
Les leviers de simplification du « front-to-back »

La gestion d’actifs avance sur une ligne de crête, entre sophistication commerciale et rigueur opérationnelle. Répondre aux attentes des clients nécessite des solutions ciblées et des réseaux de distribution repensés. Dans le même temps, la pression sur les marges impose une remise à plat des chaînes internes. Simplifier, regrouper, automatiser : la transformation n’est plus une option, c’est un impératif stratégique. Sur le papier, innovation et simplification, développement stratégique, distribution et chaîne front-to-back sont difficiles à concilier… Et dans la pratique ?
Vers une sélection stratégique des fonds
L’engouement pour l’ESG s’essouffle, faute de rendements attractifs à court terme. Les fonds durables mondiaux ont enregistré des sorties record au premier trimestre 2025, à hauteur de 8,6 milliards de dollars (1). En quête de résultats, les investisseurs se tournent vers d’autres voies. Ainsi, les solutions indicielles sont plébiscitées. L’année 2024 a marqué un record historique pour le secteur des exchange-traded funds (ETF) en Europe (2). Le non-coté tire également son épingle du jeu, avec une croissance fortement soutenue par la loi industrie verte (3). Cette évolution rebat les cartes pour les acteurs traditionnels, contraints de repenser leurs offres afin de rester compétitifs dans ce nouveau contexte. Leur capacité à structurer une nouvelle offre pertinente, au niveau d’une classe d’actifs ou d’une stratégie, dans un temps court est donc essentielle pour se démarquer sur ce marché qui évolue vite.
D’un autre côté, on observe un mouvement de rationalisation des gammes de fonds. Entraîné en premier lieu par le cadre réglementaire Value for Money s’imposant aux acteurs de l’assurance et surtout la quête de rentabilité et de performance. Les distributeurs privilégient l’élimination des fonds ou classes d’actifs dont les frais sont élevés et les rendements limités. Les contraintes grandissantes sur le label ISR V3 et les fonds article 9 poussent également certaines sociétés à fusionner des fonds et stratégies ESG.
Enfin, les mouvements de consolidation entre asset managers sont toujours aussi dynamiques et entraînent inexorablement des fusions de gammes entre les sociétés rapprochées. Les gestionnaires d’actifs préfèrent donc concentrer leurs efforts sur les fonds flagship, les plus performants, afin d’optimiser les coûts de structure et rendre leur gamme plus attractive pour les distributeurs et les clients finaux.
Multiplication des partenariats et essor des plateformes
Les sociétés de gestion sont de plus en plus nombreuses à nouer des partenariats entre elles pour tirer parti de compétences complémentaires et construire des solutions d’investissement sur mesure. Ces collaborations prennent souvent la forme de gestions déléguées. Celles-ci permettent d’intégrer les expertises pointues de gérants spécialisés, qu’il s’agisse de thématiques ESG, de gestion obligataire ou de stratégies alternatives. Rothschild & Co AM, Pictet AM ou encore LBP AM illustrent cette tendance en s’associant à des partenaires stratégiques pour structurer des fonds et mandats multi-gestionnaires. L’exemple de SG Investment Solutions est particulièrement révélateur. La société propose une offre de gestion sous mandat labellisée ISR nommée 29 Haussmann Signature ISR, ainsi que des solutions d’investissement structurées (4). Elle s’appuie pour cela sur de la délégation de gestion et sur une collaboration avec des acteurs de premier plan tels que Mirova, La Financière de l’Echiquier ou Amundi, qui permettent de proposer des offres à la fois responsables et performantes.
Par ailleurs, les plateformes de distribution jouent un rôle croissant dans la structuration et la diffusion de l’offre de fonds, devenant des acteurs clés du marché. Elles constituent un point d’entrée unique pour accéder aux informations des fonds, dans une logique de transparence accrue. Allfunds, Fundchannel, MFEX by Euroclear et Clearstream totalisent plus de 2.700 milliards d’euros d’actifs administrés à travers des milliers de sociétés de gestion. Lancée en 2021, la plateforme AirFund, partiellement détenue par Amundi, ambitionne quant à elle de faciliter la distribution des fonds d’actifs privés.
Ces plateformes ne se contentent plus d’un rôle d’intermédiation. Elles remontent progressivement la chaîne de valeur de la gestion d’actifs. Elles apportent par exemple des analyses sur les comportements des investisseurs, permettant aux sociétés de gestion d’ajuster leurs offres en fonction de la demande et d’optimiser leurs revenus.
Dès lors, une question se pose. Quelles sont les principales évolutions opérationnelles de cette chaîne, permettant de répondre aux nouveaux défis réglementaires, de gestion des données et de reporting ?
Pour répondre à l’enjeu de compétitivité, les sociétés de gestion cherchent à simplifier leur modèle opérationnel. La simplification de la tarification des fonds, la réduction du nombre de dépositaires et valorisateurs, ainsi que la renégociation des contrats en sont l’illustration. Les objectifs recherchés sont multiples : réduire les coûts, simplifier les processus internes, améliorer l’expérience client, ainsi que la qualité des services apportés.
Au-delà du coût, d’autres critères sont devenus cruciaux dans la prise de décision : étendue de l’offre de services, capacité d’innovation des outils digitaux, intégration de l’IA et des plateformes blockchain, comme Iznes, FundsDLT ou DL3S. Ce phénomène est particulièrement vrai sur des activités à plus forte technicité comme la gestion des produits dérivés, la gestion du prêt-emprunt et les aspects de distribution internationale.
Les acteurs sont ainsi en recherche constante de simplification et d’optimisation de valeur. Mais cette tendance se heurte à une autre dynamique. L’ouverture à une diversité croissante de partenaires technologiques spécialisés, notamment dans les domaines de la donnée, de l’ESG et de l’automatisation des reportings, génère une complexité forte. Pour permettre le déploiement de multiples partenariats intégrés, l’enjeu majeur, comme bien souvent, se situe autour de la gouvernance des données. Les données doivent autant que possible provenir d’un modèle de données standardisé et centralisé. Des fintechs comme Weefin ou Manaos et Greenomy s’illustrent en proposant des plateformes modulaires de gestion des données ESG, d’agrégation multisources et d’automatisation des reportings. Upslide ou Seismic permettent d’automatiser le contenu marketing, voire de piloter des relations plus interactives et sur mesure avec les clients.
Face à la pression sur les marges et à l’augmentation des exigences réglementaires et technologiques, la capacité à rationaliser l’ensemble de la chaîne front-to-back devient un facteur différenciant majeur. Les acteurs qui sauront conjuguer rigueur opérationnelle, rapidité d’innovation et pertinence dans le choix de leurs partenaires bâtiront un modèle plus résilient et plus compétitif. Dans un secteur en mutation, c’est cette alliance entre efficience et agilité qui redéfinira la création de valeur.
(1) Global Sustainable Fund Flows: Q1 2025 in Review | Morningstar.
(2) European ETFs Attract Record Inflows in 2024 | Morningstar.
(3) Le non-coté a accéléré son ouverture aux épargnants en 2024 - France Invest.
(4) Société Générale Private Banking lance la première offre de gestion sous mandat labellisée ISR* - Société Générale.
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