Michael John Lytle (Tabula) : «Dans les ETF passifs, répliquer ce que font les autres n’a que peu d’intérêt»

Le PDG et fondateur de Tabula IM dévoile les coulisses de sa stratégie depuis son acquisition par Janus Henderson, et révèle la recette du succès derrière le lancement de deux boutiques dans le secteur de la gestion d’actifs.
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Michael John Lytle, PDG et fondateur de Tabula Investment Managers  -  Crédit Little Kin Photography

L’Agefi : Tabula Investment Managers a été acquis par Janus Henderson en juillet 2024. Comment s’est déroulée l’intégration ? Comment les deux équipes communiquent-elles compte tenu de leurs différentes philosophies d’investissement ?

Michael John Lytle : Tabula IM est désormais une filiale à part entière de Janus Henderson, mais il n’y a pas de dynamique de « nous contre eux ». Tout en conservant notre nom et notre infrastructure opérationnelle pour optimiser les coûts et accélérer la mise sur le marché, nous collaborons pleinement avec Janus Henderson. La véritable opportunité réside dans l’identification conjointe de stratégies actives qui s’intègrent bien dans un format ETF.

Au moment de la fusion, Tabula gérait un peu plus de 500 millions d’euros et disposait déjà de dix produits, d’une structure solide et d’un ensemble de leviers pour servir les clients. Nous sommes partis de cette base pour passer en revue les fonds de Janus Henderson et identifier quelles stratégies seraient adaptées à un format ETF. Nous avons sélectionné cinq produits ETF actifs à lancer dans les deux premiers trimestres suivant l’acquisition.

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Au troisième trimestre 2024, nous nous sommes concentrés sur les préparatifs, ce qui a conduit au lancement au quatrième trimestre d’un ETF sur les actions japonaises, basé sur une stratégie existante de Janus Henderson et conçu pour une distribution en Europe. Nous avons ensuite lancé un ETF actif concentré sur les actions européennes et, début 2025, un ETF actif ciblant les CLO [« collateralized loan obligations », ndlr] européens.

Nos ETF composés de CLO notés AAA figurent parmi les innovations les plus marquantes du marché mondial des fonds indiciels cotés ces dernières années. Ce véhicule permet aux investisseurs d’accéder, de manière liquide et transparente, à une partie du marché européen historiquement réservée aux investisseurs institutionnels.

Vous avez lancé trois ETF actifs déjà. Quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?

Lancer des ETF fortement actifs est un choix délibéré qui reflète notre vision de la valeur et l’évolution du secteur. Nous anticipons un avenir où des stratégies actions très concentrées avec de l’alpha seront de plus en plus proposées sous un format ETF. La transparence de ces produits, leur coût réduit, leur structure tarifaire accessible et leur processus efficace de création et de rachat élargissent l’accès à ces stratégies, attirant ainsi un public plus large.

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Dans le domaine des ETF actifs, notre objectif est d’introduire une gamme attrayante de produits capables de se démarquer tout en avançant à un rythme permettant de recueillir les retours du marché. Ce serait une erreur de lancer un grand nombre de produits sans écouter attentivement les réactions des clients pour chacun d’entre eux.

Quelle est votre stratégie de croissance en Europe ? Sur quelles classes d’actifs vous concentrez-vous ?

Nous avons déjà une forte présence dans les actions et l’obligataire. Cependant, nous voyons un besoin d’élargir notre offre en dette et d’explorer éventuellement les matières premières. Les deux prochains ETF actifs que nous lancerons seront axés sur les obligations et les CLO. Notre stratégie englobe des ETF passifs lorsque c’est pertinent, des ETF actifs lorsque nous pouvons apporter une valeur ajoutée, et des produits « smart beta » ou « beta plus » pour répondre à la diversité des besoins des investisseurs.

Nous anticipons un avenir où des stratégies actions très concentrées avec de l’alpha seront de plus en plus proposées sous un format ETF.

Dans le domaine des ETF passifs, répliquer ce que font les autres n’a que peu d’intérêt. En matière d’actions, il ne reste que quelques niches à combler dans l’investissement passif, et les grands acteurs axés sur le passif continueront à lancer des ETF dans chaque créneau disponible. Notre opportunité réside dans l’identification des besoins non satisfaits et l’utilisation de notre propriété intellectuelle pour nous démarquer.

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Le défi actuel en gestion d’actifs est la différenciation. De nombreux gestionnaires semblent offrir les mêmes solutions, ce qui complique le choix des investisseurs entre plusieurs fonds passifs. Pour nous, le succès dépend d’une définition et d’une communication claires de notre proposition de valeur unique. Les investisseurs doivent comprendre rapidement qui nous sommes et la valeur distinctive que nous apportons.

Dans le domaine obligataire, où voyez-vous des opportunités de créer de nouveaux produits, notamment des ETF actifs ?

Les obligations restent une classe d’actifs sous-développée dans les ETF et les fonds en général. C’est une catégorie complexe avec une grande diversité de sous-segments, dont certains sont significatifs mais encore peu utilisés par les investisseurs. Chez Tabula IM, nous nous sommes initialement concentrés sur les indices CDS [« credit default swaps », ndlr], qui enregistrent un volume d’échanges quotidien de 80 milliards de dollars, mais qui sont peu accessibles aux investisseurs institutionnels européens. Ces indices sont dynamiques, offrant des « spreads » sans exposition aux taux d’intérêt et des prix précis que les obligations traditionnelles n’offrent pas toujours.

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L’expertise de Janus Henderson dans les CLO et les MBS [« mortgage backed securities », NDLR] aux États-Unis représente une opportunité naturelle pour nous étendre dans ce domaine. Notre objectif est de fournir un accès à des fonds obligataires gérant des paniers diversifiés de titres, avec des frais relativement faibles et des profils rendement-risque attractifs. Ces fonds peuvent offrir de meilleures caractéristiques en termes de rendement, risque et duration par rapport à d’autres actifs obligataires, en faisant une option attrayante pour les investisseurs.

Comment le marché des ETF a-t-il évolué ces dernières années ? Quelles sont les raisons de leur popularité ?

Le marché européen des ETF a considérablement évolué depuis ses débuts, à une époque où les informations sur la performance et le benchmarking des fonds traditionnels étaient rares. Aujourd’hui, les clients apprécient les stratégies passives suivant de larges indices de référence, car elles offrent une exposition au marché à un coût compétitif. À long terme, cette approche à faible coût réduit les dépenses.

Cependant l’exposition aux indices comporte des risques. Contrairement aux idées reçues, investir dans des indices larges n’est pas un choix neutre : la performance est souvent dictée par une poignée de grandes entreprises. Opter pour une position concentrée en actions au sein d’un ETF permet une exposition distincte, tout en restant influencé par la dynamique des indices globaux. L’objectif n’est pas de convertir les fervents adeptes de la gestion passive, mais d’engager des investisseurs qui prennent en compte la performance et le coût total de possession.

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Contrairement à la perception générale, les ETF ne se vendent pas tout seuls. Cependant, ils ont une capacité à créer une dynamique une fois qu’ils rencontrent le succès, ce qui est plus difficile à réaliser avec des fonds traditionnels. Un écosystème s’est formé autour des ETF, où l’attention se concentre majoritairement sur une poignée de produits performants ou innovants. Exploiter le phénomène de FOMO [« fear of missing out », la peur de manquer une opportunité en anglais, ndlr] chez les investisseurs peut avoir un impact significatif sur le succès d’un ETF. La question est de savoir comment tirer parti de cette visibilité. La raison pour laquelle le FOMO ne fonctionne pas avec les fonds traditionnels ou prend beaucoup plus de temps est que les gens n’en sont pas conscients. Il est important de rappeler que l’élan est une opportunité qu’il ne faut pas gâcher, mais qu’il ne garantit en aucun cas le succès.

Vous avez réussi à créer deux entreprises dans le secteur de la gestion d’actifs : Source, devenue Invesco ETF, et Tabula IM. Quelles leçons en tirez-vous ? Comment rester à la hauteur dans cette industrie exigeante ?

J’ai passé 18 ans chez Morgan Stanley sur divers postes, de la fusion-acquisition à la dette et au trading électronique, acquérant une compréhension approfondie du fonctionnement d’une banque d’investissement. La dynamique en banque d’investissement consiste à proposer de multiples idées aux clients et à exécuter celles qu’ils choisissent. Les produits structurés relèvent davantage de la créativité que des ventes réelles.

En fondant Source en 2008, j’ai adopté une vision différente des ETF. Ce sont des produits standardisés : il faut croire en ce que l’on met en rayon, car ces produits sont conçus pour être achetés. Contrairement aux solutions sur mesure, les ETF standardisés sont efficaces, évolutifs et moins chronophages. Au fil du temps, on construit un linéaire d’ETF pour un large éventail d’investisseurs, allant des fonds d’assurance et de pension aux investisseurs particuliers via des banques privées, des gestionnaires de patrimoine et des banques traditionnelles. Chaque produit doit répondre efficacement à cette diversité de clients.

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Issu de la banque d’investissement, j’ai remarqué une distinction claire dans les approches. Des structures comme Lyxor proposaient des solutions bancaires pour les ETF, tandis que BlackRock offrait des solutions axées sur la gestion d’actifs. Ce sont des solutions utilisant des technologies comme la réplication physique ou synthétique. Ces deux modèles ont fini par converger, créant des véhicules d’investissement efficaces et démocratiques pour une clientèle diversifiée.

La principale leçon que j’en retire est l’équilibre entre deux perspectives : la dynamique du développement de produits en banque d’investissement, où tout peut être exploré sans nécessairement être lancé, et la rigueur de la gestion d’actifs, où les produits lancés sont fiables, subissent une due diligence approfondie et restent stables à long terme. Lorsque ces deux éléments fonctionnent ensemble, la nature ou l’origine de l’institution importe moins que la valeur et la confiance qu’inspirent ses offres.

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