La dominance budgétaire avance

La menace sur l’indépendance de la Fed et la crise politique française illustrent un affaissement des standards de politique économique dans le monde développé, explique Vincent Chaigneau, directeur de la recherche de Generali Investments.
Generali Investments
Vincent Chaigneau
Vincent Chaigneau  -  RVTHOUROUDE

L’été aura été clément pour les investisseurs, notamment sur les marchés d’actions, le MSCI global (ACWI) atteignant un nouveau point haut fin août, en hausse de 28% depuis ses points bas d’avril, peu après l’annonce du ‘Liberation Day’. Le pire n’est jamais certain, et la panique suscitée par l’annonce des droits de douane américains constituait un point d’entrée. L’optimisme estival émane d’un recul de l’incertitude, maintenant que nombre d’accords commerciaux ont été conclus, même si certaines clauses restent mouvantes.

L'économie mondiale résiste plutôt bien. L’impulsion fiscale chinoise a aidé, sans toutefois sortir le secteur immobilier local de l’ornière. La croissance en Europe est modeste, mais les enquêtes pointent vers une amélioration, le « bazooka » budgétaire allemand aidant. Les données américaines ont plutôt rassuré, si l’on en juge des indices de surprise économiques cet été ; les dépenses d’investissement restent en particulier solides. Le Beige Book de la Fed, publié mercredi 3 septembre, confirme cependant un coup de mou du consommateur, pour cause de pouvoir d’achat en berne. Surtout, les données de l’emploi américain faiblissent. Pas seulement les créations, mais aussi les intentions d’embauche ou la facilité à trouver un emploi (enquêtes).

Notre scénario d’un ralentissement américain, certes non brutal (pas de récession a priori), tient toujours. Si ces nouvelles n’ont pas déprimé les marchés d’actions, c’est aussi parce qu’elles renforcent la probabilité de baisses des taux de la Fed. Le marché anticipe désormais 150pb de baisse de taux supplémentaires dans ce cycle d’ici à début 2027, jusqu’à 3% - un pricing plutôt ambitieux, compte tenu du rebond inévitable de l’inflation lié aux droits de douane. Ces conditions de marché plutôt clémentes ne sauraient masquer des développements politiques préoccupants dans les marchés développés. Prenons deux exemples.

La menace sur l’indépendance de la Fed

Tout d’abord, l’indépendance de la Fed est menacée. Le président Trump n’a de cesse d’appeler publiquement à des baisses de taux de la Fed. Il a également lancé une procédure pour désister la gouverneur Cook. Ces manœuvres pourraient changer la composition du Board, et influer sur la confirmation des patrons des Fed régionales début 2026, qui pour certains votent au FOMC.

En l’occurrence, nous observons un net découplage entre les anticipations d’inflation, en hausse cet été, et les anticipations de taux courts américains, en baisse. Cela pourrait certes refléter les inquiétudes sur l’emploi, dominantes dans le discours du patron de la Fed, Jay Powell, à Jackson Hole. Une autre explication possible est celle d’une perte de crédibilité, la pression politique menaçant l’indépendance de la Fed. En outre, les primes de terme ont continué d’augmenter. La courbe des taux US devrait continuer à se pentifier.

Fractures françaises

Ensuite, la crise politique française n’est guère surprenante, mais elle est aiguë. L’Assemblée est fragmentée, et une majorité n'émergera pas avant de nouvelles élections. Ces tensions reflètent une tentative de consolidation budgétaire ardue, dans un contexte social et politique complexe. Les investisseurs s’en inquiètent, et les spreads OAT (+80pb vs. Bund 10 ans, et juste 8pb sous le BTP italien) pourraient devoir encore s'élargir avant que le sérieux budgétaire ne gagne un plus grand soutien politique et populaire. Le CAC 40 a également fortement sous-performé ses pairs européens depuis 2023, ce qui est d’abord la conséquence d’une dégradation relative de la profitabilité des entreprises françaises.

Si le gouvernement Bayrou tombe, le président Macron choisirait sans doute un(e) nouveau premier ministre, qui modèrera probablement l’ajustement budgétaire. La deuxième option, moins probable, est une nouvelle élection générale anticipée dès cet automne. La gauche insistera sur l’idée, vraie, que la hausse du déficit depuis 2017 émane d’une baisse de la pression fiscale. La droite rétorquera qu’elle reste la plus haute de l’UE ; et la dépense publique, à 57% du PIB (stable depuis 2017) la plus élevée au monde, après l’Ukraine. Les investisseurs rêvent d’une plus grande clarté politique, et d’une politique de maîtrise des déficits qui n’étoufferait pas la croissance. Pas sûr qu’ils ne l’obtiennent avant l'élection présidentielle de mai 2027.

La menace sur l’indépendance de la Fed et la crise politique française illustrent un affaissement des standards de politique économique dans le monde développé. On parle également de « dominance budgétaire (ou fiscale) » – une situation dans laquelle la politique monétaire devient plus dépendante de la politique budgétaire. Cette dominance s’observe également dans l’inversion des spreads de swap allemands, ou la hausse des rendements à 30 ans du Royaume-Uni et du Japon, au plus haut depuis plus de 25 ans. Pas de raison dans ce contexte pour que les spreads de crédit ou émergents se renversent, du moins tant que les risques de récession n’augmentent pas de manière tangible.

Les marchés émergents sont à la fête cette année, tant sur le fixed income que les actions. Le recul du dollar y participe. Les accords commerciaux asymétriques sont certes des victoires claires pour le président Trump, notamment face à l’UE, le Japon ou la Corée du Sud. L’administration américaine réussit à monnayer ses services de sécurité globale, soit une forme d’hégémonie américaine. Les discussions autour de la sécurité post-guerre en Ukraine montrent par exemple l’incapacité de l’Europe à assurer sa propre défense. Ces victoires américaines à court terme, toutefois, sont un accélérateur de la recomposition de l’ordre mondial, comme l’a prouvé le sommet SCO de Shanghai début septembre. Le dollar, dont la valorisation reste élevée, reste exposé à cette recomposition, qui redistribuera les cartes dans la gestion des réserves de change. Il n’est pas fortuit que l’or ait cassé la barre des 3.500 dollars l’once, nouveau record.

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