Absence de publicité du mandat de protection future : « La France est quasiment un cas isolé en Europe »

David Noguéro, professeur de droit à l’Université de Paris Descartes insiste sur la nécessité de prévoir une publicité du mandat de protection future pour permettre son meilleur développement. Il avance différentes pistes concrètes dans ce sens. Il recommande notamment de s’inspirer des modèles de publicité européens qui ont été décrits le 15 mai 2014 lors d’un colloque organisé par la Société de législation comparée avec le Conseil supérieur du notariat.
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L’Agefi Actifs - Selon vous, pour quelles raisons le mandat ne connaît-il pas encore aujourd’hui de succès véritable?

David Noguero - Effectivement, le succès n’est pas au rendez-vous. Des chiffres qui ont pu être communiqués, fin 2012, il apparaissait que 1077 mandats avaient pris effet depuis 2009, sur environ 5 000 conclus fin 2011, dont 80% de mandats notariés. Il semble néanmoins que les souscriptions de ces actes notariés ou sous seing privé soient en légère hausse. Malheureusement, on dispose de peu d’informations sur l’exacte progression de la croissance de ces mandats.

Les facteurs qui expliquent cette situation sont probablement multiples. J’insisterai sur certains d’entre eux.

Le mandat de protection future (MPF) est apparu avec la réforme du 5 mars 2007, entrée en vigueur le 1er janvier 2009. C’est donc une innovation plutôt récente dans notre droit. L’information délivrée au public et aux professionnels, pour faire connaître ce mandat doit être davantage diffusée si l’on veut vraiment encourager une telle protection conventionnelle des majeurs, à côté de la curatelle et de la tutelle.

Personnellement, je pense qu’il ne faut pas négliger l’obstacle culturel. Le mandat d’inaptitude a connu un développement dans des pays habitués à recourir au contrat dans le domaine de la famille et des personnes. En France, même si les mentalités évoluent, la protection de majeurs est généralement perçue comme relevant de la mission du juge et de l’ordre public. De plus, facteur psychologique, on anticipe rarement sa propre déchéance, en mettant en place une organisation pour la gestion patrimoniale. Il n’y a qu’à comparer, dans le domaine de la santé, avec le peu d’entrain pour les directives anticipées et les traitements de fin de vie, ou la désignation de la personne dite de confiance. Il faut du temps pour s’acclimater à de nouveaux instruments. Le vieillissement de notre population, avec les difficultés qu’il fait naître, devrait favoriser les prises de conscience, au moins dans les familles directement touchées.

Enfin, je mettrai en avant la difficulté pratique résultant, pour l’heure, du défaut de publicité des MPF, au contraire des mesures judiciaires. Les pouvoirs publics n’ont pas semblé considérer qu’il y avait là un réel besoin (1) tout en souhaitant, paradoxalement, que soit encouragé le développement des MPF.

Pour quelle raison le gouvernement ne semble-t-il pas enclin à prévoir de publicité?

Le prétexte avancé pour expliquer l’absence de publicité est parfois le risque d’atteinte à la vie privée de l’intéressé. Outre qu’il occulte la fonction de la publicité afin de rendre efficace une mesure de protection du majeur, l’«argument» prouve trop. A le recueillir, on s’expliquerait mal qu’une telle publicité soit prévue pour les autres mesures, notamment la sauvegarde de justice où le majeur conserve, par principe, sa capacité juridique, et qui peut être mise en place par le juge ou, même, par une déclaration médicale. Dans ce cas, la publicité n’est pas prévue par mention en marge de l’acte de naissance avec conservation au répertoire civil (2), mais sur un registre spécial tenu par le procureur de la République (3), et l’accès des personnes autorisées à le consulter est plus restreint (4) que celui prévu pour la tutelle ou la curatelle (5). L’argument principal reste que ces mandats ne créent pas d’incapacité. On a vu que ce n’était pas un frein pour la publicité de la sauvegarde de justice depuis 1968! C’est donc un prétexte, sachant que le mandat est mis en œuvre pour une personne subissant l’altération de ses facultés personnelles, médicalement constatées.

On signalera que la France est quasiment un cas isolé en Europe sur l’absence de publicité de ce genre de mandat, comme l’a montré le colloque organisé par la Société de Législation comparée avec le Conseil supérieur du Notariat, le 15 mai dernier (6). On espère que cette absence de publicité n’est pas liée au coût de la mise en place d’un tel système…

Prévoir une publicité du mandat serait donc une nécessité pour vous. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

Je répondrai positivement à votre interrogation et brièvement dans le cadre imparti (7). La publicité s’impose à un double moment: d’abord, pour connaître l’existence du mandat; ensuite, pour savoir s’il a été mis en œuvre et s’il a pris fin.

Un des principes directeurs de la réforme de 2007 est la subsidiarité qui oblige à ne recourir à une incapacité que si un instrument autre n’est pas disponible pour assurer une protection suffisamment efficace du majeur. Parfois, il devient inévitable de choisir une mesure de protection juridique et priorité doit être donnée au mandat de protection future. Pour garantir l’efficience d’une telle priorité, encore faut-il que l’on sache qu’un tel mandat a été mis en place! Pour l’heure, il n’y a pas d’homologation du mandat, a priori, par une quelconque autorité. Il est passé devant un notaire, ou avec l’aide d’un avocat, voire par le majeur seul, à partir du modèle règlementaire. Rien ne permet de recenser les différents mandats.

Si un juge est saisi et qu’il est dans l’ignorance de l’existence d’un MPF, il pourrait très bien décider d’ouvrir une tutelle. Et, par ailleurs, la loi prévoit que sauf décision contraire du juge, le prononcé d’une mesure judiciaire met fin au MPF (8). S’il n’est pas empiriquement renseigné, le juge peut ne pas savoir qu’un mandat est là, au moment, précisément, où il pourrait servir. Le législateur a implicitement admis cette situation puisque qu’en cours de sauvegarde de justice qui serait décidée, le juge pourrait suspendre le mandat dont il apprendrait l’existence.

Pour servir la subsidiarité et la priorité de ces mandats, il faut déjà en connaître l’existence. Ce n’est pas tout. Il convient également de savoir quand le mandat sera déclenché. Sa mise en œuvre est actuellement constatée par le visa du greffe. Ce visa est porté sur le mandat aussitôt restitué, dont le mandataire se prévaudra dans son activité juridique. Le greffe ne garde pas trace de cela. De même, rien n’est prévu pour un mandat suspendu qui pourrait circuler (avec son visa), ni pour la fin du mandat, sauf à compter sur la réalité de la restitution. Des tiers pourraient croire à une apparence de pouvoir sur le patrimoine d’autrui qui a pourtant disparu.

Connaître le déclenchement du mandat est un gage de sécurité juridique, essentiel aux échanges avec un majeur protégé, si l’on ne veut pas le marginaliser sur la scène juridique. On rend la mesure opposable. On cherche ainsi à éviter que les tiers traitent, pour les uns, avec le mandataire, pour les autres, avec le mandant (mandat pour soi) ou le bénéficiaire du mandat (mandat pour autrui), au risque de constater une contradiction des actes, fort ennuyeuse. En effet, en mandat de protection future, on ne dispose pas d’une disposition légale, comme en sauvegarde de justice (9), énonçant que l’acte du mandant passé dans la sphère de pouvoir du mandataire spécial est nul, ce qui est une consécration de la priorité de l’organe protecteur. Le majeur est censé toujours demeurer capable en droit, sauf les actions spéciales en rescision pour simple lésion et réduction pour excès.

Puisque les greffes ne délivrent pas de certificat de non-mandat de protection future, que pensera un notaire, un banquier, ou un professionnel de l’immobilier, par exemple, d’une personne d’un certain âge se présentant pour traiter une opération d’importance? Ne freinera-t-il pas, à tort ou à raison (le risque d’insanité…), lorsqu’il craindra un client soumis à un MPF, sans moyen de le vérifier autre que, sur interpellation (assez délicate, en fait), la parole (pas toujours fiable) de l’intéressé? La question est rhétorique car on sait que la méfiance pourrait s’installer, voire la défiance.

Il n’est nul besoin, de surcroît, d’évoquer la mobilité des majeurs qui se déplacent géographiquement, et pour lesquels il pourrait être indispensable de savoir s’ils sont bien soumis à un mandat. La Convention de La Haye sur la protection des adultes, qui favorise par principe la loi de résidence du majeur, n’a pour l’heure était ratifiée que par un nombre encore faible de pays, dont la France. Pour le mandat d’inaptitude, elle prévoit un certificat internationalen son article 38 attestant des pouvoirs.

-Quels moyens envisageriez-vous pour organiser une telle publicité?

Le pluriel me paraît bien choisi pour les pistes de réflexion à envisager. Elles dépendent déjà de la nature des mandats que l’on souhaite. Pour l’heure, il y a ceux notariés, forme facultative pour le mandat pour soi, bien que fortement utilisée en pratique, et forme imposée et exclusive donc pour le mandat pour autrui qui vise la situation de parents qui mettent en place cet instrument pour le jour où ils ne pourront plus s’occuper de leur enfant souvent handicapé. A côté, il y a les mandats sous seing privé, soit contresigné par avocat, soit établi à partir d’un modèle réglementaire. A la différence du mandat notarié qui comprend les actes de disposition (outre la surveillance et le contrôle du notaire), les mandats sous seing privé ne permettent que des actes d’administration, sauf à obtenir une autorisation judiciaire, ce qui rendrait assez vite impraticable une gestion voulue fluide.

Face à la multiplicité des sources des MFP en droit français, la solution radicale et simplificatrice consisterait à ne conserver que les mandats notariés. Ainsi, il serait aisé de récolter l’information sur leur existence, et d’en assurer leur publicité, y compris dans la mise en œuvre. A la suite du livre blanc sur la protection des majeurs en 2012, appuyé par des associations, le notariat est favorable à une telle publicité, dont il serait chargé, à l’instar du fichier central des dispositions de dernières volontés pour les testaments.

On peut prévoir une publicité propre pour les MPF sur un mode à choisir (l’autorité; le support; l’accès encadré à celui-ci). Pourrait être tranchée la question de savoir s’il est opportun d’avoir une homologation devant un juge, en amont, pour la conclusion du mandat, à une époque où le majeur est censé disposer de ses capacités, ou/et en aval, lors de la mise à exécution du mandat, afin de limiter les éventuelles contestations.

On peut également s’inspirer de ce qui existe, tout en cherchant à améliorer le dispositif général prévu pour la curatelle et la tutelle, spécialement par la centralisation des informations et l’utilisation plus conséquente des ressources des nouvelles technologies. On pense au répertoire civil et à la mention en marge. Il faut aussi veiller à préciser l’objet de cette publicité. Il s’agit d’indiquer l’existence du mandat (pas nécessairement son contenu), son déclenchement et sa suspension ou fin (voire le changement de mandataire?). Il faut désigner les personnes chargées d’aviser l’autorité choisie recueillant l’information. Pour l’heure, on sait que le greffier a moyen de savoir quels sont les mandats déclenchés puisqu’il appose son visa. Il pourrait transmettre cette information. Le juge décide de la suspension: il peut être chargé de faire procéder à la publicité. La fin du mandat est aussi sous sa responsabilité parfois. Pour d’autres causes, le mandataire ou tous tiers intéressés pourraient intervenir.

Si l’on ne veut pas se résoudre à supprimer le gadget du mandat sur modèle réglementaire - qui peut être fait sans témoin ni conseil d’un homme de loi pour des enjeux néanmoins importants -on peut rendre sa validité, comme sa date certaine, dépendante de l’enregistrement au Trésor public. Le service des impôts transmettrait ensuite l’information à l’autorité centralisatrice recensant les mandats mis en place, en vue de la publicité. Pour l’avocat, ce pourrait être une obligation légale à créer, pour l’obliger à signaler le mandat contresigné par lui, dans certains délais, toujours à une autorité centralisatrice.

On devine que, comme souvent pour la protection des majeurs, le temps des grands principes textuels et des belles paroles doit laisser place à celui du pragmatisme et des moyens! C’est l’action politique.

(1) Rep. min. n° 51358, JO AN 20 octobre 2009

(2) Article 1233 du Code de procédure civile et l’article 1057 et suivants du Code de procédure civile

(3) Article 1251 du Code de procédure civile

(4) Article 1251-1 du Code de procédure civile

(5) Article 1061 du Code de procédure civile

(6) Le Conseil supérieur du notariat a organisé un colloque sur le thème de la «mobilité des personnes vulnérables en Europe: connaissance et reconnaissance des instruments» le 15 mai dernier. Les intervenants ont rappelé qu’il existait une mobilité des personnes protégées, que celles-ci soient sous tutelle, curatelle ou mandat de protection future. Aujourd’hui, c’est la convention de La Haye sur la protection internationale des adultes, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, qui régit cette situation. Le conseil supérieur du notariat précise que «les praticiens ont intérêt à connaitre les mesure variées qui sont en place, dans leur existence déjà puis leur fonctionnement, d’où l’organisation de systèmes de publicité en Europe. Il convient également de reconnaitre ces mesures d’un pays à l’autre, gage de l’efficacité de leur application concrète, dans un esprit de collaboration internationale fortifiée».

(7) La Société de législation comparée publiera prochainement sur son site web la contribution détaillée de David Noguero sur «La publicité du mandat de protection future»

(8) Article 483 du Code civil

(9) Article 435 du Code civil

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