Appréhender la fonction de réaction des banques centrales

Il est important de connaître les indicateurs sur lesquels les banques centrales se fondent pour comprendre les décisions de politique monétaire, estime William de Viljder, chef économiste chez BNP Paribas.
William de Vijlder
William de Viljder, chef économiste chez BNP Paribas  -  (DR)

La complexité de la conduite de la politique monétaire réside dans le fait qu’elle influence la demande, l’activité et donc l’inflation avec des retards variables et parfois longs. Cela complique l’analyse des «central bank watchers». Les données économiques et financières récentes sont des éléments importants, mais très partiels qui doivent être complétés par une analyse prospective, fondée sur des hypothèses portant sur la réactivité de l’économie aux impulsions monétaires.

Pour les investisseurs, appréhender la politique monétaire sur la base de règles quantitatives comme la règle de Taylor - selon laquelle on analyse l’écart d’inflation avec son objectif et celui du chômage avec la valeur d’équilibre afin de déterminer le taux d’intérêt «optimal» de la banque centrale - n’a pas de sens, car les effets retardés des resserrements antérieurs ne sont pas pris en compte. Dans ce contexte (les décisions monétaires sont très qualitatives au lieu d’être gouvernées par des règles), comprendre la fonction de réaction des banques centrales devient primordiale. Trois phases sont à distinguer : (i) quelles sont les variables prises en compte dans les délibérations de la banque centrale ? (ii) comment celle-ci réagit-elle à de nouvelles informations ? (iii) quelle sera l’évolution des données décisives pour la banque centrale ?

Concernant la première étape, les communications récentes de Jerome Powell et de Christine Lagarde permettent d’y voir plus clair. D’après le premier, la Réserve fédérale se focalise sur quatre facteurs : le relèvement cumulé des taux officiels, les retards dans la transmission de la politique monétaire, les développements économiques et financiers et les données économiques récentes. La BCE, quant à elle, s’intéresse surtout aux nouvelles données économiques et financières, à la dynamique de l’inflation sous-jacente et à la vigueur de la transmission monétaire. On constate, sans surprise, qu’il y a peu de différence entre ces deux listes de priorités, l’économie américaine et celle de la zone euro fonctionnant plus ou moins de la même façon.

En revanche, on note une divergence assez nette sur l’attention portée à la fonction de réaction de l’institution face à de nouvelles informations. Dans sa récente conférence de presse, Jerome Powell a estimé que la politique monétaire était peut-être déjà suffisamment restrictive. Christine Lagarde, quant à elle, après la traditionnelle réunion du Conseil des gouverneurs, a insisté sur le fait qu’il serait prématuré de faire une pause dans le cycle de resserrement et qu’il y avait encore du chemin à parcourir avant d’avoir une orientation monétaire permettant d’atteindre l’objectif d’inflation. Cette divergence en termes de messages, malgré des fonctions de réaction très similaires, illustre le fait que le cycle de resserrement de la Réserve fédérale est déjà plus avancé, le taux des fonds fédéraux dépassant notamment largement celui de facilité des dépôts de la BCE.

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Le crédit, une variable à surveiller

Un autre facteur à prendre en compte est le resserrement des conditions d’octroi de crédit qui, comparé à son historique, est plus drastique aux Etats-Unis qu’en zone euro. Par ailleurs, les problèmes récents de certaines banques régionales américaines ont renforcé le malaise des gouverneurs de la Réserve fédérale. Jerome Powell a signalé à plusieurs reprises dans sa conférence de presse la détérioration des conditions de crédit, et la récente enquête auprès des responsables de crédit a confirmé que cette tendance s’accentuait, en particulier au sein des banques de taille moyenne. Par le passé, on a pu constater qu’un resserrement important des conditions d’octroi de crédit aux Etats-Unis avait précédé une baisse du volume des investissements des entreprises et des investissements résidentiels des ménages. Des relations similaires entre ces variables existent d’ailleurs en zone euro.

Aux Etats-Unis, la situation actuelle rappelle celle de mai 2000 lorsque la Réserve fédérale avait arrêté la remontée de ses taux malgré un chiffre de créations d’emploi supérieur à 300.000 en moyenne mensuelle au premier trimestre. L’accès au crédit pour les entreprises était toutefois devenu difficile. Cette expérience illustre qu’il est nécessaire dans l’analyse de la fonction de réaction des banques centrales, et donc de l’anticipation de leurs décisions, de bien identifier les variables déterminantes, en tenant compte de la spécificité du cycle en cours. L’inflation et le marché de travail sont des critères importants, mais les conditions de crédit le sont tout autant.

Achevé de rédiger le 10 mai 2023

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