
Fiscalité des non résidents : L’histoire sans fin des prélèvements sociaux

La saga des prélèvements sociaux des non-résidents continue. Dernier rebondissement en date, une décision de la cour administrative d’appel de Nancy du 31 mai 2018 remet en cause la réaffectation des contributions sociales sur les revenus du patrimoine mises à la charge d’un contribuable relevant du régime de sécurité sociale suisse à la suite de la jurisprudence «de Ruyter».
Contexte. Les dernières décisions en la matière(1) avaient laissé un goût amer, en admettant la légalité de l’assujettissement aux prélèvements sociaux des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers (en l’espèce la Chine). Une nouvelle décision rendue par la cour administrative d’appel de Nancy le 31 mai 2018 (n°17NC02124) relance le débat sur l’assujettissement des personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre situé hors Union européenne (UE) ou de la Suisse. Afin d’appréhender l’importance de ce nouvel acte, il est essentiel de faire un rappel des épisodes intervenus précédemment.
Principe d’unicité d’affiliation. Le 17 juillet 2013, le Conseil d’État a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle (2) pour déterminer si les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (3) entraient dans le champ d’application du règlement du 14 juin 1971 - remplacé depuis par le règlement du 29 avril 2004 (n°883/2004 ) - qui coordonne les régimes de sécurité sociale des travailleurs européens. Ce texte pose un principe d’unicité du régime de protection sociale selon lequel les travailleurs, salariés et non-salariés se déplaçant à l’intérieur de l’Union européenne sont affiliés «au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités».
Affectation des prélèvements. Le 26 février 2015 (4), la CJUE a répondu par l’affirmative au Conseil d’État en jugeant que l’assujettissement aux contributions sociales des revenus du patrimoine des contribuables non-résidents, qui ne relèvent pas de la sécurité sociale française, était contraire à la règle d’unicité édictée par le règlement de 2004. Elle a relevé, à cet effet, que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) perçues sur les revenus du patrimoine étaient affectées spécifiquement au financement du régime de sécurité sociale français et que ces prélèvements présentaient «un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement, indépendamment de l’absence de relation entre les revenus du patrimoine des personnes assujetties et l’exercice d’une activité professionnelle par ces dernières».
Exonération. Le Conseil d’État a pris acte de cette décision dans un arrêt du 27 juillet 2015 (n°365511) en se fondant sur le double principe d’unicité d’affiliation à un régime de sécurité sociale et d’unicité de cotisation pour décider qu’un contribuable affilié exclusivement à un régime de sécurité sociale étranger relevant du règlement européen sur la sécurité sociale ne saurait être soumis en France aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine. Dans le prolongement de cette décision, de nombreuses réclamations ont été déposées par les contribuables concernés aux fins d’obtention du remboursement de ces prélèvements, à l’exception toutefois du prélèvement de solidarité de 2 % qui, étant affecté au Fond national des solidarités actives (FNSA), n’est pas considéré comme finançant une prestation sociale à caractère non contributif visée par le règlement européen.
Réaffectation contestable des prélèvements sociaux. Alors que la logique aurait été d’abroger purement et simplement le dispositif d’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux, le gouvernement (5) a choisi de réaffecter ces recettes au bénéfice du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ceci dans l’unique et contestable objectif de contourner la décision du Conseil d’État. S’agissant des revenus imposés par voie de rôle (exemple: les revenus fonciers), cette réaffectation est d’application rétroactive aux revenus perçus
, en 2015.
Un nouveau désaveu. Comme il fallait s’y attendre, des recours ont été exercés visant à obtenir le remboursement des prélèvements acquittés depuis 2015 indépendamment de la réaffectation effectuée. La cour administrative d’appel de Nancy vient de donner raison aux contribuables et confirme le jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg le 11 juillet 2017 (n°1700440). Elle considère que le nouveau dispositif mis en œuvre par le gouvernement français ne permet pas d’aboutir à une mise en conformité de la loi française, dans la mesure où l’affectation du produit de ces contributions participe toujours au financement de prestations qui présentent «un lien direct et suffisamment pertinent avec la branche de sécurité sociale» au sens du règlement communautaire.
Non-conformité de la loi française. Le juge considère que l’affectation des prélèvements au FSV est destinée à financer des «prestations de vieillesse», lesquelles sont visées à l’article 4 du règlement communautaire, et que l’affectation à la CADES a, par ailleurs, comme objectif d’apurer la dette du régime obligatoire de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations servies dans le passé. Dans la mesure où ces prélèvements financent in fine des prestations de sécurité sociale, ils entrent donc dans le champ d’application du règlement précité et du principe d’unicité. S’agissant de ces prélèvements, la cour de Nancy n’a pas jugé nécessaire de saisir la CJUE d’une question préjudicielle tant la non-conformité de la loi française avec le droit communautaire est évidente en raison de la persistance d’un lien direct et suffisamment pertinent entre les prélèvements sociaux et certaines branches de sécurité sociale.
Saisine de la CJUE par la France. En revanche, au sujet des prélèvements affectés à la CNSA – allocation personnalisée d’autonomie (APA) et prestation compensatoire du handicap (PCH) – la cour d’appel de Nancy a décidé de surseoir à statuer et de saisir la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si ces prestations constituent des prestations de maladie destinées à couvrir des dépenses supplémentaires de la vie quotidienne, auquel cas elles entreraient alors dans le champ d’application du règlement communautaire. Le tribunal administratif de Strasbourg dans la décision précitée avait, pour sa part, estimé que ces prélèvements devaient être assimilés à des prestations de maladie soumises au principe d’unicité dans la mesure où cette affectation est destinée au financement de l’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.
Réclamation - qui est concerné ? Tous les contribuables affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Suisse, qu’ils soient résidents fiscaux de France ou non, sont légitimes à demander la restitution des cotisations sociales indûment acquittées sur leurs revenus du patrimoine. En tant que non-résident fiscal de France, la demande de remboursement pourra porter sur les prélèvements sociaux acquittés sur les plus-values immobilières et les revenus locatifs. Les résidents fiscaux français pourront, quant à eux, demander le remboursement des prélèvements appliqués sur tous les revenus de leur patrimoine (revenus de capitaux mobiliers, plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, revenus fonciers, plus-values immobilières, rentes viagères…). Les personnes assujetties à un régime de sécurité sociale d’un Etat tiers restent quant à elles malheureusement exclues de cette procédure de restitution suite à la décision du Conseil d’Etat du 5 mars 2018. Néanmoins, une telle rétrocession pourrait être envisagée pour les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un pays signataire d’une convention bilatérale de sécurité sociale (41 pays dont les États-Unis, le Brésil…) lorsqu’elle prévoit le principe d’unicité de la législation sociale. Il est nécessaire de demander cette restitution dès à présent sans attendre une éventuelle nouvelle décision du Conseil d’État, ceci afin d’interrompre la prescription fiscale. Cette demande devra impérativement intervenir avant le 31 décembre de cette année s’agissant des prélèvements acquittés en 2015. Au-delà de cette date, l’action sera définitivement prescrite et ne pourra concerner que les revenus perçus à compter de l’année 2016.
(1) Conseil d’État, 8e - 3e ch. réunies, 5 mars 2018, n°400329 et CJUE n°C-45/17 Jahin
(2) CE 17-7-2013 n°334551 et 342944
(3) La contribution sociale généralisée (CSG),
, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), le prélèvement social et le prélèvement de solidarité et la contribution additionnelle à ce prélèvement
(4) CJUE, 26 février 2015, n°623/13 de Ruyter
(5) Article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 n° 2015-1702 du 21 décembre 2015
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