
Le retour du client au centre de la communication
Sur les blogs, dans la presse, à la télévision, on a tout lu, tout entendu depuis quatre ans autour de la crise. On a reçu des explications ultra-techniques, écouté des informations approximatives, entendu des commentaires alarmants puis rassurants, croisé des individus sidérés, découvert des visionnaires après coup, répété des vérités et des contrevérités. Les banques, en fait, ont souvent été en première ligne et l’effet a été dévastateur pour ces paquebots retenus au cœur de la tempête.
Arrogantes, méprisantes, irresponsables, intouchables…, les reproches ont fusé depuis 2008. Le sentiment de toute-puissance que les banques ont pu inspirer a irrité l’opinion et suscité une attitude de défiance de la part de particuliers exaspérés face à une crise et un monde financier qui les dépassent complètement et dont ils s’apprêtent à payer aujourd’hui, avec une certaine rigueur, les pots cassés.
Afin de restaurer un climat de confiance, les établissements bancaires opèrent un retour aux sources en misant, à coups de slogans et de campagnes publicitaires résolument tournés vers le client, sur la proximité. L’intention est plus que louable et tout à fait raisonnable à condition que les promesses soient suivies d’actions sur le terrain par leurs collaborateurs, particulièrement par les conseillers en contact direct avec la clientèle, à la fois les meilleurs promoteurs et, dans certains cas, les pires défenseurs de leur image.
Des surprises en cascade.
En 2007, on avait bien entendu parler ici et là au premier semestre de quelque danger venu d’ailleurs, mais les inquiétudes n’avaient finalement pas vraiment traversé l’Atlantique. En suspendant la valeur liquidative de trois de ses fonds en août de la même année, BNP Paribas a créé un coup de théâtre et marqué le début en France d’une crise désormais rentrée dans l’histoire. Quand la Société Générale a annoncé, en janvier 2008, la fraude de 4,9 milliards d’euros d’un de ses traders, la France est restée stupéfaite, refusant de croire qu’une banque pouvait tomber sous l’effet d’un seul homme. En septembre de la même année, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers déposait le bilan.
Et la crise n’en finira plus d’amener avec elle son lot de surprises, balayant sur son chemin toute une ribambelle de croyances établies. Au-delà des événements ponctuels qui ont frappé à tour de rôle la solidité et la réputation des banques, c’est tout un secteur, sans distinction, qui a été mis à mal, introduisant au fil des découvertes le terrible doute dans toutes les têtes: peut-on encore faire confiance aux établissements bancaires ?
Le revers de l’état d’urgence.
Face à des annonces plus folles les unes que les autres, les émotions se sont bousculées dans les esprits: choc, désarroi, suspicion, incompréhension, chacun a parlé avec son cœur. Les protagonistes eux-mêmes ont dû faire face à la sidération. Alors la communication des dirigeants, plus délicate que jamais dans l’urgence, n’en a été dans bien des cas que plus maladroite. En qualifiant Jérôme Kerviel de «terroriste», la Société Générale n’avait-elle pas tapé un peu fort, d’autant que l’opinion publique, déconcertée, s’est par la suite plutôt rangée derrière le trader, considérant sérieusement, au moins dans un premier temps, la théorie du complot ? L’euphémisme «un incident» utilisé par la Caisse d’Epargne pour caractériser la perte de 600 millions d’euros générée par trois de ses traders n’a pas été mieux reçu.
Si les banques, fort heureusement, sont encore debout, elles n’ont pas toujours su de trouver les mots qui sonnent juste quand, dans la précipitation, il a fallu communiquer. Mais plus que les maladresses de communication pardonnables face aux insoupçonnables révélations, ce sont le comportement et les actions qui ont suivi, peu en phase avec les préoccupations du public, qui ont choqué et indigné l’opinion.
Moins d’arrogance, plus de proximité.
«Le client va pouvoir admettre que la banque a fait une erreur. Ce qu’il ne va pas tolérer, c’est qu’elle ne prenne pas ses responsabilités par rapport à cette erreur», explique Hedi Hichri, directeur conseil de Fleishman-Hillard. En conséquence, l’opinion publique a eu du mal à digérer les différentes attitudes jugées, en leur heure, arrogantes et déplacées. L’épisode des bonus attribués en 2009 n’a pas vraiment été un coup de pub. Le «tout-va-bien-chez-nous» non plus, encore moins avec du recul.
En temps de crise, la sobriété est de rigueur, le discours de vérité et d’honnêteté une posture attendue et un moyen de garder la confiance de ses collaborateurs et de ses clients. «Le public, sous couvert de transparence, attend surtout de la vraisemblance», rappelle Didier Heiderich, fustigeant le mot transparence «usé à la corde jusqu’à en perdre tout indice d’honnêteté».
Aujourd’hui, les banques de détail nationales, conscientes de la dégradation de l’image du secteur en général, tentent de retrouver la faveur du public en revenant sur des notions de proximité et de dialogue (lire l’encadré), valeurs qu’elles avaient troquées ces dernières années pour des discours un peu trop incantatoires.
La magie du renouvellement avait commencé à opérer jusqu’à ce que les banques soient rattrapées par la crise et les valeurs bancaires de nouveau massacrées en Bourse durant l’été, affectant, selon le baromètre Posternak Ipsos, fortement leur image de marque: en bas du classement, LCL (-14%), Crédit Agricole (-29%), BNP Paribas (-30%) et Société Générale (-38%) ont été beaucoup plus touchées que leurs homologues mutualistes, le Crédit Mutuel, la Caisse d’Epargne et la Banque Populaire.
Trouver des responsables.
Dans un contexte d’agitation extrême et de difficultés économiques avérées, les instances politiques aiment bien trouver des boucs émissaires pour donner l’impression que tout est sous contrôle. Afin de ne pas ébranler ses croyances, la population aussi a besoin de désigner des responsables. Au cœur de la tourmente, les banques constituent une cible toute trouvée.
En témoignent ces entreprises qui ont tiré profit de la réputation sulfureuse des établissements bancaires pour promouvoir leur propre marque tout en humour, pour qui peut rire de la crise évidemment. Ainsi, les publicités de la compagnie aérienne Transavia «Dépêchez-vous, les banquiers vont prendre toutes les places», ou du constructeur automobile Volkswagen avec ses traders anonymes cherchant à soigner leurs pulsions spéculatives, n’ont pas manqué l’occasion de rappeler les excès du secteur.
Sans attribuer aux banques le statut de victime qu’elles auraient du mal à faire valoir, il ne faut pas non plus les accabler de tous les maux.
Elles ont mis du temps à réagir, occupées à gérer d’autres priorités peut-être, ou cherchant le bon moment pour légitimer leur prise de parole et éviter un effet contre-productif, mais aujourd’hui, sous la pression cumulée de l’opinion publique, des médias et des politiques, elles démontrent tout de même leur volonté d’expliquer ce qu’elles font.
Fluctuat nec mergitur.
Malgré la tempête, les banques françaises sont toujours là et comptent bien le faire savoir. Pour rétablir la confiance, mais aussi quelques vérités si on en croit l’action de communication de la Fédération des banques françaises (FBF) -«Parlons de la banque et parlons-en vraiment»-, la profession a mené plusieurs opérations depuis un an. La dernière en date, «Il y a tout ce qu’on dit sur les banques. Et puis, il y a la vérité», revient sur les rumeurs qui circulent autour des banques et que ces dernières jugent infondées.
A l’allégation «Les banques ne font plus leur travail de financement de l'économie», la FBF se rebiffe en rappelant quelques chiffres sur leur activité de crédit. Valérie Ohannessian, directrice générale adjointe de la FBF, reconnaît volontiers que «les banques ont été réticentes à parler plus tôt et plus fort car elles ne se sentaient pas immédiatement fondées à le faire devant la violence des critiques qui leur étaient attribuées». Ce qui a alimenté les conjectures et les polémiques. Elle explique ces confusions par le fait que, depuis 2008, «les sujets bancaires et financiers sont descendus dans la rue. D’ordinaire réservés à des initiés, ils sont devenus des thèmes grand public traités par les médias de masse et non plus par la seule presse spécialisée. Les Français ont découvert en un laps de temps très court et de manière brutale ce qu'étaient une obligation, une agence de notation et autres concepts techniques dont ils n’avaient jamais entendu parler».
La FBF a par ailleurs prolongé son action pédagogique avec le lancement du site «tout sur la crise». Abordé «avec beaucoup d’humilité», ce rôle de communicant, d’après les tests effectués après diffusion, n’en est pas moins attendu. Reste une question: communiquer pour riposter est-il efficace ?
Communiquer sur les réseaux sociaux, oui, mais…
«Pour ne pas donner l’impression de se justifier après coup et éviter ainsi de se retrouver en position de bouc émissaire, il faut prendre les devants, prendre la parole, précise Hedi Hichri, considérant les réseaux sociaux comme un bon moyen d’être proche de certains publics clés de l’entreprise. L’erreur serait, en situation de crise, de craindre de communiquer et d’engager une certaine forme de dialogue.» Quitte à ce qu’il y ait désaccord, les banques doivent donc échanger, s’exprimer, s’expliquer et ne pas attendre la floraison de communautés antagonistes pour contre-attaquer. «On dit souvent qu’une crise se gagne avant même qu’elle ne se déclenche. Créer ces liens avec leurs publics aujourd’hui leur permettra demain de mieux protéger leur réputation en situation sensible», poursuit le professionnel.
Cependant, les bénéfices escomptés ne doivent pas faire oublier les risques que représentent les réseaux sociaux, notamment celui de perdre en partie le contrôle de la communication. «La prise de parole sur les réseaux sociaux devrait être considérée avec la même importance qu’une prise de parole média, explique Didier Heiderich. Or, on trouve dans les entreprises des gestionnaires de communauté (plus communément appelés community managers) qui ne sont pas au cœur de l’information, pire, qui sont recrutés en externe. Parce qu’internet évolue plus vite que les organisations, les acteurs suivent le mouvement sans se demander auparavant pourquoi l’accompagner, quelle stratégie développer.»
Ne pas négliger la communication interne.
Aux premières loges de la crise et des mécontentements, les employés des banques n’ont pas le rôle le plus facile à endosser. C’est à eux que revient la lourde tâche de prêcher la bonne parole, le plus souvent contre vents et marées. L’enjeu de communication en interne est donc capital pour les dirigeants afin de remporter l’adhésion des salariés.
Si une campagne de communication ne peut, a priori, être lancée sans y avoir associé au préalable les collaborateurs en interne pour qu’ils puissent souscrire au positionnement et porter les valeurs de l’entreprise, les faits ne semblent pas toujours refléter l’engagement proclamé des banques par l’intermédiaire de la publicité.
De la proximité et du dialogue en guise de promesse? Lorsque les portefeuilles des conseillers dépassent 800 ou 900 clients, elle paraît difficile à tenir. A quand un indicateur du bonheur net bancaire ?
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