
« L’immobilier est à un moment de rupture »

Retrouvez ici l’intégralité de l’entretien publié dans le magazine du 14 mai.
L’Agefi Actifs - Quel est votre nouveau projet?
Xavier Lépine - Avec Olivier Ramé, et le soutien de Julien Denormandie (lire l’encadré page 9, NDLR), nous avons créé Fleximmo*, une troisième voie immobilière entre la location et l’accession. L’objectif est de permettre aux Français d’avoir plus facilement accès à la propriété.
Quel est le concept ?
Fleximmo repose sur un bail emphytéotique propriétaire complété par des dispositions contractuelles. Le dispositif permet ainsi au résident d’acquérir, pour une charge mensuelle comparable à un loyer, la propriété de son bien pour une durée maximale de 25ans – sachant que la durée moyenne de détention d’un logement est de 8 à 10 ans dans les zones tendues. Il peut sortir à tout moment du dispositif, soit en acquérant la pleine propriété du bien, soit en revendant son bail à Fleximmo sur des bases contractuellement prévues dès l’origine. A la sortie, le résident récupère une épargne représentant une fraction significative des redevances mensuelles.A titre d’illustration, s’il décide de déménager 10 ans après avoir acquis son bail, il récupère au minimum 20 % des paiements qu’il aura effectués, et cela même s’il n’y pas eu d’inflation immobilière –c’est encore plus s’il y a de l’inflation. Il reçoit ainsi à minima l’équivalent de 2,5 ans de loyers. Il a donc capitalisé, évité de débourser à fonds perdu un loyer, et peut utiliser cette épargne pour devenir propriétaire.
Nous faisons l’intermédiation entre toutes les parties prenantes.Des foncières sont constituées pour l’acquisition des logements. Elles sont financées par des investisseurs institutionnels et d‘une manière générale par l’épargne de long terme (plan d'épargne retraite, caisses de retraites, sociétés civiles immobilières...). Nous accompagnons également nos clients particuliers sur l’obtention de leur crédit bancaire. Des partenariats sont en cours de finalisation avec deux grands établissements. Nous sommes actuellement en levée de fonds.
Le but est donc de capitaliser sur chaque euro dépensé pour se loger. Pour ce faire, Fleximmo permet d’arrêter de débourser un loyer à perte et, au contraire, de se constituer une épargne. C’est cela la grande valeur ajoutée de Fleximmo. Cela se fait sans modification juridique ni recours au soutien de l’Etat –donc sans subvention fiscale. Nous sommes actuellement en levée de fonds.
L’emprunteur n’étant propriétaire que d’un bail immobilier, les banques ne prennent-elles pas plus de risques?
Au contraire! Elles seules ont la capacité de saisir les biens en cas de non-remboursement du prêt. Le propriétaire a un contrat avec la foncière qui est obligée de lui racheter son bail à sa sortie du dispositif. Comme pour les prêts immobiliers classiques, la banque peut donc le saisir et le faire exécuter. Nous savons que le modèle de Fleximmo fonctionne car il a déjà été testé dans les Hauts-de-France (sans partage de la plus-value, NDLR).
Pourquoi vouloir attirer les institutionnels dans le diffus ?
Car c’est aussi leur intérêt: nous leur proposons un placement plus rentable que la gestion locativemais également moins complexe. Par exemple, il n’y a aucun risque de vacance puisque les occupants sont propriétaires et non locataires.De plus, Fleximmo est une entreprise à mission avec un très fort impact social, correspondant à leur stratégie d’investissement. Ils participent à créer de la mixité sociale et à resolvabiliser des ménages exclus de la propriété immobilière. C’est un objectif responsable et tout à fait rentable –l’objectif de taux de rentabilité interne est de l’ordre de 6 %.
La capacité financière de Fleximmo repose donc sur les institutionnels. Pourquoi vouloir les attirer dans le diffus ?
Car c’est aussi leur intérêt: Fleximmo leur offre un placement plus rentable que la gestion locativemais également moins complexe. Par exemple, il n’y a aucun risque de non-occupation des lieux puisque les occupants sont des propriétaires et non des locataires.De plus, Fleximmo est une entreprise à mission qui correspond à leur stratégie d’investissement. Ils participent à créer de la mixité sociale et à resolvabiliser des ménages exclus de la propriété immobilière. C’est un objectif à fort impact social et tout à fait rentable –l’objectif de taux de rentabilité interne est de l’ordre de 6 %.
C’est aussi un moyen de profiter de leur retour sur le résidentiel…
Tout à fait! En 1990, les institutionnels détenaient encore 15 % des logements du parc privé locatif. A présent, c’est seulement 3 %. La valeur d’usage (loyer) connaissant un décalage sans précédent avec la valeur d’échange (prix), ils se sont progressivement dirigés vers le bureau… dont ils se détournent désormais, estimant les actifs surévalués. La hausse des prix du bureau reposait jusque-là sur la forte demande et la baisse des taux d’intérêt. Mais l’impact du télétravail sur le besoin de bureau, les travaux de mises aux normes environnementales et les taux d’intérêt revenant vers une normalité de long terme rendent l’immobilier tertiaire moins attractif. Les prix des actifs primesont maintenus artificiellement par le marché qui les surévalue et par la demande, toujours très forte, notamment celle émanant des sociétés civiles de placement immobilier (SPCI). Résultat: les fonds continuent d’acheter à des prix hors sol malgré des rendements moindres.
Dans les mois qui viennent, il faut s’attendre à des ventes à la casse de bureaux vacants et obsolètes, notamment en première et deuxième couronnes parisiennes –difficultés de refinancement de foncières, arbitrages de SCPI pour des actifs «verts»…J’ajoute que les bureaux perdent aussi de leur attrait car leur entretien nécessite beaucoup decapex et qu’ils peuvent devenir obsolètes en seulement une trentaine d’années, du fait de l’évolution des usages et des besoins. Cela fait environ 1,5 million de m² obsolètes supplémentaires chaque année en Ile-de-France, où on estime entre 3 et 4 millions de m² de bureaux vides et définitivement obsolètes.
Ciblez-vous uniquement les primo-accédants?
Fleximmo peut convenir à tout type d’acquéreurs pour tout type de biens, neuf comme ancien. Le dispositif est évidemment particulièrement intéressant pour les primo-accédants, mais pas uniquement. Je pense à tous ceux qui se disent qu’ils ne pourront jamais être propriétaires car n’ayant pas suffisamment d’apport. Nous leur offrons la possibilité de capitaliser une partie de leur loyer. Je pense aussi à ceux qui ont besoin d’acheter plus grand mais qui n’en ont pas forcément les moyens, comme les familles recomposées.
Le dispositif ne revient-il pas plus cher aux habitants que la location ?
On estime que le surcoût moyen, par rapport à un loyer, peut monter jusqu'à 10 %, en fonction du bien, de l’apport initial et de la durée de détention. C’est sans compter le fait qu’avec notre solution, le coût mensuel d’accession est fixe alors qu’un loyer est indexé sur l’inflation. En revanche, notre dispositif leur revient bien moins cher que l’acquisition en pleine propriété (entre 30 % et 50 % de moins selon qu’ils aient un apport ou non). Et je rappelle qu’à la sortie, ils récupèrent entre 20 % et 35%de ce qu’ils auront payé chaque mois. Nous mettons donc fin à l’absurdité de payer un loyer mensuel à fonds perdus! Et c’est surtout davantage d’épargne automatique et mobilisable pour un autre achat.
Quid de l’ancien? L’inflexion des prix y est très lente…
Nous nous concentrons en priorité sur le neuf, qui est plus simple, avec l’objectif d’intervenir également sur l’ancien. La baisse des prix y prendra effectivement du temps et sera probablement limitée car les propriétaires ont développé une forte résistance à la baisse. Ils devront finir par se faire une raison. Cela fait des années qu’ils ont l’habitude de voir la pierre comme un actif de capitalisation. C’est l’idée que «l’immobilier, ça monte toujours». Ils sont prêts à accepter un rendement locatif moindre en échange d’une plus-value importante à la sortie. Sacrifier tout ou partie de cette dernière leur est donc difficile…
Je pense que ce biais a notamment été introduit par la loi Périssol en 1995, devenue Pinel. Elle accordait un avantage fiscal à des CSP+ pour compenser la faiblesse du rendement locatif. Cela a bien marché… même trop! La demande a été très forte, l’offre n’a pas suivi. Résultat: les prix ont explosé. Avec Fleximmo, nous changeons de perspective et revenons à ce que l’immobilier aurait dû toujours être, à savoir un bien accessible pour le plus grand nombre.
La hausse des taux et la résistance des prix sont-elles un contexte de lancement porteur?
Oui, la donne a changé. La remontée des taux a bousculé le marché. Fleximmo vise à resolvabiliser des ménages qui ne pouvaient plus emprunter suffisamment pour acheter un bien correspondant à leurs besoins. De l’autre côté, les promoteurs, qui n’avaient aucun problème pour vendre ces dernières années, se retrouvent avec une forte baisse de la demande. D‘où l’intérêt de plusieurs d’entre eux pour notre offre.
Vous êtes assez confiants sur le contrôle de la hausse des taux d’intérêt…
Nous sommes dans une économie de la dette. En 40 ans, la masse monétaire (M3) a augmenté de 10 % par an, soit plus de 50 fois, mais surtout 6 fois plus que le PIB mondial. On a créé beaucoup plus d’argent que de richesse, le tout dans un environnement de forte baisse de l’inflation du fait de la mondialisation. Pourquoi? Pour soutenir les économies nationales dans ce contexte. Comment? Grâce à la dette. L’excès de création monétaire est allé se loger dans les actifs financiers et dans l’immobilier. Tous les agents économiques ont recours massivement à l’endettement, pas uniquement les Etats. Je pense donc que les gouvernements et les banques centrales feront tout pour maintenir les taux d’intérêt assez bas afin de conserver une charge de dette supportable. Pour autant, je n’ai pas d’opinion tranchée sur leur niveau dans 20 ou 25 ans. On peut raisonnablement penser que les marchés parieront sur un retour de l’inflation à des niveaux proches des objectifs de long terme, autour de 2 %.
Comment analysez-vous la remontée des taux d’intérêt et son impact sur les marchés?
Face à la remontée des taux d’intérêt américains, l’Europe n’avait pas d’autrechoix que d’augmenter les siens pour éviter l’effondrement de l’euro, car nous achetons une bonne partie de notre énergie et de nos biens à des prix indexés sur le dollar. Les taux d’intérêt n’auraient pas augmenté aussi rapidement si nous n’étions pas dans une économie mondialisée. L’inflation en Europe n’est pas liée à un excès de la demande ou des tensions sur les salaires qui seraient motivées par une pénurie de main-d’œuvre, mais bien par des facteurs exogènes comme la guerre en Ukraine. Leur impact, combiné à celui de la remontée des taux, a été très négatif sur l’ensemble des marchés d’actifs. En 2022, ils ont tous perdu. La question est de savoir si c’était temporaire ou si nous vivons un véritable point d’inflexion.
Justement, quel est votre avis?
L’immobilier tout du moins est à un moment de rupture. A la crise de l’offre que connaît le marché depuis une trentaine d’années, s’ajoute désormais une crise de la demande sur le résidentiel. Le système français de financement par le crédit à taux fixe est également responsable de la hausse des prixdans un marché où la demande est structurellement supérieure à l’offre depuis des dizaines d’années.
Le particulier pouvait emprunter plus car la charge de remboursement mensuelle restait identique, sous le double impact de la baisse du taux d’intérêt et de l’allongement de la durée qui pouvait en résulter. L’impact symétrique se matérialise quand les taux d’intérêtmontent, mais l’ajustement du marché se fait principalement par une baisse des transactions, dans le neuf comme dans l’ancien. Cette érosion des ventes est due à la résistance à la baisse des prix, à l’inverse de leur hausse qui se matérialise quasiment immédiatement dès que les taux d’intérêt baissent.
Comment resolvabiliser les ménages ?
Je ne pense pas que l’immobilier soit excessivement financiarisé, contrairement à ce que beaucoup pensent. Dans un monde financiarisé, qu’on le veuille ou non, l’immobilier – et singulièrement le logement – en France souffre cruellement d’un manque d’innovations financières et juridiques. Cette absence s’est répercutée par une réponse autour du logement social auquel théoriquement 70 % des Français devraient avoir accès. Peut-on dire que ce soit un succès pour la sixièmepuissance mondiale? Peut-on durablement opposer le logement social au logement privé? Il faut de l’innovation financière et bancaire. C’est tout le sens de Fleximmo: le démembrement «institutionnel» est une des pistes à explorer. La «pleine» propriété était l’alpha et l’omega de la deuxième partie du XXesiècle; elle n’est plus accessible ou même simplement autant désirée dans bien des domaines (voiture, smartphone, musique, logiciels…). L'ère de la propriété est dépassée, nous entrons dans celle de l’usage, concept qu’il faut adapter au logement. Plus simplement, le recours à des tiers investisseurs purement financiers est possible pour différents types d’opération (co-investissement, accession progressive, location-accession, dette mezzanine…). Le marché de la proptech est en pleine ébullition sur ces sujets!
Mais pas les banques, à qui vous reprochez justement un manque d’innovation...
Leur dernière grande innovation, les crédits à taux fixes, remontent à plus de 60 ans ! La France en est très fière, mais ce n’est pas forcément le système le plus optimal car il est inflationniste en période de baisse des taux sans être réellement déflationniste quand ils remontent. In fine, les taux fixes sont beaucoup plus exclusifs qu’inclusifs pour les Français, les inégalités vis-à-vis du logement ayant augmenté territorialement, socialement et générationnellement. Le secteur bancaire doit innover pour recréer de la flexibilité.
Comment ?
Pour cela, il faut regarder ce qui se fait ailleurs, dans d’autres pays mais aussi dans d’autres domaines. Les constructeurs automobiles par exemple ont fait évoluer leur modèle en développant le leasing à la vente de voitures. Dans certains pays, les propriétaires seniors peuvent facilement réemprunter une fraction de la valeur de leur logement auprès de leur banque, le remboursement du capital se faisant lors de leur décès par ponction sur la cession. Cela leur permet d’effectuer les travaux d’adaptation de leur bien ou de rénovation énergétique et d’aider leurs enfants quand ils en ont encore besoin. Dans les pays scandinaves, l’emprunt est partiellement perpétuel car le prêt est fait partiellement à la personne et partiellement au bien.
Il existe des solutions pour rendre le patrimoine immobilier plus adapté aux besoins qui évoluent au cours d’une vie. Encore une fois, c’est une question d’innovation !
*Nom de code provisoire. La marque commerciale définitive sera dévoilée dans les prochaines semaines.
, Son parcours
Xavier Lépine cumule plus de 40 ans d’expérience enfinance,gestion d’actifs et immobilier. Il a commencé sa carrière à la Banque de l’Union européenne où il a accompagnéles exportateurs français dans les pays émergents dans le cadre de financements de projets. Il a ensuite créé sa propre société de gestion, FP Consult, spécialisée dans l’investissement dans les dettes des pays émergents. En 1998, il est nommé président du directoire de Fortis Investment Management et CIO des investissements alternatifs du groupe Fortis, puis fonde Alteram en 2001. Il sera président du groupe La Française de 2006 à 2020. Il préside aujourd’hui l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) et Paris Ile-de-France Capital Economique. Xavier Lépine est diplômé d’un DEA en économie monétaire et finance internationale de l’Université Paris-Dauphine.
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, Un ex-ministreau conseil Le conseil d’administration de Fleximmo accueille une personnalité politique de poids. Julien Denormandie a d’abord été secrétaire d’Etat chargé de la Cohésion sociale (2017-2018), puis ministre du Logement de 2018 à 2020, avant de partir au ministère de l’Agriculture de 2020 à 2022. «C’est un projet très innovant, à l’impact social fort, d’autant plus nécessaire dans le contexte économique actuel», souligne-t-il. Depuis septembre dernier, il est également chief impact officer de la start-up Sweep, société de conseil en réduction des émissions de carbone pour les entreprises. ,
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