine propriété ou nue-propriété). En cas de cession de titres démembrés, l’imposition de la plus-value de cession variera de la manière suivante :
lorsque le prix de cession est réparti entre l’usufruitier-donateur et le nu-propriétaire-donataire : l’usufruitier est redevable d’une plus-value calculée en fonction de la valeur initiale d’acquisition et le nu-propriétaire suivant la valeur retenue dans l’acte de donation ;
lorsque le prix de cession est attribué à l’usufruitier sous forme de quasi-usufruit, seul lui sera redevable de l’impôt. Dans l’hypothèse où le démembrement de propriété sera reporté sur un autre actif, l’impôt serait alors dû par le nu-propriétaire. Dans ces deux cas de figure, le prix de revient correspondra à la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété majorée de l’accroissement de valeur de la nue-propriété transmise constaté entre la date d’acquisition initiale de la pleine propriété et la date de transmission de la nue-propriété.
Pour conclure, la donation précession est une stratégie très efficace de transmission de la valeur de son entreprise à ses proches. Compte tenu de ses multiples atouts, elle peut être sujette à contestation par l’administration fiscale sur le terrain du droit commun et de l’abus de droit. Il est ainsi primordial d’en assurer une parfaite sécurisation, notamment en respectant strictement la chronologie des opérations « donation puis cession » et en maintenant une intention libérale du chef d’entreprise dans le temps.
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