
Les risques politiques à l’heure des comptes

Les marchés jouent à se faire peur. Mais entre les deux tours de l’élection présidentielle française, les indices d’actions françaises et européennes ont rebondi de plus de 4% le premier jour suivant les résultats, saluant la qualification du candidat centriste jugé le plus favorable à l’Union européenne, Emmanuel Macron, face à Marine Le Pen, sceptique face à l’Europe telle qu’elle apparaît aujourd’hui. Les premiers résultats en France étaient pourtant attendus avec une pointe d’anxiété, le Brexit en Grande-Bretagne et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis étant encore dans toutes les mémoires.
Après ce premier tour, les gestionnaires ont multiplié les messages à l’attention des investisseurs.
Risque réduit.
Aujourd’hui, l’heure est clairement à un apaisement, même si aucun résultat n’est certain et que, même en cas de victoire finale d’Emmanuel Macron, les élections législatives détermineront en grande partie la politique qui sera conduite en France dans les prochaines années. «La victoire potentielle d’Emmanuel Macron est (…) perçue comme la victoire de l’Europe», estime Nicolas Forest, directeur de la gestion obligataire chez Candriam. «Ce premier tour en France fait apparaître que les populistes ont nettement perdu du terrain en 2017. Malgré les défis qui sont encore devant nous, à la fin de l’année, l’Europe pourrait être bien plus stable qu’en janvier dernier», renchérit Stefan Kreuzkamp, chief investment officer chez Deutsche Asset Management.
La confortable avance du candidat centriste dans les sondages éloigne en effet le spectre d’un scénario noir pour les marchés. Laurence Boone, responsable de la recherche et de la stratégie d’investissement chez Axa Investment Managers, explique que «le résultat du premier tour est en ligne avec les attentes, il suggère une plus grande probabilité de gagner le second tour pour Emmanuel Macron» et que dans cette perspective, les différents schémas envisagés pour les législatives (une majorité pour le mouvement En Marche !, une majorité pour Les Républicains ou une coalition entre En Marche !, Les Républicains et le Parti Socialiste) «sont positifs pour les marchés car ils sont tous pro-réformes», continue-t-elle.
Reprise de l’Europe.
Le recul des incertitudes induit par le résultat des élections françaises met en lumière le fait que la situation économique en Europe se révèle meilleure que ce qu’anticipaient les économistes il y a encore quelques mois. La croissance, si elle reste encore relativement faible, a tendance à accélérer. «Nous sommes passés, depuis quelques mois, d’un régime de croissance aux alentours de 1,5% en zone euro à un régime de croissance plus proche des 2%», constate Olivier Raingeard, directeur des investissements à la Banque Neuflize. De la même manière, les indices de confiance ont largement rebondi jusqu’à des niveaux qu’ils n’avaient pas atteint depuis plus de cinq ans.
Faut-il s’attendre, avec ces résultats des élections en France, à un rebond des actions européennes plus fort que ce qui a été constaté jusqu’à maintenant? Certains gérants semblent aller dans ce sens. «Nos perspectives pour les actions européennes sont positives et nous pensons que la baisse du risque politique favorisera un regain d’attention pour la croissance qui s’améliore dans la région», estiment les équipes de stratégie et de gestion de BlackRock dans une note publiée le lendemain des résultats du premier tour. Chez Amundi, Eric Brard, responsable mondial de la gestion taux, constate que «les marchés sont revenus dans mode ’risk-on’, sur l’Europe, avec un retour de l’appétit pour le risque». Philippe Iturbide, le directeur de la recherche, stratégie et analyse de la même maison, considère, alors qu’une partie du risque politique a disparu, que «les fondamentaux des entreprises devraient justifier un rattrapage du marché français».
Et parmi les valeurs européennes qui pourraient bénéficier le plus d’une victoire d’Emmanuel Macron, les bancaires sont souvent citées par les gérants. «Nous pouvons nous attendre à voir une surperformance du secteur financier en France et en Europe illustrant la baisse du risque politique, ce qui bénéficiera à l’ensemble des marchés actions européens», déclare ainsi Vincent Durel, gérant chez Fidelity.
Risque américain.
L’Europe n’est cependant pas, actuellement, la seule source de risque politique. D’ailleurs, si de nombreux investisseurs ont été concentrés sur la France ces derniers jours, ils restent très attentifs à la situation italienne –où des élections anticipées pourraient avoir lieu– mais aussi –et surtout– américaine. Car aux Etats-Unis, l’élection de Donald Trump a introduit une forme de risque sur lequel les marchés attendent d’être fixés avant d’adopter une tendance claire.
Sur le nouveau continent, depuis plusieurs semaines –voire plusieurs mois– et malgré les objectifs de croissance de l’économie à 4% que s’est fixés Donald Trump, les marchés apparaissent surévalués à certains professionnels. Ainsi, le PE de l’indice S&P 500 (le ratio de prix sur les bénéfices) a dépassé le seuil de 18, soit un niveau comparable avec ceux de observés en 2003. De la même manière, ce ratio ajusté du cycle économique, le PE Shiller, a franchi la barre des 29, un plafond qui avait été dépassé seulement en 2000 et en 1929.
Il est vrai qu’avec une progression d’environ 15% depuis l’élection américaine, «sur le marché des actions outre-Atlantique, il n’y a pas de place pour une déception», confie un professionnel. Reste à savoir ce qu’est une déception. Par exemple, la remise en cause de la réforme de l’Obamacare, le système de santé en place, n’a pas été vécu comme tel par les investisseurs. Même si cela a fait prendre conscience que les mesures annoncées par le nouveau président, dont celles très attendues sur la fiscalité des entreprises (avec la diminution du taux d’imposition des sociétés et l’incitation au rapatriement de leurs liquidités détenues à l’étranger), prendraient certainement plus de temps à mettre en place qu’anticipé. Et si les indices américains ont cessé de progresser, ils n’ont pas non plus corrigé comme cela était parfois craint par les allocataires. D’ailleurs, le VIX, qui mesure la volatilité du marché américain, reste depuis le début de l’année cantonné autour de 12 ou 13, un niveau particulièrement bas.
Une survalorisation trompeuse.
Comment expliquer ce calme sur les marchés américains alors même que les valorisations et les risques induits par le caractère imprévisible du nouveau président américain militeraient pour une plus grande nervosité ? Plusieurs raisons justifient cela, selon les gestionnaires. En premier lieu, à en croire les indicateurs avancés, l’économie américaine se porte bien. Depuis l’élection de Donald Trump, les indices de confiance ont bondi, aussi bien du côté des entreprises que des consommateurs. Pas de raison, donc, d’inquiéter outre mesure les investisseurs. Ensuite, autre raison de ne pas se positionner à la vente sur les actions, «si les mesures économiques et fiscales annoncées sont bien mises en place, les profits des entreprises pourraient progresser de 15% à 18%. Dès lors, les marchés n’apparaîtraient plus du tout survalorisés, bien au contraire», affirme Christophe Donay, responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique chez Pictet.
Pas de demi-mesure.
Les investisseurs sont, de l’avis de certains professionnels, sur le marché américain, confrontés à un risque symétrique. Si la politique de Donald Trump peut être appliquée, elle peut conduire à un rallongement du cycle de croissance américain, avec un sursaut des profits des entreprises qui se traduirait dans les cours boursiers. A l’inverse, il est aussi possible que la confiance des acteurs économiques soit surestimée et que les indicateurs économiques tangibles (comme la croissance observée) n’atteignent pas les niveaux que suggèrent les indicateurs avancés. «Sans signes d’accélération de la croissance et des profits des entreprises au second semestre, les marchés pourraient corriger de manière brutale», estime un gérant. Les investisseurs suivront donc avec la plus grande attention le déroulement de la mise en œuvre de la réforme fiscale et guetteront les premiers résultats qui suivront.
Quel que soit le résultat des différentes échéances électorales en France, le risque politique n’est donc pas encore près de disparaître totalement des marchés.
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