La Fed et les marchés peuvent tous deux avoir raison !

Le prolongement de sa politique quantitative pourrait permettre à la Fed de prolonger les effets de sa politique restrictive, même en cas d’amorce d’une baisse des taux, estime Michala Marcussen, chef économiste du groupe Société Générale.
Chef économiste de la Société Générale
Michala Marcussen

Le gouverneur Powell a fait clairement savoir que, même si l’inflation est en baisse, le Federal Open Market Committee (FOMC) est prêt à relever les taux si nécessaire. En tout état de cause, il va maintenir une politique restrictive jusqu’à ce que l’inflation suive une trajectoire de retour à la cible. Les anticipations de taux implicites du marché prévoient toutefois que le FOMC procèdera à plusieurs baisses en 2024, ce processus commençant au début de l’année. Cette vision du marché coexiste d’ailleurs avec un consensus qui projette une baisse seulement progressive de l’inflation sous-jacente de l’indice PCE (Personal Consumption Expenditures), de 4,2% en juillet à environ 3% au printemps prochain, toujours bien au-dessus de l’objectif d’inflation de 2%.

Le FOMC pourra-t-il concrétiser son intention si les marchés ont raison ? La réponse pourrait être dans la réduction du bilan de la Fed grâce à la politique dite de resserrement quantitatif (Quantitative Tightening - QT). Un indice de cette option se trouve dans le procès-verbal du FOMC des 25 et 26 juillet où «un certain nombre de participants ont noté que la contraction du bilan ne doit pas nécessairement prendre fin lorsque le Comité commence finalement à réduire la fourchette cible des taux des fonds fédéraux».

Les récents commentaires de la Fed fournissent d’autres indices. Ainsi, la présidente de la Fed de Dallas, Lorie Logan, commentant le bilan, a noté que «si nous abaissons les taux d’intérêt pour revenir à une position neutre, ce ne serait pas une raison pour arrêter la contraction». Il y a aujourd’hui probablement une marge de manœuvre pour baisser les taux, même en cas de réduction seulement progressive de l’inflation, avant que la Fed n’adopte une position neutre.

A lire aussi: Minutes de la réunion du FOMC des 25 et 26 juillet 2023

Le QT influence les conditions financières par plusieurs canaux. Son impact sur les rendements obligataires est essentiel pour permettre à la Fed de réduire les taux, tout en maintenant une politique restrictive. Les rendements des obligations du Trésor peuvent analytiquement être partagés en deux composantes : une anticipation de trajectoire des taux et une prime de terme. L’effet QT que la Fed recherche pour ramener le taux cible à un niveau neutre, tout en évitant un assouplissement injustifié des conditions financières, concernerait la prime de terme.

À l’heure actuelle, le QT permet de laisser expirer chaque mois jusqu’à 60 milliards de dollars de titres du Trésor et 35 milliards de dollars de titres d’agence ou adossés à des créances hypothécaires d’agence. Contrairement à l’assouplissement quantitatif, lorsque la Fed achetait des actifs à long terme et cherchait à comprimer les primes de terme, le resserrement quantitatif actuel peut être considéré comme « passif ». Il permet seulement aux actifs à court terme d’expirer et n’implique aucune vente « active » d’actifs à plus long terme. L’impact sur les primes de terme de la courbe des taux résulte plutôt des besoins de financement du Trésor et de la stratégie d’émission de dette. Plus ces besoins sont importants, plus la durée des émissions est longue, plus la pression à la hausse sur les primes de terme est grande.

Des besoins de financement importants

Le Trésor américain a des besoins de financement importants. La décision de Fitch de baisser la note des États-Unis de AAA à AA+ début août était motivée par « un fardeau élevé et croissant de la dette publique générale ». Même si les primes de terme du marché ne sont pas directement observables et doivent être estimées, il y a des indices d’une certaine augmentation au cours de l’été, reflétant la perspective d’émissions importantes du Trésor.

Toutefois, sur une longue période, ces primes de terme restent encore faibles. La Fed peut faire valoir qu’avec le QT, elle ne fait que ramener l’impact de son bilan sur les primes de terme à une position plus neutre. Pour la Fed, cela présenterait l’avantage supplémentaire de reconstituer des munitions si les circonstances futures nécessitaient un nouvel assouplissement quantitatif.

Le dernier aspect des considérations de bilan de la Fed découle des besoins de liquidité du secteur bancaire. Alors que la Fed poursuit le QT, la liquidité devrait se resserrer davantage, avec le risque de voir de nouvelles pressions émerger. La Fed a montré sa volonté d’apaiser les tensions lors des turbulences des banques régionales américaines plus tôt cette année et sa communication a clairement distingué ces mesures du resserrement de la politique, un point qui a bien été compris par les marchés à l’époque.

Le cycle de politique monétaire actuel entre dans une nouvelle phase. La communication de la Fed concernant son pilotage avec de multiples outils peut devenir plus délicate. Dans ce contexte, son engagement à maintenir une politique restrictive pendant une période longue et les attentes du marché en matière de baisse des taux ne sont pas contradictoires et peuvent tous deux s’avérer justes.

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