
Sophie Sabot-Barcet - «J’anticipe une correction plus qu’un krach du marché immobilier»

L’Agefi Actifs : Pourquoi a-t-il fallu attendre 2022 pour qu’une femme devienne présidente du Conseil supérieur du notariat (CSN) ?
Sophie Sabot-Barcet : Lors de mon intronisation, j’ai commencé mon discours par «enfin!». Il s’agit de l’aboutissement d’un long processus: le pourcentage de femmes dans la profession est passé de 15,2% en 2000 à 26% en 2015. La population notariale a achevé son renouvellement avec la loi Croissance. Aujourd’hui, 56% des notaires sont des femmes, avec une moyenne d’âge à 44 ans. Une femme devait représenter la profession, mais il fallait qu’elle soit élue par l’assemblée générale des délégués de cours. Ce sont aujourd’hui 73 représentants nommés par les instances régionales pour un mandat de quatre ans; ils travaillent en commissions, débattent et votent en séance plénière les résolutions proposées par le bureau du CSN. Quand j’ai été élue déléguée en 2016, on comptait alors cinq femmes pour une assemblée composée à l’époque de 40membres. Cette assemblée est à présent paritaire. Lors de mon accession au bureau du CSN, nécessaire pour pouvoir devenir présidente, Jean-François Humbert, l’un de mes prédécesseurs, a aligné la composition du bureau du CSN sur la population notariale en âge, en parité et en tailles d’études. J’ai prolongé la ligne ainsi posée.
Quelle est aujourd’hui la représentativité des femmes et des créateurs dans les instances par rapport à leur place dans la profession?
Faire partie des instances implique de devoir gérer son entreprise et faire de la politique en parallèle. On assimile souvent les femmes notaires au salariat, mais la proportion est plus importante en libéral qu’en salariat. Pour preuve, il y a aujourd’hui 5.429 notaires femmes libérales versus 4.234 femmes notaires salariées. Les instances sont parfaitement accessibles aux femmes. Pour les créateurs, cela est un peu plus difficile, car la priorité est avant toute chose, et comme pour n’importe quel entrepreneur, de s’attacher à créer l’activité et à constituer et fidéliser sa clientèle.
Quelles seront les priorités de votre mandat ?
Il sera centré autour de l’idée d’entreprise notariale responsable. Nous sommes reconnus par les pouvoirs publics depuis 800 ans, nous sommes depuis 500 ans des officiers publics ministériels, sous la tutelle de la Chancellerie et en même temps chefs d’entreprise avec une activité de profession libérale.
Premièrement, il faut que les offices de créateurs soient davantage pérennes. Depuis 2017, il y a eu trois vagues de créations sous une ère de dynamique immobilière favorable. Les cartes d’installation, qui autorisent la création de nouvelles études, sont produites à raison d’une carte tous les deux ans. Le rythme doit être rehaussé à cinq ans en rendant les cartes optionnelles, en fonction des besoins de chaque territoire. Nos créateurs doivent pouvoir trouver le temps de s’implanter durablement et de pérenniser leur entreprise.
Il faut également rendre nos entreprises plus solides. Lors de mon précédent mandat au bureau du CSN, j’avais en charge le dossier des relations sociales. Je souhaite rafraîchir et faire évoluer notre modèle social, afin qu’il soit davantage le reflet de notre société et qu’il compose mieux avec les aspirations de nos salariés. Le nombre de nos collaborateurs a par ailleurs fortement et rapidement progressé lui aussi (45.000 en 2015, 65.000aujourd’hui) et ils expriment de nouveaux besoins. J’ai une conviction sur le partage des fruits de la croissance. Nous avons entamé des réflexions sur des schémas d’intéressement suivant le chiffre d’affaires des études, de façon incitative. J’attends sur ce terrain une attitude responsable de la part des notaires employeurs.
Troisième axe, la relation avec le client. Nous sommes très avancés sur la dématérialisation de la profession, mais il manque quelque chose dans la relation: le parcours client doit pouvoir être digitalisé aussi pour qu’il puisse contacter son notaire différemment que par téléphone. Les espaces clients existent mais ils ne sont pas utilisés partout et ne sont pas d’une sécurité sans faille. Certains notaires utilisent encore la transmission de pièces en papiers ou font des échanges par mail non sécurisés.
Que pensez-vous de la concertation sur le partage de la valeur qui se tient en ce moment ?
Il faut du pragmatisme. Je ne peux juger qu’aux bornes de la profession notariale qui compte en son sein plus de 6.700 offices avec des morphologies extrêmement différenciées dans des territoires hétérogènes. Certains offices ont engrangé au fil des trois dernières années des excédents conséquents qui doivent être investis et distribués, sans oublier de récompenser les collaborateurs. D’autres offices sont dans des régions plus difficiles. Il faut donc se garder de toute mesure obligatoire et transversale qui susciterait la méfiance, mais inciter fortement les études à tracer leur chemin d’une manière équilibrée entre les intérêts de l’entreprise et ceux de ses salariés.
Que pensez-vous du tournant proposé lors du dernier Congrès des notaires, transiter d’une culture de l’acte vers une culture du conseil?
Je partage cette position. Passer au conseil ne veut cependant pas dire que l’on oublie l’acte qui en est fréquemment l’aboutissement. Le conseil est présent à tous les instants et l’acte en est la résultante. Et un acte, quel qu’il soit, peut à son tour amener un autre conseil au client. Lequel est tantôt gratuit, tantôt peut donner lieu à une rémunération, négociée et formalisée avec le client.
Comptez-vous soutenir les deux propositions relatives à la fiducie auprès des pouvoirs publiques?
Le Congrès s’étant tenu il y a deux mois seulement, il me semble encore un peu tôt pour répondre très précisément à votre question. Mais les deux propositions relatives à la fiducieadoptées lors du Congrès des notaires nécessiteront probablement un retravail d’un point de vue rédactionnel.
Comment envisagez-vous le family-office notarial, que ce même Congrès veut développer dans la profession ?Doit-il être interprofessionnel?
Le family office est déjà pratiqué par certains notaires qui officient en interprofessionnalité sans être dans une même structure, où chaque profession a son champ de compétences et d’intervention bien définis. Il est très bon pour le client d’avoir un continuum de services, sans couture. Un bémol cependant: les professionnels peuvent assurer un service sans couture, sans doute, mais chacun doit demeurer dans ses spécificités. Le notaire, officier public, porte dans son statut des singularités irréductibles.
Jusqu’où va le rôle du notaire dans le conseil: doit-il se limiter à de l’ingénierie ou pourrait-il s’orienter vers la gestion privée ?
Franchement, là aussi, chacun est dans son rôle. Il appartient au notaire de conseiller avec rigueur et impartialité, d’accompagner, mais dans le respect de son statut, de sa mission, de sa raison d’être. Le notaire n’est pas là pour prescrire des placements, ni se substituer à d’autres sur un marché florissant de conseil en patrimoine et encore moins de gestion d’actifs.
Craignez-vous une correction des prix dans l’immobilier, voire un krach en 2023 ?
Un tassement des volumes des actes se produit depuis octobre. Nos études sont des baromètres mis à jour en temps réel: notre minutier central regroupe tous les actes, avant-contrats comme ventes, et nous permet de suivre au quotidien la vie des études. Aujourd’hui, il n’y a pas d’alerte rouge, mais 2023 risque d’être une année plus compliquée. La remontée des taux d’intérêt décorrélée du taux d’usure revu trimestriellement, la crise énergétique – qui a un double effet sur les capacités financières des acheteurs et sur leur appréhension du risque associé à la détention d’un logement, source de potentielles obligations de mise aux normes– sont autant de facteurs d’incertitude, voire d’inquiétude pour les clients. Pour ce qui est des prix, nous ne voyons pas de baisse. Je n’anticipe pas de krach mais plutôt une correction, les chiffres ne ressemblent pas aux prémices de 2008.
Pourquoi avoir créé, à l’occasion du Congrès des maires, le premier «baromètre des petites villes de demain» ?
Dans le cadre de sa mission de service public et en ce qu’il concourt à la transparence du marché immobilier, le CSN met à disposition des pouvoirs publics des ressources statistiques et d’analyse afin de mesurer la dynamique immobilière. Concrètement, cela doit permettre de mieux appréhender les évolutions de l’immobilier dans les petites villes de demain sur toute la durée du programme (2020-2026), avec des données pertinentes au regard de la qualité et de la fiabilité des bases immobilières notariales. Quatre indicateurs ont été choisis afin d’avoir une approche dynamique d’une année sur l’autre: le nombre de mutations, le prix de vente, l’origine des acquéreurs et le diagnostic de performance énergétique (DPE).
Cette première édition reflète un marché dynamique, témoin d’un regain d’attractivité, caractérisé par une hausse importante des volumes des maisons et des prix des appartements. L’on retient également une augmentation du volume des ventes de maisons anciennes dans les centres intermédiaires de 11,3% entre 2020 et 2021. Et enfin, les prix des appartements ont progressé de 7% sur un an en 2021.
Le notariat publie régulièrement des travaux sur la «valeur verte» des logements. Comment ces travaux intègrent-ils les changements liés au diagnostic de performance énergétique (DPE) ?
La valeur verte correspond à l’augmentation de valeur engendrée par la meilleure performance énergétique et environnementale d’un bien immobilier par rapport à un autre, toutes caractéristiques égales par ailleurs. La valeur verte mesurée dans cette étude représente la plus-value à la revente liée à une meilleure performance énergétique du logement.
Les récentes modifications des règles de calcul du DPE, entraînant une redistribution des logements au sein de l’échelle des performances énergétiques, rendent difficile l’interprétation des évolutions intervenues en 2021 sur la répartition et les caractéristiques des logements vendus selon l’étiquette énergie. En effet, les informations disponibles dans la base immobilière des Notaires de France ne permettent pas d’identifier les transactions au regard des DPE «nouvelle définition». Si le nouveau calcul est applicable depuis le 1er juillet 2021, on peut largement penser qu’il reste une part non négligeable de DPE «ancienne définition» sur les ventes du second semestre2021.
En France métropolitaine (hors Corse), la répartition des transactions de logements anciens selon l’étiquette énergie est quasiment stable sur un an. Les logements les plus économes (classes A et B) représentent toujours 7% des transactions effectuées en 2021. Il en est de même pour les logements les plus énergivores (F et G) qui rassemblent 11% des transactions, quand bien même l’analyse de cette répartition par trimestre montre une légère hausse de la part des transactions de logements de classe G sur le quatrième trimestre 2021 (5%) par rapport au quatrième trimestre 2019 (3%). Par ailleurs, il convient de noter que la part des logements de classe G construits avant 1947 et vendus au quatrième trimestre 2021 augmentent (33% contre 18% au quatrième trimestre 2019). Ce phénomène se constate sur l’ensemble des transactions mais dans une moindre proportion (17% au quatrième trimestre 2021 contre 14% au quatrième trimestre 2019). L’interdiction à la location d’une partie des logements de classe G dès 2023 a pu accélérer la décision de vendre chez les détenteurs de ce type de logement.
Si les locations meublées touristiques, comme l’a promis le gouvernement, devienne concernés par l’obligation de rénovation énergétique, quelles conséquences anticipez-vous?
A compter du 1er janvier 2023, en vertu de la loi Climat et Résilience de 2021, les passoires thermiques classées G seront interdites à la location classique. Ne pas couvrir les logements meublés touristiques par l’obligation de rénovation fait courir le risque d’un contournement de la loi en changeant le statut du logement. Or, dans les zones tendues en particulier ou l’offre de logement est déjà précaire, cela pourrait engendrer une raréfaction accentuée de l’offre. Au-delà de l’interdiction de louer, il est nécessaire que tous les logements soient concernés par l’obligation d’effectuer des travaux de rénovation énergétique, sans distinction.
Le ministre Olivier Klein a récemment annoncé convoquer les banques pour résoudre les difficultés de financement des rénovations, notamment dans les copropriétés...
Nous n’avons, à ce stade, pas enquêté auprès des offices sur ce point. Je ne sais qui il faut convoquer dans ce débat mais je sais que tout le monde a un peu raison: les copropriétés peuvent difficilement engager des travaux d’envergure rapidement sans s’efforcer de thésauriser, ce qui prend du temps si elles n’ont pas un accès facilité au crédit, et les organismes prêteurs, sont en quête de garanties solides. D’autant qu’une proportion non négligeable de copropriétés, de toutes tailles d’ailleurs, sont dans des situations financières précaires, voire dans des situations de blocage
Où en est la rédaction du code de déontologie du notariat, et que changera-t-il pour la clientèle?
La rédaction du Code de déontologie est terminée depuis le mois de juin. Il a été examiné et approuvé par le Collège de déontologie et est depuis entre les mains du Conseil d’Etat. Nous avons par ailleurs rénové les règles de pratiques professionnelles qui feront l’objet d’un vote en Assemblée générale extraordinaire du CSN puis d’un arrêté du garde des Sceaux. Le décret, comme l’arrêté, devraient sortir, nous l’espérons, d’ici quelques semaines. Je profite de vos colonnes pour rappeler que la réforme de la discipline et de la déontologie a été voulue par le notariat. C’est nous qui l’avons portée à la Chancellerie en octobre 2019 après six mois de travail. Ces réformes sont le signe véritable de la confiance que la Chancellerie place dans notre profession. Elles sont très mobilisatrices pour les instances de la profession en région. Concrètement, Le code de la déontologie sera mis en ligne sur notre site grand public et accessible à l’ensemble de la clientèle qui pourra en prendre connaissance. Ce sera un véritable document de référence.
Le notariat s’est toujours positionné sur l’innovation numérique, quelles sont les avancées à venir?
Mon mandat vient tout juste de débuter et il est encore un peu tôt pour vous vous dévoiler ces futurs projets et réalisations, même si le CSN et la profession y travaillent sans cesse. - Notre indépendance numérique et la sécurité de nos actes sont des sujets prioritaires. Face au risque informatique, nous serons très vigilants sur le respect de la sécurité numérique face au risque cyber qui est aujourd’hui une réalité quotidienne, pour tout le monde et pas uniquement pour les notaires.
La présidence de l’Union internationale du notariat(UINL) vient également d’être renouvelée. Quelle est la fonction de cet organisme et quel est son ambition pour le mandat à venir?
A la tête du notariat mondial pour un mandat de trois ans, Lionel Galliez prendra officiellement ses fonctions le 1er janvier 2023. Lors de son élection, il a énoncé trois priorités: défendre la spécificité du modèle notarial et la diversité de nos systèmes juridiques; étendre et approfondir les compétences des notariats membres de l’Union Européenne; établir un socle de doctrine pour affermir l’action de l’Union. L’UINL est une organisation non gouvernementale internationale, créée pour promouvoir, coordonner et développer la fonction et l’activité notariales dans le monde. Composée de 19 pays lors de sa fondation en 1949, elle en compte aujourd’hui 91 membres, dont 22 des 28 de l’Union européenne et 14 des 19 du G20. Nul ne peut être admis à l’Union que s’il respecte des critères strictement définis, vérifiés par une commission internationale. L’Union regroupe environ les deux tiers de la population de la Planète.
Partagez-vous l’opinion de votre prédécesseur, David Ambrosiano sur la confrontation toxique entre notre droit et le droit anglo-saxon?
Je soutiens ses dires. Notre droit civil est un droit écrit, d’anticipation des conflits, par opposition à la common law où les tribunaux font la jurisprudence. Notre droit continental est utilisé et pratiquéaujourd’hui dans 91 pays au monde, ceux dont les notariats adhèrent à l’UINL (Union internationale du notariat). C’est un droit protecteur.
Le droit continental et la common law ne sont pas interchangeables car ils sont le miroir de cultures extrêmement différentes, depuis des siècles. Les deux traditions sont respectables. J’estime que celle du droit continental, embrassée par la majorité des pays du Monde, a pour source le droit romano-germanique, et qu’elle appartient, viscéralement, au patrimoine socio-culturel de l’Europe.
, SON PARCOURS
Sophie Sabot-Barcet, notaire à Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire), a été élue présidente du Conseil supérieur du notariat (CSN) le 25 octobre 2022, devenant ainsi la première femme de l’histoire du notariat à accéder à cette fonction. Depuis octobre 2020, elle était première vice-présidente du CSN, un passage traditionnel pour le dauphin de l’organisation professionnelle. Elle a également été présidente de la Chambre départementale des notaires de Haute-Loire, présidente de commission au 112e Congrès des notaires de France sur la propriété immobilière et deuxième vice-présidente du CSN, en charge des technologies de l’information et de la communication, ainsi que de la formation des notaires et des collaborateurs.
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