
La BCE a ses raisons pour rester en retrait de la Fed

Tenir. Même si les risques géopolitiques semblent prendre le relais des risques sanitaires dans la tête des investisseurs, la Banque centrale européenne (BCE) devrait camper sur ses positions lors de sa réunion de politique monétaire jeudi. Les voix officielles continuent de réaffirmer, contrairement aux dirigeants de la Réserve fédérale américaine, que l’inflation actuelle reste transitoire et reviendra autour de 2% fin 2022 ou avant fin 2023. Elles ajoutent que le rythme de la normalisation monétaire dépendra des données économiques.
Lundi, les chiffres de l’inflation publiés en Espagne et enAllemagne ont pourtant encore surpris à la hausse avec respectivement 6,1% et 5,1% sur un an en janvier, au lieu de 5,5% et 4,7% attendus. «L’inflation en zone euro publiée mercredi et attendue autour de 4,4% après 5,0% en décembre pourrait aussi rester proche de 5% du fait du réajustement du panier par Eurostat, qui redonne plus de place au prix des services comme les billets d’avion», explique Delphine Di Pizio Tiger, directrice générale d’Indosuez Gestion. «Les chiffres européens vont aussi continuer à rester élevés à cause des prix de l’énergie (sur lesquels la BCE n’a pas d’emprise, ndlr), mais l’inflation ‘core’ ne décolle toujours pas», tempère-t-elle.
Divergences persistantes
Le commentaire sur le caractère plus ou moins persistant de l’inflation sera scruté de près : ce point ne cesse en effet d’alimenter les discours des membres de la banque centrale. Le 21 janvier, la présidente de la BCE expliquait encore que les prix de l’énergie devraient se stabiliser dans les mois à venir, que les goulets dans l’approvisionnement pourraient se résorber, et surtout que la hausse des salaires n’a pour l’instant rien à voir avec ce qui se passe aux Etats-Unis. Le 23 janvier, le gouverneur autrichien Robert Holzmann évoquait, de son côté, une «grande incertitude» quant à la durée de l’inflation élevée à cause de modèles imprécis et évoquait le danger d’une boucle prix-salaires. Enfin, le 25 janvier, le chef économiste Philip Lane estimait «moins probable pour l’instant» le scénario d’une inflation durablement au-dessus de l’objectif de 2%...
Malgré l’avis contraire des gouverneurs moins accommodants déjà exprimé en décembre, Christine Lagarde devrait reprendre sa rhétorique, «tout comme la volonté d’être pragmatique et agile, prête à intervenir si l’inflation était amenée à rester trop élevée par rapport à son objectif (…), commente Franck Dixmier, responsable mondial des taux chez AllianzGI. La position plus ‘hawkish’ de la Fed, qui envisage non seulement de monter ses taux mais également de réduire la taille de son bilan d’ici peu, ne devrait pas l’influencer à ce stade».
Dans tous les cas, la BCE procédera par étapes, a expliqué Philip Lane : arrêt des achats d’actifs nets, dès fin mars, arrêt des réinvestissements, puis hausse des taux. «En théorie, la sortie des politiques monétaires nécessiterait de la coordination comme pour leur lancement en mars 2020. En pratique, la BCE aura sans doute un discours restrictif, mais elle ne peut remonter ses taux tant que plusieurs pays de la zone euro n’ont pas retrouvé le niveau d’activité d’avant-crise, et alors que les soutiens budgétaires diminuent. L’arrêt des opérations de refinancement à long terme (TLTRO) fin juin pourrait quand même avoir pour effet de retirer des liquidités, comme aux Etats-Unis», poursuit Delphine Di Pizio Tiger.
«Une décennie de désinflation devrait tempérer sa volonté de normalisation, elle ne devrait pas emboîter le pas immédiatement de la Réserve fédérale américaine mais arrêter les programmes spécifiques pandémiques comme le TLTRO et le Programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP)», juge aussi Hubert Lemoine, directeur des investissements de Schelcher Prince Gestion.
La BCE peut également patienter davantage que son homologue américaine parce qu’elle subit un peu moins de pression des politiques et des marchés. «Ceux-ci achètent son discours sur une inflation transitoire, comme le montre la décrue des anticipations d’inflation, et ce alors même que les prix continuaient à augmenter», poursuit Franck Dixmier. Le point-mort d’inflation (break-even) pour l’Allemagne est en effet passé en trois mois de 1,95% fin octobre à 1,84% à 10 ans et de 1,95% à 2,39% à 2 ans. Les anticipations de hausse du taux directeur, chiffrées pour cette année par le marché des swaps, sont montées en revanche en une semaine de 1 à 2,5 hausses de 10 points de base.
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