Jamais l’information client n’a présenté autant de valeur

Si les banques privées ont compris l’intérêt de connaître leurs clients, elles ne disposent pas toutes d’outils de gestion de la relation efficaces - Bien alimenté et bien adapté, ce type d’outil apparaît comme un vecteur de performance à même de mieux segmenter la clientèle.

Alors qu’Amazon caracole en tête des entreprises exploitant le mieux les comportements d’achats de ses internautes, d’autres sociétés, qu’on imagine à la pointe en matière de gestion de la relation client (GRC ou plus communément CRM pour customer relationship management), n’en sont finalement qu’aux prémisses dans ce domaine. La grande distribution, par exemple, viendrait tout juste de mener sa révolution pendant que d’autres industries n’auraient aucune vision élaborée de l’utilisation des données relatives à leur clientèle.

Quelque part au milieu, le secteur bancaire n’est ni premier de la classe, ni mauvais élève. Il a depuis plusieurs années bien compris l’importance de placer le client au centre de ses préoccupations mais n’exploite pas pour autant parfaitement ce qu’il sait de lui. Ou ne l’optimise pas, c’est selon. Car c’est autant du partage de l’information que de son analyse dont il est question. Il ne suffit plus de collecter, il faut désormais traduire la donnée en connaissance accessible à tous, puis en actions, le tout dans une logique multicanal, afin de fidéliser le client, de conquérir le prospect, d’assister la prise de décision, de mieux gérer l’allocation des ressources et, in fine, d’améliorer l’activité commerciale (lire l’avis d’expert).

En banque privée, le service client résonne comme une évidence depuis longtemps, mais la gestion de la relation n’est pas encore totalement ancrée dans la modernité. A l’heure où il n’est plus question que de données de masse (big data) et de transformation en temps réel des empreintes laissées sur les différents supports de communication en valeur ajoutée, les anciennes méthodes de stockage (le dossier papier ou, pire, la tête des conseillers) semblent clairement dépassées. D’autant que la rotation des effectifs des banques, plus fréquente que par le passé, nécessite un continuum dans la gestion.

La connaissance du client, une responsabilité.

Sous la pression réglementaire –la transposition en droit français de la directive MIF en novembre 2007 signant le début de l’encadrement de la connaissance client–, les banques privées se sont trouvées dans l’obligation de se mettre à la page, d’une part en informatisant la relation de manière plus systématique, et d’autre part en abrogeant définitivement l’approche produit au profit d’un dispositif centré sur le besoin client.

Dans la plupart des cas, cette contrainte a fourni une bonne excuse aux établissements pour solliciter les clients et, surtout, faire évoluer les comportements de leurs banquiers privés qui, jadis, pouvaient quitter leur entreprise en ne laissant qu’un minimum de traces. Face aux exigences réglementaires aujourd’hui renforcées, «les banques ne peuvent plus se permettre de laisser des conseillers gérer des clients dont elles n’ont pas la maîtrise», explique François Genaux, partner chez PwC Luxembourg. Et d’obliger désormais les chargés de clientèle à documenter chaque rencontre, chaque décision, chaque mouvement. Parallèlement, l’outil informatique mis à leur disposition se doit d’être à la hauteur des masses d’informations à capturer.

Conduite opérationnelle du changement.

Malgré une incitation certaine à en faire bon usage, les banquiers privés, pour de multiples raisons, ne voient pas toujours d’un très bon œil ces outils de CRM censés pourtant faciliter leur activité, si bien que la contribution active des commerciaux à l’enrichissement des bases de données est suivie de près. «C’est davantage un réflexe à créer», tranche pour sa part Alain Gerbaulet, en charge de l’animation gestion privée des Caisses d’Epargne. Si les mauvaises pratiques ont la vie dure, elles se dissipent avec le temps et l’arrivée de nouvelles générations.

Pour enclencher un cercle vertueux, il convient d’expliquer à tous les échelons de l’entreprise la pertinence de ces outils afin qu’ils soient perçus comme une aide à une meilleure compréhension de la clientèle. Pour que les informations se transforment en connaissance des besoins (et ainsi faciliter la fidélisation du client), puis en actions commerciales (et ainsi rentabiliser l’activité), la formation des populations constitue un préalable indispensable à tout lancement d’un projet stratégique d’une telle ampleur. Car sa réussite est conditionnée à l’adhésion de la direction générale, certes, mais aussi à celle des ressources humaines. C’est donc dans la conduite du changement que se situe l’un des plus grands défis des banques privées à l’heure actuelle.

Amélioration des équipements.

Pour les activités de gestion privée des grandes banques de détail, contrairement aux banques privées traditionnelles, l’outil de CRM résulte rarement de l’implémentation d’un logiciel ad hoc, mais le plus souvent d’un réarrangement de l’outil informatique existant pour tenir compte des spécificités de la clientèle haut de gamme. Si les équipements étaient jugés, il y a quelques années, très inégaux d’un établissement à un autre, il semble que le secteur, invité à investir massivement, montre désormais davantage d’homogénéité dans la gestion de la relation client, même si la définition, et donc l’identification des besoins, ont parfois compliqué leur mise en œuvre.

«Trop souvent, les directions générales se sont retrouvées à financer des projets considérables en installant des solutions totalement disproportionnées par rapport aux besoins réels de l’entreprise», constate Jean-Paul Baradel, ancien directeur de la distribution de HSBC France, aujourd’hui consultant indépendant. «Vu l’enjeu d’adoption de l’outil par les collaborateurs, il convient de privilégier quelques fonctionnalités qui fassent consensus auprès des différents services utilisateurs à la mise en place d’une immense machine. Ce sont des outils qui gagnent à être vécus pour permettre une meilleure identification ultérieure des besoins de chacun», poursuit Cécile Huntzinger, directrice chez Eurogroup Consulting.

Faire confiance à l’humain.

Mais en banque privée, la compétence d’un conseiller n’a pas forcément d’équivalent logiciel et les clients formulent des demandes qui ne cadrent pas toujours avec le système. Il convient alors de paramétrer subtilement les outils – nécessitant temps et argent – pour permettre au collaborateur de disposer des marges de manœuvre nécessaires pour s’adapter aux spécificités de sa clientèle.

«Par une gestion intelligente des habilitations, il est possible de laisser la main au conseiller sur un certain nombre de paramètres afin qu’il bénéficie d’un pouvoir de décision sur l’usage de certaines données», déclare Cécile Huntzinger. A commencer par lui permettre de configurer ses rendez-vous par rapport à des critères propres à ses clients et à leur vie patrimoniale et non pas par rapport à l’échéance de leurs produits (et leur faire subir d’inutiles relances automatiques). Car ce sont bien les besoins des clients qui doivent désormais guider les réflexions de la banque. Avant d’être un outil, le CRM est d’abord une vision devant se traduire par la mise en place et le maintien d’une relation de confiance dans le temps entre un établissement via son conseiller et un client final.

Vecteur de performance.

Si la gestion de la relation client consiste à mieux comprendre pour mieux servir le client, elle reste un moyen pour le conseiller d’alimenter efficacement son activité commerciale. En compilant et en centralisant les données recueillies, la banque peut réviser la segmentation de sa clientèle en fonction d’autres critères que le montant des avoirs qu’elle lui a confiés tels que son aversion au risque ou, pourquoi pas, sa sensibilité au développement durable.

«Le CRM permet de ne plus traiter le client par hasard, résume François Genaux, mais de cibler ses actions sur la base d’un profil précis et des besoins définis.» Les outils disponibles permettent également une meilleure allocation des ressources. «Bien souvent, un conseiller ne va maîtriser qu’une petite partie de son portefeuille et va toujours remplir ses objectifs grâce aux mêmes relations. En plus de libérer du temps grâce à l’automatisation d’un certain nombre de tâches, les outils vont lui permettre de connaître davantage de clients ce qui, mécaniquement, augmentera ses performances commerciales», explique Jean-Paul Baradel.

Modéliser les comportements pour gérer l’attrition.

Les banques privées ne peuvent plus se contenter d’offrir à leurs clients – dont la nouvelle génération est plus mobile, plus pressée, plus avertie, plus connectée – un point de contact unique, le conseiller, mais sont contraintes de leur proposer l’ensemble des solutions de communication modernes. Ce, «en ne présumant pas de la façon dont ils vont utiliser les différents canaux mis à leur disposition», rappelle Jean-Paul Baradel, au regard de son expérience. L’accélération de l’utilisation des nouvelles technologies, qui a créé de nouvelles attentes, a renforcé l’intérêt de disposer d’outils performants capables de centraliser l’information à tout moment quelle que soit la porte d’entrée empruntée par le client. La mutation est enclenchée jusqu’à la prochaine révolution, puis la suivante…, car il n’est plus uniquement question de données issues d’un outil informatique mais de données de masses (big data) provenant de multiples traces laissées ici et là sur le net.

Il est aujourd’hui possible d’extraire et d’analyser ces volumes d’informations en temps réel, mais les banques privées en sont bien loin. Avant d’être en mesure de modéliser, à partir d’un ensemble de données numériques structurées ou non, croisées les unes avec les autres, les comportements des clients (ou prospects) pour en tirer des règles et anticiper leurs besoins, la marche peut être bien longue. Par exemple, il n’est pas encore possible de maîtriser l’attrition en repérant les signes avant-coureurs d’un départ. Ce qui est dommage car il est beaucoup plus facile de retenir un client que d’en capter un nouveau.

Les possibilités offertes aux entreprises et à l’industrie bancaire en particulier semblent infinies, avec le risque toutefois d’empiéter fortement sur la vie privée et les libertés individuelles. Qui sait aujourd’hui où s’arrête la connaissance client ? Personne n’a répondu de manière tranchée à la question.

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