
L’ESG vaincra !

Retrouvez ici l’intégralité de la tribune parue dans le magazine de mai.
C’est un paradoxe. Malgré les effets de plus en plus visibles du changement climatique, malgré le changement de régime économique et industriel, malgré l’aspiration des populations à plus de transparence, la finance durable n’a jamais été autant attaquée : dans un monde en transformation, les préoccupations environnementales, sociétales et de bonne gouvernance (ESG) qui guident l’action de milliers d’investisseurs ne servirait pas (plus) correctement les intérêts des entreprises et des épargnants. Trois années de crise, aussi fortes soient-elles –pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, tensions géopolitiques, remontée de l’inflation… –auraient donc suffi pour porter ce mode d’investissement du Capitole à la roche Tarpéienne?
L’une des attaques les plus violentes de ces dernières semaines est venue des Etats-Unis, pays de la finance, où de nombreux fonds de pension ou asset managers parmi les plus grands du monde se vantent d’investir selon des critères ESG. Dans un livre intitulé The courage to be free(Le courage d'être libre), le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, possible candidat aux prochaines primaires présidentielles américaines, appelle les responsables politiques à supprimer l’influence du woke capitalque serait l’ESG. Son raisonnement : en imposant des règles d’investissement, ce « capital éveillé »irait à l’encontre de la liberté individuelle. Une façon de réaffirmer que le devoir fiduciaire des entreprises prime sur leurs obligations environnementales, sociales ou de gouvernance. L’ESG serait donc inutile voire nuisible pour les actionnaires.
La critique a été entendue à maintes reprises. Pour certains, l’ESG ne peut être tout au plus qu’un des critères à prendre en compte avant un investissement, au même titre que l’analyse du bilan, du compte de résultat ou des flux de trésorerie. Il ne serait donc qu’un élément de bonne gestion. Pourtant, dans le moment que notre monde traverse, l’ESG a toute sa place et doit être beaucoup plus qu’un simple outil de prise de décision. L’investissement dans une entreprise doit avoir un réel impact. La finance peut servir d’aiguillon pour contribuer à une économie plus durable et vertueuse, au bénéfice des populations, des entreprises et donc de leurs actionnaires.
Prenons le cas des Etats-Unis. Leurs fonds de pension collectent une grande partie de l’épargne des ménages américains. Ils ont ainsi des passifs de long terme qu’ils doivent couvrir avec des investissements du même horizon de temps. Or, si l’allocation de ces fonds via l’ESG envoie un signal prix aux entreprises, cela joue favorablement sur la durabilité de l’économie et c’est donc profitable aux fonds de pension. En orientant les capitaux vers les entreprises aux pratiques jugées plus vertueuses, cela les avantage en abaissant leur coût de financement et crée en effet un entraînement dans le marché, en faisant passer un message à celles, moins vertueuses, qui ne bénéficient pas du même avantage. Cet engagement peut être encore plus direct si ces capitaux vont vers des entreprises plus petites, cotées ou non en Bourse, qui ont davantage de besoins de financement nouveaux que les grandes entreprises matures et dont les projets et emplois sont souvent locaux.
C’est cela l’impact de l’ESG. Orpourquoi serait-il contraire au concept de liberté individuelle et de devoir fiduciaire brandie par Ron DeSantis ? Si un investisseur particulier veut de l’impact, de quel droit l’empêcherait-on de le faire ? Et en quoi nuirait-il à la création de valeur ? Au contraire, une allocation du capital guidée uniquement par des considérations de performance financière à courte vue participe à une économie défaillante, donc néfaste pour la performance de long terme.
Avant les crises récentes, nos économies se sont construites sur la maximisation actionnariale et des règles concurrentielles les plus ouvertes possibles, pensant que cela serait un moyen de développer les démocraties suivant le concept de « doux commerce ». Il y a eu des bénéfices indéniables à travers le monde. Mais les événements de ces trois dernières années ont montré les limites de ce doux commerce. Les régimes autoritaires comme la Chine et la Russie ont apprivoisé le capitalisme sans perdre de leur vigueur. Le développement de leur économie s’est fait au détriment de l’industrie d’autres pays par le biais des délocalisations, avec d’importantes conséquences sur l’emploi et donc de leurs classes moyennes. L’ESG est aussi un moyen de défendre les valeurs et la souveraineté de nos économies démocratiques.
Le gain à court terme pour l’actionnaire et la défense du prix payé par le consommateur ne peuvent pas être les seuls guides. Ces crises montrent au contraire qu’il est encore plus important de se soucier quand vous investissez dans une entreprise de ce qu’elle fait de cet argent et des conséquences que cela aura sur l’emploi et l’environnement. Il ne s’agit pas d’investir que dans des entreprises qui relocalisent, mais il est nécessaire et responsable de se poser la question. Autrefois, maximiser le couple rendement-risque était le seul objectif des investisseurs. C’est un mythe. Le marché n’est pas efficient et la réalité, y compris financière, est bien plus compliquée que cela. Les politiques et lesrégulateurs ont compris les nouveaux enjeux économiques mondiaux. Un renforcement des règles en matière d’investissement est inévitable. Notre monde transformé servira de moment de vérité pour l’ESG.
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse