
La BCE est tentée par une pause

Ce n’est pas encore «l’heure de vérité» pour le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) qui se réunira jeudi : il devrait a priori marquer une première pause depuis juillet 2022, après neuf hausses de taux consécutives, de -0,50% à 3,75% pour le taux de dépôt. Les membres les plus accommodants (colombes) poussent à la prudence. Les plus restrictifs (faucons), fondamentalement disposés à en faire plus, pourraient accepter de patienter au vu des chiffres d’activité au ralenti.
Economie à l’arrêt
Les enquêtes comme les indices PMI en contraction au-dessous de 50 points pourraient laisser penser à une zone euro en récession, mais de plus en plus d’économistes estiment qu’entre 45 et 55 points, seule la dynamique compte. De fait, la croissance publiée jeudi à +0,1% pour le deuxième trimestre, après +0,1% au premier trimestre 2023 et -0,1% au quatrième trimestre 2022, est à l’arrêt.
«Les signaux faibles des enquêtes et de la croissance sont de nature à entraîner une pause, et une révision à la baisse des prévisions de croissance de la BCE pour 2023 (plutôt 0,8% que 0,9% en juin) et surtout pour 2024 (plutôt 0,9% que 1,5%), estime Michel Martinez, chef économiste Europe de Société Générale CIB. Mais la récession semble peu probable, et le revenu réel des ménages ne devrait plus baisser : entre retour des salaires réels positifs, revenus d’intérêts et taux d’épargne stratosphériques, la faible consommation des ménages depuis trois trimestres ne peut que rebondir. La BCE devra sans doute faire plus le 26 octobre, ou plutôt le 14 décembre avec ses nouvelles prévisions». Pour Bastien Drut, responsable des études et de la stratégie chez CPR AM, «la banque centrale peut prendre son temps, car elle a des données concrètes sur la baisse du crédit bancaire montrant que la transmission de sa politique monétaire fonctionne bien et rapidement.»
Le scénario d’une dernière hausse reste sous-estimé pour Frederik Ducrozet chez Pictet WM. Mais la majorité des autres investisseurs penche pour une pause en septembre. «Les minutes de la dernière réunion monétaire ont montré des divergences de points de vue et il est peu probable que le Conseil parvienne à un accord, note Felix Feather, analyste économique Europe chez abrdn. Mais deux facteurs favorisent un statu quo : plusieurs gouverneurs habituellement restrictifs n’auront pas de droit de vote la semaine prochaine, notamment l’Estonien, le Belge et l’Allemand ; et une pause peut être associée à un message ‘hawkish’», ajoute-t-il, estimant que l’économie se détériorera lors des trois prochains trimestres. «Nous pensons que la BCE en a terminé de ses hausses de taux, indique Vincent Chaigneau, directeur de la recherche de Generali Investments. Mais les marchés valorisent encore à plus de 70% une hausse finale, plutôt en décembre, et le dernier discours d’Isabel Schnabel (membre du directoire de la BCE) s’inquiétant des anticipations d’inflation en hausse chez les entreprises ne permet aucune certitude.»
Salaires à rattraper ?
Cet été, pétrole et dollar ont soutenu l’inflation en zone euro (5,3% en août avec 3,2% pour l’énergie), mais les analystes ont du mal à voir cette inhabituelle hausse simultanée durer sans reprise forte de l’économie mondiale. «Or celle-ci est difficile à envisager sans une reprise en Chine et en Allemagne aussi», ajoute Felix Feather. La question est donc du côté de l’emploi, et de salaires susceptibles de ralentir la baisse de l’inflation sous-jacente (5,3% en août). «Les chiffres de l’emploi commencent à se détériorer dans certains pays comme l’Allemagne : est-ce que la hausse des salaires peut se poursuivre dans ce contexte ?», s’interroge Bastien Drut.
«C’est un mouvement de rattrapage lent, et avec un marché du travail toujours tendu, il devrait se poursuivre jusqu’à fin 2025 pour que les salaires retrouvent leur part normale dans la valeur ajoutée de la zone euro, et que les salariés retrouvent un pouvoir d’achat en ligne avec les gains de productivité», explique Michel Martinez. Au détriment des marges des entreprises ? «L’économie reste tirée par un choc d’offre, qui s’atténue doucement, et non par un choc de demande : les entreprises ont donc moins de contraintes pour limiter leurs hausses de prix», ajoute-t-il. «En théorie, la pression salariale peut continuer un certain temps. En pratique, la résistance de l’économie américaine ne nous semble pas durable, donc la politique monétaire de la BCE dépendra surtout de sa volonté de regarder (ou pas) les effets décalés sur la croissance», conclut Vincent Chaigneau.
Dernier point : les «hawks» de la banque centrale jugeant qu’elle n’en a pas assez fait au vu de taux réels encore bas relanceront sans doute vite l’idée d’accélérer la réduction du bilan via le programme d’achats d’urgence (PEPP).
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