Jerome Powell oriente la Fed vers un taux terminal à 6%

Les marchés y croient, estimant aussi que ce niveau ultime accroît le risque d’atterrissage brutal de l'économie.
Jerome Powell  président  Board  Fed Réserve fédérale
Jerome Powell, le président de la Fed.  -  Photo Fed.

Jerome Powell tente de calmer le coup de chaud à tous les niveaux. Si le président de la Réserve fédérale américaine a aussi évoqué, mardi devant la Commission bancaire du Sénat, les températures anormalement élevées qui ont fait grimper la consommation et les créations d’emplois en janvier aux Etats-Unis, c’est une surchauffe plus globale de l’économie américaine qui l’inquiète. Le banquier central s’est de nouveau appuyé, mercredi devant la Chambre des représentants, sur «les dernières données économiques plus fortes que prévu» pour «suggérer que le niveau ultime des taux d’intérêt sera probablement plus élevé que prévu».

Même si Jerome Powell n’a donné aucune indication précise, ces interventions ont suffi à faire remonter les anticipations de hausses des taux : de 25 à plutôt 50 points de base (pb) pour la prochaine réunion du Comité de politique monétaire (FOMC) le 22 mars, et à 5,25% pour le taux Fed funds (haut de fourchette) ; et de 5,5% à 5,75% pour son niveau terminal en juin. De plus en plus d’analystes, comme chez BlackRock et Schroders notamment, parlent d’aller jusqu’à 6%, ce qui serait, selon la règle de Taylor, le taux d’équilibre neutre pour une inflation durable à 3% et sans écart au potentiel de croissance (output gap).

Emploi à surveiller le 10 mars

«Si la totalité des données devait indiquer qu’un resserrement plus rapide est justifié, nous serions prêts à augmenter le rythme des hausses de taux», a précisé Jerome Powell. «Il a semblé prudent, conscient que la volatilité des indicateurs économiques impose de regarder les tendances plutôt que les données prises individuellement», explique Mohammed Kazmi, macro-stratégiste chez UBP.

Les chiffres de l’emploi et des hausses de salaires - susceptibles de maintenir l’inflation dans les services - seront encore scrutés de près à l’occasion de leur publication 10 mars, tout comme ceux de l’inflation (CPI) le 14 mars. Depuis le 3 février et les surprenantes 517.000 créations d’emplois de janvier selon l’US Bureau of Labor Statistics (BLS), les Etats-Unis ont enregistré une inflation sous-jacente encore en hausse. Elle a atteint 5,6% pour le CPI et 5,4% pour l’inflation «core» PCE. Du côté des indicateurs avancés d’activité, l’indice ISM des services demeure toujours élevé (55,1 points) même si l’indice ISM manufacturier reste en contraction (47,7 points).

Mercredi, l’étude de l’organisme ADP qui élabore les fiches de paye a par ailleurs enregistré 242.000 créations d’emplois privés en février (après 119.000 en janvier contre 443.000 dans l’étude du BLS). Les prévisionnistes tablaient plutôt sur 200.000 créations, plutôt tirées par les services et les grandes entreprises, les PME ayant détruit 61.000 emplois.

A lire aussi: Les marchés de taux commencent à intégrer une réaccélération de l’économie

Une récession en 2024 ?

Les données comme les nouvelles déclarations de Jerome Powell témoignent d’un processus de désinflation qui se met en œuvre plus lentement que prévu. «Pourtant, il n’a fait que redire que les chiffres macroéconomiques étaient bien plus robustes que prévu depuis quelques semaines», commente Sebastian Paris Horvitz, directeur de la recherche chez LBPAM, en évoquant le risque de revenir à des hausses de taux plus fortes (50 pb). «En revanche, à moins d’un affaiblissement bien plus brutal qu’attendu de l’activité, le discours de Jerome Powell, semble avoir consolidé l’idée que la politique monétaire restera restrictive au-delà de 2023. Pour nous, ceci reste le point le plus important», ajoute l'économiste, plutôt d’accord avec la nécessité de maintenir la demande et l’inflation sous pression. «La dernière publication de l’indicateur développé par la Fed de New York pour suivre les tensions sur les chaînes de production et de distribution donne une bonne nouvelle» à propos de tensions sur l’offre, revenues au niveau de janvier 2020, nuance Sebastian Paris Horvitz.

«Un taux terminal plus élevé peut s’expliquer par le niveau plus haut de l’activité américaine, justifiant par lui-même une intervention plus importante : de façon relative, cette nouvelle hausse n’est pas encore un mouvement restrictif», ajoute Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche à la Financière de la Cité. Ce dernier ne croit pas au scénario de réaccélération de l'économie américaine (no landing), même s’il reste étonné par la résistance de cette dernière face aux hausses de taux accumulées depuis un an.

En attendant, comme les marchés ne prévoient plus une baisse des taux Fed funds au quatrième trimestre, ils regagnent en volatilité. Ils semblent même prêts à repasser au scénario de «hard landing» : la courbe des taux 2 ans-10 ans américaine s’est inversée encore un peu plus depuis deux jours, avec un écart au-dessus de 100 pb (110 pb mercredi) pour la première fois depuis 1981 et un taux à 2 ans au-dessus de 5% pour la première fois depuis 2000. Un signe de récession potentielle dans les 12 à 18 mois. «Nous restons sur un scénario macroéconomique intermédiaire (soft landing) car la croissance américaine pourra aussi être soutenue par une activité plus globalement résiliente cette année en Chine voire en zone euro, conclut Mohammed Kazmi. Après le ‘sell-off’ en 2022 et la correction du mois dernier, les taux ne devraient plus souffrir autant désormais.»

A lire aussi: Les révisions sur l’inflation américaine font douter les marchés

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Fed

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...