
SCPI, SCI : la pierre papier s’enraye

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain mais ne pas faire l’autruche non plus. Voilà l’équilibre que tente de trouver le marché alors qu’il se trouve embarqué dans les déboires des fonds immobiliers grand public.
Les baisses de prix de part de plusieurs sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ont occupé l’actualité cet été. Des premiers signes d’essoufflement prouvant qu’elles commencent à acter le retournement de leurs marchés immobiliers sous-jacents, après une année 2022 record. Valorisations, liquidité, effet de marché : 2023 sera-t-elle l’année du retournement de la pierre papier ?
Les signes de tensions
Les chiffres ne mentent pas : les uns après les autres, les indicateurs virent au rouge. La collecte, tout d’abord, a plus que marqué le pas. Au premier semestre, elle est en repli de 53 % pour l’ensemble des fonds immobiliers grand public (4,1 milliards d’euros net, plombés par une décollecte de 977 millions d’euros des OPCI), d’après l’Association française des sociétés de placement immobilier (Aspim). Les SCPI accusent un repli de 23 % par rapport au premier semestre 2022, en attirant 4,1 milliards d’euros de capitaux. Le revers est encore plus cinglant pour les SCI distribuées en assurance-vie : 1 milliard d’euros collecté, soit un plongeon de 66 % par rapport à leur record de l’année dernière (2,5 milliards d’euros).
Les performances, ensuite. Jusque-là, les défenseurs des SCPI s’accrochaient dur comme fer à leur nature de placement de long terme, résilient, grâce à une distribution assise sur les revenus locatifs. Une rhétorique mise en difficulté par le bilan du premier semestre. Les SCPI ont distribué 2,20 % d’acomptes de dividendes. C’est certes 2,56 % de plus qu’au premier semestre 2022, mais le ralentissement est net. Leur taux de distribution au premier semestre 2022 était en hausse de 4,3 % par rapport au premier semestre 2021 (2,15 % en moyenne). Les projections pour le second semestre laissent présager des rendements en baisse cette année. La plateforme de distribution en ligne France SCPI anticipe un taux de distribution annualisé à 4,33 %, soit une baisse de 0,2 point par rapport aux 4,53 % de 2022. Les prévisions sont encore plus mauvaises pour les SCI, dont les performances basculent en territoire négatif (-1,07 %).
Par ailleurs, plusieurs SCPI voient leurs délais de cession s’emballer. « Pour 80 % du marché, tout se passe bien, mais certaines maisons voient leurs délais de cession s’allonger fortement », prévient Marc Sartori, du cabinet d’analyse DeeptInvest, qui cite Patrimmo Commerce (plus de cent jours), Crédit Mutuel Pierre 1 (plus de trente mois) et Aestiam Pierre Rendement (plus de cent mois).
Autant d’alertes qui se multiplient mais qui étaient pourtant prévisibles…

Sept décotes en six mois
L’année dernière encore, les gérants immobiliers sabraient le champagne. Ils venaient de battre leur record en collectant 16,1 milliards d’euros (+47 % sur un an), dont près de 63 % rien que pour les SCPI (10,1 milliards). A l’époque, pourtant, le marché immobilier commençait à se contracter, sous l’effet des hausses consécutives des taux d’intérêt par les banques centrales et du reliquat d’une crise sanitaire à rallonge, particulièrement sévère envers le commerce et l’hôtellerie.
Autrefois plébiscité pour sa sécurité, le segment du bureau a lui aussi accusé le coup, malmené par la généralisation du travail à distance. « C’est un fait, le télétravail s’est installé dans toutes les économies occidentales, mais pas de manière homogène. Le retour au bureau est plus fort dans les centres-villes que dans les périphéries. Cela se voit sur la vacance : elle est de 2,5 % dans le triangle d’or parisien, alors qu’elle grimpe à 15 % à La Défense », explique Philippe Depoux, le président de La Française Real Estate Managers (La Française REM). « La situation du bureau en région parisienne est très contrastée, complète Jean-Marc Peter, le directeur général de Sofidy. La périphérie souffre, surtout les grosses unités monolocataires. Mais les loyers dans la capitale continuent d’augmenter car les petites entreprises cherchent avant tout de la centralité. » Il relativise toutefois l’ancrage du télétravail dans les mœurs : « Ce sont surtout les grandes entreprises de la région parisienne qui l’utilisent. Il est beaucoup moins courant en province. Et on observe déjà un retour en arrière aux Etats-Unis. »

Etonnamment, les expertises de fin d’année des SCPI ne reflétaient pas la contraction de l’immobilier. AEW s’est sentie bien seule en mars lorsqu’elle a annoncé la baisse du prix de part de Lafitte Pierre de 450 à 412 euros (-8,44 %). Il faudra attendre que l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’en mêle pour que ses concurrents se mobilisent. En juillet dernier, elle s’est fendue de sa plus belle plume pour faire part à l’Aspim de ses inquiétudes sur la résilience des fonds immobiliers non cotés dans le contexte. « Certains gérants ont pris l’initiative de procéder à un nouveau calcul à mi-année de leur valeur de reconstitution », afin d’éviter que des investisseurs ne souscrivent à des SCPI à une valeur surestimée, a-t-elle écrit dans la missive, que la rédaction a pu consulter. « Compte tenu de l’évolution rapide des conditions de marché », elle a ainsi estimé « nécessaire » que l’ensemble des sociétés de gestion se plient à l’exercice d’ici à septembre.
Dont acte. Le mot est passé auprès des 105 sociétés de gestion adhérentes de l’Aspim. « L’AMF ne dispose pas d’outils légaux pour obliger les sociétés de gestion à lancer de nouvelles expertises, glisse le dirigeant de l’une d’entre elles. Le Code monétaire et financier ne les contraint qu’à en réaliser une annuelle, pour les rapports d’activité de leurs SCPI. » Bien que la lettre n’ait légalement rien de contraignant, la Place s’active et lance de nouvelles expertises de son parc immobilier, à quelques exceptions près, comme Corum. Mais s’ils se plient à l’exercice, les gérants savent aussi qu’ils ne sont pas tenus de publier le résultat de leurs nouvelles expertises. Ils doivent simplement ajuste, au besoin, le prix de part de leurs SCPI pour qu’elles respectent un écart +/- 10 % avec leur valeur de reconstitution, au regard des nouvelles expertises obtenues.
C’est Amundi Immobilier qui ouvre le bal, fin juillet. Le géant européen (43,3 milliards d’euros d’actifs immobiliers sous gestion à fin juin) assomme le marché en annonçant baisser le prix des parts de ses SCPI Rivoli Avenir Patrimoine (-12,42 %), Edissimo (-13,92 %) et Genepierre (-17,04 %). Les trois réunies pèsent 10 % de la capitalisation totale du marché (92 milliards d’euros à fin mars). Rien que ça. Compte tenu du délai très court entre son annonce et le courrier de l’AMF, il y a fort à parier qu’Amundi avait anticipé la communication de l’Autorité. Depuis, BNP Paribas REIM et HSBC REIM sont entrées dans la danse. La première a baissé le prix d’entrée d’Accimmo Pierre de 17,07 % (de 205 à 170 euros). Quant à la seconde… son cas interpelle.
Elysées Pierre a vu son prix de part passer de 825 à 767 euros (-7 %), alors même que rien ne l’y obligeait. Elle n’était décotée que de 7 % par rapport à sa valeur de réalisation, ce qui la positionnait dans le couloir réglementaire des +/-10 %. « Des SCPI qui respectent ce couloir peuvent vouloir profiter du mouvement pour se fondre dans la masse et retrouver un peu d’air », avance un conseiller. D’autant qu’à loyers équivalents un prix de part en baisse se traduirait par un taux de distribution virtuellement en hausse. De quoi « mettre la pression sur les SCPI qui ne dévalorisent pas leurs prix de part », estime Philippe Parguey, le directeur général de Nortia.
Au total, sept SCPI à capital variable ont baissé leur prix de part depuis le début de l’année, accusant des replis entre -7 et -17,04 % (voir graphique). Ramenée aux 215 SCPI du marché, la tendance semble marginale. Il s’agit tout de même de 18 % de leur capitalisation totale. A l’inverse, huit se sont distinguées pour avoir augmenté leur prix de part, notamment Novapierre Résidentiel de Paref Gestion (+2,59 %), Remake Live de Remake AM (+2 %) et Kyaneos Pierre de Kyaneos AM (+1,85 %).
A qui profite le crime ?
L’immobilier n’échappe pas à la règle : dans toutes crises se cachent des opportunités. « Les baisses de valorisations engagées et actées récemment (…) sont le signal qu’attendaient les investisseurs les plus avertis pour revenir sur ce marché. Les sociétés de gestion comptent bien profiter de cette période pour réaliser de bonnes affaires », avance Jérémy Schorr, directeur commercial de bienprévoir.fr et de Primaliance. « Il n’est pas idiot d’avoir du cash aujourd’hui pour profiter du marché », confirme le dirigeant d’une grande société de gestion immobilière, comme en pied de nez à la critique récurrente d’une collecte trop importante ces deux dernières années par rapport aux prix des actifs. Un autre, comme beaucoup, relativise le phénomène : « Ce ne sont pas les SCPI qui baissent, juste certaines qui se ’repricent’ dans un environnement de remontée des taux. Il n’est pas choquant que des actifs achetés il y a deux ou trois ans baissent alors que les taux obligataires ont été multipliés par trois sur la même période. »

La liquidité en question
Pour l’heure, les gérants semblent plutôt échaudés. Les investissements, au premier semestre de cette année, ont fondu comme neige au soleil, comparés à l’année dernière : 3,9 milliards d’euros déployés par les fonds immobiliers grand public, contre 5,6 milliards d’euros. Les arbitrages sont également en baisse (566 millions d’euros, contre 800 millions).
Investisseurs et conseillers assistent impuissants au ralentissement de la pierre papier. Il ne leur reste qu’à tenter d’anticiper les prochaines SCPI qui abaisseront leur prix de part. Les paris vont bon train alors qu’une dizaine s’approchent déjà du seuil des 10 % d’écart entre leur prix de souscription et leur valeur de reconstitution (voir le tableau). Des rumeurs annoncent une baisse entre -10 % et -20 % pour PFO2. Les regards se tournent aussi vers les autres indicateurs qui passent à l’orange, telle la liquidité des fonds. Le poids de plus en plus important des assureurs-vie dans les SCI commence également à inquiéter. Parmi toutes ces tensions, des voix essaient d’émerger pour rassurer, essentiellement de la part des gérants et des distributeurs spécialisés. Tout n’est pas noir, et beaucoup tentent de rappeler que la correction est logique compte tenu du sous-jacent. Ce qui interpelle plutôt est le manque d’anticipation du marché…
A lire aussi: Marc Sartori: «Connaître le poids des assureurs-vie au capital des SCPI est indispensable»
Chiffres clés du premier semestre
Collecte des SCPI : 4,1 milliards d’euros (-23 %)
Taux de distribution des SCPI : 2,20 % (+2,56 % vs S1 2022)
Collecte des SCI : 1 milliard d’euros (-66%)
Performance des SCI : -1,07 %
Performance des OPCI : -3,19 %
(Source : Aspim)
ENCADRÉ
Capimmo met brutalement le marché des SCI sous tension
Comme le révélait L’Agefi en exclusivité début septembre, Primonial REIM a averti ses 15 assureurs qu’elle ne pourrait plus leur assurer la liquidité de sa SCI Capimmo au-delà d’un milliard d’euros de retraits de leurs clients. La société de gestion avait pourtant tenté d’anticiper le problème. La capitalisation de Capimmo s’élevant à 7,5 milliards d’euros à fin 2022, Primonial devait présenter un plan de liquidité d’au moins 370 millions d’euros. Compte tenu de retraits importants cette année, elle a décidé de la porter à un milliard d’euros. Sur cette somme, environ 750 millions d’euros auraient déjà été engagés. Le plafond du milliard d’euros ne serait donc plus très loin. Aucun des assureurs contactés n’a souhaité répondre aux questions de la rédaction. L’enjeu est pourtant est de poids : une fois le plafond du milliard atteint, ils devront porter sur leur bilan la liquidité des parts auprès de leurs assurés.
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