
Richard Clarida: «L’incertitude reste élevée compte tenu de la nature sans précédent des chocs récents»

L’Agefi : Pimco a tenu, début juin, son «Forum Séculaire» sur les perspectives macroéconomiques pour les cinq prochaines années. Avec pour titre «The Aftershock Economy». Doit-on conclure que le choc est passé ?
Richard Clarida : Les perturbations économiques et géopolitiques des trois dernières années posent une nouvelle réalité que les investisseurs vont devoir prendre en compte. Notre Forum 2022 insistait sur un monde plus fracturé, où gouvernements et entreprises donneraient plus de priorité à la sécurité qu’à l’efficacité économique, avec des pressions inflationnistes potentielles si les entreprises se rapprochent des chaînes d’approvisionnement et si les gouvernements augmentent leurs dépenses énergétiques et militaires. Cela reste valable. Mais nos perspectives 2023 intègrent les nouveaux développements : des politiques monétaires plus restrictives que prévu pour faire face à l’inflation ; trois des plus grandes faillites bancaires de l’histoire aux Etats-Unis (et Credit Suisse en Europe) ; des programmes budgétaires ambitieux (Infrastructure Investment and Jobs Act, Inflation Reduction Act, CHIPS Act) en soutien d’une nouvelle politique industrielle américaine ; des signaux contradictoires sur de la Chine ; etc.
A court terme, nous anticipons des récessions modestes dans les pays développés, même si des conditions de crédit plus strictes augmentent les risques à la baisse. Les banques centrales sont proches de la fin du cycle de hausses des taux, pas d’une normalisation ou d’un assouplissement. Les réponses budgétaires pourraient être limitées en raison de niveaux de dette élevés et du rôle qu’elles ont joué dans l’inflation post-Covid.
Certains économistes estiment, à propos de l’emploi aux Etats-Unis, que la baisse actuelle des démissions volontaires précède la baisse des hausses de salaires, et que la Courbe de Phillips réapparue en 2021 va rapidement s’aplatir. Qu’en pensez-vous ?
J’ai vu ce débat, alimenté en juillet 2022 par les échanges entre les économistes du Peterson Institute (Olivier Blanchard, Larry Summers, Alex Domash) et le gouverneur Christopher Waller. Ce dernier a soutenu que la situation particulière ayant mené les postes vacants à dépasser de deux fois le nombre de chômeurs après la pandémie permettra d’amortir l’effet du resserrement monétaire sur le chômage [donc de diminuer le besoin d’intervention de la Fed, NDLR]. Il pourrait avoir raison. Les dernières données montrent une inflation des salaires et des offres d’emploi quelque peu inférieures, tandis que le taux de chômage reste faible. Mais l’incertitude reste élevée compte tenu de la nature sans précédent des chocs économiques récents, et il existe peu d’exemples historiques de ce qui se passe.
A quel niveau peut-on attendre le taux neutre ?
Nous avons aussi discuté des trajectoires potentielles des taux d’intérêt neutres réels et nominaux, en fonction de la destination des objectifs d’inflation des banques centrales au cours des cinq prochaines années. La volatilité macroéconomique et les tensions géopolitiques devraient persister. Et, avec les forces à long terme du vieillissement démographique et de la faible croissance de la productivité, nous pensons que les taux directeurs réels neutres à long terme dans les économies avancées resteront dans la nouvelle fourchette neutre, de 0% à 1%. De plus, avec l’augmentation de la dette publique et le retour possible d’une prime de risque d’inflation, nous nous attendons à ce que la courbe des rendements se pentifie : les investisseurs exigeraient plus de compensation pour les obligations à plus long terme sur l’horizon séculaire.
Peut-on revoir le débat sur un changement de cible d’inflation des banques centrales ?
La première à adopter un objectif d’inflation explicite a été la Reserve Bank of New Zealand dans les années 1990 : l’objectif de 2% est devenu la norme des grandes banques centrales parce que cette cible est suffisamment basse pour empêcher l’inflation de devenir un problème, et suffisamment élevée pour éviter la déflation. Elle leur permet d’ailleurs de maintenir ancrées les anticipations d’inflation à long terme des marchés et des agents économiques. Je ne pense pas que la cible puisse être relevée vers 3% car un niveau plus élevé diminuerait le potentiel de croissance. Ni qu’elle puisse être diminuée. La banque centrale pourrait tolérer, selon le contexte, un peu plus ou un peu moins durablement. Peut-être avec 2% et quelque chose comme destination [la stratégie ‘flexible average inflation targeting’ mise en place par la Fed en 2020 laissait penser à une fourchette autour de la cible, NDLR].
A lire aussi: Olivier Blanchard: «Il faudra augmenter les impôts ou diminuer certaines dépenses»
Quid des risques géopolitiques, politiques et technologiques ?
Les relations entre les Etats-Unis et la Chine vont rester au cœur du sujet. Comme l’a suggéré l’historien Niall Ferguson lors de notre forum, nous sommes peut-être déjà entrés dans une «seconde Guerre froide», avec des implications pour les pays du monde entier en termes d’alliances et de relations commerciales. Cela dit, nous nous attendons à ce que les changements de modèles de commerce et d’investissement soient davantage motivés par la «réduction des risques» que par la logique de «découplage». Et les chaînes d’approvisionnement ne seront pas fondamentalement transformées. D’un point de vue politique, il y a aux Etats-Unis un large consensus pour être «dur avec la Chine», quels que soient le parti ou le président à la Maison-Blanche en 2025.
L’intelligence artificielle (IA), dont les développements se sont accélérés, pourrait apparaître comme un «risque», avec des effets positifs importants sur la productivité dans différents secteurs, et donc conduire à une inflation plus faible.
A lire aussi: Le Forum de Sintra illustre la déconnexion entre économistes et banquiers centraux
Et pour les marchés financiers ?
Les banques centrales pourraient souffrir des stratégies d’assouplissement quantitatif [quantitative easing, QE] mises en place depuis quinze ans. Avec la nécessité de changements réglementaires, également dans la sphère bancaire, potentiellement au bénéfice de prêteurs non bancaires. Avec la fin des QE et des taux à 0%, et une volatilité probablement accrue, nous privilégions les investissements de qualité et liquides tout en restant prudents à l’égard des actifs plus sensibles. Les obligations de haute qualité peuvent offrir un potentiel de rendement à long terme semblable à celui des actions avec moins de volatilité – qu’elles intègrent déjà – et plus de protection. L’action des banques centrales pour maintenir leur crédibilité conforterait l’attractivité des obligations, et plus largement comme couvertures contre le risque lié aux actions dans un portefeuille diversifié. Nous faisons attention aux faibles niveaux de volatilité affichés par les dettes privées ces dernières années, surtout dans un environnement plus difficile. Les défis auxquels sont confrontés les marchés du crédit aux entreprises et de l’immobilier commercial créeront probablement des opportunités d’investissement.
Enfin, nous continuons de croire que le dollar américain, malgré l’endettement croissant des Etats-Unis et sa lente érosion dans le commerce international, conservera son statut de monnaie dominante. Mais la part des marchés émergents dans l’économie devrait s’accélérer avec la mondialisation des services et la course aux métaux de base/liés à la transition énergétique, et ce qui peut aussi offrir des opportunités de diversification, de valeur relative et de rendements ajustés au risque dans un univers plus large.
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