Les gestionnaires d’actifs échappent à un chamboulement de leurs modèles d’affaires

Le texte présenté par Bruxelles le 24 mai pour protéger les épargnants a soulagé les distributeurs de produits financiers en n’interdisant pas totalement les rétrocessions. Mais c’est tout le secteur de la gestion d’actifs en France qui aurait été affecté si une telle décision avait été prise.
Franck Joselin
European flags in Brussels
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Les distributeurs de produits financiers en France ont senti passer le vent du boulet, les sociétés de gestion aussi. Le texte sur la protection des épargnants (RIS, pour Retail Investment Strategy) présenté le 24 mai par la Commission européenne aurait pu totalement remettre en question le modèle des gestionnaires français en bannissant les rétrocessions sur les produits financiers. Finalement ce ne sera pas le cas, même si la pratique est rendue plus stricte et qu’une clause de revoyure dans trois ans n’écarte pas totalement le danger d’une interdiction future.

Pendant des mois, la commissaire européenne aux Services financiers, Mairead MCGuinness, s’est affichée contre le système des rétrocessions des frais de gestion sur les produits financiers, largement utilisé dans l’Hexagone. Or le texte définitif autorise cette pratique, même si les règles en sont durcies. L’Europe ne prendra donc pas la voie empruntée en 2013 par la Grande-Bretagne, qui a abandonné ce mode de rémunération de la distribution avec la réglementation imposée par la Retail Distribution Review (RDR).

Les intermédiaires financiers auraient été les plus touchés par cette interdiction, car les rétrocessions constituent l’essentiel de la rémunération de conseil pour près de 70% d’entre eux, mais les sociétés de gestion n’auraient pas été épargnées. Pourtant, en France, le poste de frais correspondant aux rétrocessions pèse pour environ 30% des charges, selon une étude publiée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en février 2023. Cette proportion est en baisse constante depuis 2016, lorsque ces coûts représentaient 35% des charges, mais les ordres de grandeur restent comparables. Pourquoi, alors, la suppression de cette pratique serait-elle nuisible aux gestionnaires ? Plusieurs effets néfastes pour leur rentabilité pourraient se cumuler.

Dans une étude publiée fin avril par JPMorgan, les analystes expliquaient qu’une interdiction totale des rétrocessions pourrait exercer «une pression importante sur les marges de frais de gestion d’actifs, car elle introduirait un dégroupage des coûts de production et de distribution des produits et un degré de concurrence plus élevé dans le secteur». JPMorgan examine avant tout les grandes structures cotées, comme Amundi, mais ces conclusions restent valables pour des établissements de taille plus réduite.

Non seulement le poste des charges liées à la distribution ne baisserait pas forcément, mais les gestionnaires pourraient aussi subir une érosion de leurs revenus. Or ce dernier point se révèle particulièrement sensible. A titre d’exemple, les frais de gestion revenant aux gestionnaires appliqués aux investisseurs institutionnels, un secteur nettement plus concurrentiel que celui des particuliers, s’échelonnent en moyenne en France d’environ 0,05% pour les mandats à 0,4% pour les fonds. Pour les particuliers, les ordres de grandeur apparaissent différents. Les frais reçus vont de 0,6% pour les mandats à plus de 1,1% pour les fonds.

Le pire est toujours possible

Si «le pire a été évité», estiment nombre de professionnels du secteur, le texte de la Retail Investment Strategy ne sera toutefois pas sans conséquences. L’Europe veut imposer davantage de transparence sur les frais. Or, comme dans toute industrie, cette transparence devrait entraîner, toujours selon JPMorgan, «une pression sur la marge des gestionnaires». Mais sans commune mesure avec ce qu’aurait entraîné la suppression des rétrocessions. Car si les marges des sociétés de gestion sont attendues à la baisse, cela ne se reflète pas dans les chiffres en France. Toujours selon l’AMF, la marge d’exploitation des gestionnaires d’actifs, après une baisse de 23% à 20% entre 2017 et 2019, est remontée à près de 23% en 2021 (les derniers chiffres disponibles).

La transparence n’est pas le seul point qui pourrait affecter la rentabilité, encore élevée, des gestionnaires. Le poste des coûts devrait, lui aussi, augmenter, car la Retail Investment Strategy «prévoit un renforcement des exigences réglementaires pour les concepteurs de produits, notamment en termes de reporting», ont constaté certains avocats qui ont examiné le texte dans le détail. Ces frais pourront se répartir avec les distributeurs, mais les gestionnaires seront mis à contribution.

Enfin, certains acteurs du marché considèrent que le durcissement des conditions dans lesquelles les rétrocessions sont attribuées ne constitue qu’une étape vers une interdiction totale dans trois ans. Du travail en perspective pour les lobbys financiers.◆

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