
Rebond boursier : 5 raisons de ne pas s’emballer

Dans une année noire pour les marchés financiers, le répit de cet automne est bienvenu. L’indice Stoxx 600 a récupéré en octobre un quart de la baisse enregistrée sur les neuf premiers mois de l’année (-20,5 %). Cette embellie tient surtout à trois facteurs. Premièrement, la chute du prix du gaz naturel en Europe (le TTF 1 mois est passé de 300 euros/mégawatt-heure en août à 200 euros fin septembre et 100 euros fin octobre) du fait de réserves très élevées et de températures extrêmement clémentes. Deuxièmement, les craintes de hausses de taux directeurs semblent plafonner, avec des pics anticipés pour les taux au jour le jour autour de 5% pour la Fed (au printemps) et 2,75% pour la Banque centrale européenne (septembre 2023). Troisièmement, le positionnement des investisseurs est très défensif, ce qui est propice à un rebond.
Faut-il y voir un vrai retournement et la fin des turbulences financières ? Pas encore. Il est possible que le niveau de 4,25%, testé par les Treasuries 10 ans en octobre, soit un pic – soyons téméraires – mais la valorisation des actifs risqués, comme les actions ou le crédit high yield, est encore exposée.
1) Il est prématuré, voire déplacé, d’envisager déjà la fin de la crise énergétique en Europe. Le recul du prix du gaz, qui tire à la baisse celui de l’électricité, est un soulagement. Mais faut-il rappeler qu’il reste cinq à six fois plus élevé que le prix de marché aux Etats-Unis ? L’accélération de la transition est vertueuse mais la montée des énergies nucléaires et renouvelables prendra plus d’une décennie, et d’ici là l’Europe fera face à un problème de compétitivité, menaçant la réindustrialisation. Quand BASF questionne la viabilité économique de sa production en Europe, ou que Northvolt menace de délocaliser son projet de manufacture de batteries aux Etats-Unis, c’est l’économie européenne qui tremble.
2) Les derniers chiffres d’inflation ont continué de surprendre à la hausse (zone euro, Royaume-Uni, Etats-Unis, Canada, etc.), ce qui retardera le pivot des banques centrales. La persistance de l’inflation, dans un contexte de tensions sociales et pressions salariales accrues, augmente le risque d’un resserrement monétaire excessif (overshooting).
3) La récession se profile déjà avec certitude en zone euro, où les PMI sont sous les 50. Les Etats-Unis, moins exposés à la crise énergétique, résistent mieux mais le durcissement des conditions financières – le pire depuis la grande crise financière de 2008 – implique un fort risque de récession courant 2023. Le spread moyen OAS de l’indice Bloomberg High Yield USD, sous les 500 points de base, ne semble pas refléter ce risque.
4) La plomberie financière globale grince. Les taux longs réels, un ancrage à la valorisation des actifs financiers, n’ont pas amorcé de décrue. Le repricing des taux directeurs est bien avancé mais les déficits publics élevés, combinés au resserrement quantitatif, pourraient tendre les primes de terme. En l’occurrence, la baisse significative des multiples actions nous semble insuffisante par rapport à la flambée des taux longs réels et la dégradation conjoncturelle (primes de risque action encore trop basses). La valorisation extrême du dollar américain a par ailleurs souvent été synonyme de déséquilibres financiers. La volatilité implicite des taux courts demeure sur des niveaux record (vol 1y1y EUR multipliée par 7 en 1 an) et reflète l’incertitude des politiques monétaires (inflation versus récession et stabilité financière). La rareté du collateral de qualité, du fait des montants immobilisés dans le bilan des banques centrales et des appels de marges liés à la montée des taux longs, se traduit déjà par des spreads de swaps euros étonnamment larges et risque de dégénérer en période de stress financier.
5) Enfin et surtout, « le roi est nu » : les politiques économiques sont inhabituellement contraintes, ce qui limite leur capacité à contrer les forces récessionnistes. La crise financière et politique causée par le gouvernement Truss, au Royaume-Uni, a livré deux leçons. D’abord, les marges de manœuvre budgétaire sont limitées, tant la dette publique a gonflé depuis quinze ans. Ensuite, l’inflation contraint le rôle de prêteur en dernier ressort des banques centrales. La Banque d’Angleterre est certes intervenue pour protéger la stabilité financière, en imprimant de la monnaie pour acheter des Gilts, mais cette action – incompatible avec la lutte contre l’inflation – ne pouvait être que temporaire.
Ces éléments militent encore pour une allocation d’actifs prudente. Nul ne sait si le retour durable de l’appétit pour le risque sera précédé par des valorisations irrésistibles ou un événement particulier – du type pivot de la Fed ou avancée diplomatique en Ukraine. Mais nous considérons que, en l’absence de déclencheur imminent, les valorisations ne compensent pas suffisamment le risque résiduel : dans l’univers « liquide », nous préférons le cash, le crédit sûr (IG corporates plus attractifs que les souverains euros, à rating équivalent) et les Treasuries (meilleures réserves de valeur et valorisation que le Bund). Pour terminer sur une note positive, nos perspectives de performance à cinq ans sur les actifs liquides sont désormais bien meilleures (palme à la dette externe émergente, avec 8 % par an attendus en euros) que celles produites à l’automne 2021, mais les rendements s’annoncent également plus volatils.
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