Faut-il revoir l’imposition sur les successions ?

Le dernier rapport de l’OCDE interroge les largesses desEtats en matière d’héritage et de donations.
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isolated men and women with shadows (business concept)  -  Alexey Klementiev

C’est un sujet quasi-tabou auquel s’attaque l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec son dernier rapport (1). 80 % des Français de plus de 45 ans s’opposaient, dans un sondage réalisé en 2018(2), au principe de l’impôt sur les successions. Les chiffres d’une autre enquête de France Stratégie sont encore plus drastiques : 87 % des sondés pensent que les droits de successions doivent diminuer, un chiffre en augmentation depuis 2011 (3). Mais nos concitoyens ont-ils toutes les cartes en main pour se prononcer ?

Un patrimoine concentré

Les héritages et donations dont font état les 20 % de ménages les plus riches dans les pays de l’OCDE sont près de 50 fois supérieurs à ceux des 20 % les moins riches. Conséquence logique, les 10 % de ménages les plus riches possèdent en moyenne la moitié du patrimoine disponible pour chaque pays. Ils concentrent par ailleurs 80 % du patrimoine financier total, relève le rapport de l’OCDE. « La part des héritages dans l’accumulation de richesse privée augmente depuis les années 1970 dans la plupart des ménages et le mouvement pourrait s’amplifier avec le vieillissement des baby-boomeurs », indique Sarah Perret, économiste à l’OCDE. La France ne fait pas figure d’exception : Nicolas Frémeaux, maître de conférences en économie à l’Université Paris II, estime que la richesse des ménages est issue aux deux tiers des héritages et que 50% des successions reviennent à 10 % des héritiers. Estime, parce que le data manque en la matière. Les données disponibles, qu’il s’agisse de la France ou des autres pays de l’OCDE, sont essentiellement basées sur du déclaratif. Au plan national, l’enquête Patrimoine de l’Insee, qui constitue la base de travail des économistes, interroge ponctuellement un panel de 15.000personnes sur cette thématique. « Il faut considérer les chiffres comme des bornes basses, analyse Nicolas Frémeaux. Les personnes interrogées peuvent se tromper en sous-estimant la valeur de leur patrimoine, voire la minorer sciemment. »

Des successions peutaxées

Sur les 37 pays membres de l’OCDE, 24 taxent l’héritage ou les donations. En moyenne, 0,5% des recettes fiscales des Etats proviennent de ces impôts. La France se situe dans le peloton de tête - derrière la Corée du Sud et la Belgique – avec ses 1,4 %, «ce qui est toujours un chiffre bas», relativise Sarah Perret. Le taux marginal d’imposition à 45 % entre parents et enfants, le plus élevé de l’Union européenne, a de quoi effrayer. En réalité, il ne concerne que la partie supérieure à 1.800.000 euros du patrimoine reçu (et non distribué) et ne correspond pas aux taux appliqués dans la pratique. Au-delà de cinq millions d’euros, le taux d’imposition moyen est de 25% par part fiscale en ligne directe (soit le taux d’imposition moyen pour les transmissions concernant des individus sans enfants). « Concernant les salaires, l’imposition sans niche fiscale atteint 25 % dès 5.000 euros par mois, ce qui est loin d’un tel montant, compare Nicolas Frémeaux. Cela ne provoque pourtant pas de débat comparable.» L’impôt est surtout inégalement réparti, et frappe de façon disproportionnée en fonction du lien de filiation de l’héritier avec le défunt. Le taux moyen d’imposition tourne autour de 5 %, mais descend à 3,1% pour les transmissions en ligne directe (4). « Quasiment la moitié de l’impôt est collectée sur les 10 % des transmissions en ligne indirecte, remarque Bertrand Garbinti, enseignant-chercheur au Crest. En ligne directe, 8 successions sur 10 ne sont pas taxées, et 9 sur 10 le sont à moins de 5 % : Seules les 10 % de successions les plus importantes sont concernées par un taux supérieur à 5 %. » Pour les tiers et les parents au-delà du quatrième degré, c’est la douche froide avec un taux moyen à 25 % - qui peut grimper jusqu’à 60 % - et un abattement de 1.594 euros. Réduire cet écart paraît donc pertinent pour l’OCDE.

Des traitements fiscaux préférentiels

La fiscalité est en France particulièrement préférentielle sur trois points qu’énumèrent le rapport de l’OCDE: la résidence principale, l’entreprise familiale, l’assurance vie. Les abattements sur ces deux derniers actifs ne sont à son sens pas pertinents, voir synonymes d’inefficience économique. L’OCDE pointe notamment l’exonération de la transmission de l’entreprise familiale, qui conduirait les héritiers à sous-performer par rapport à d’autres agents. On pourrait lui opposer que la gestion familiale de l’entreprise la met à l’abri des comportements spéculatifs. Une étude réalisée au Danemark (5) bat en brèche cet argument, prouvant que le taux de survie des entreprises concernées est moins important et qu’elles font davantage faillite que les autres. L’OCDE n’émet pas de recommandation particulière sur ce point mais demande à chaque pays d’« envisager de réduire les exonérations et les allégements fiscaux pour lesquels il n’existe pas de justification tangible, et qui ont tendance à être régressifs. » En France, Nicolas Frémeaux conseille de « ne pas supprimer l’exonération sur l’entreprise mais de la plafonner à un certain seuil ou à un nombre d’employés : on ne traite pas une entreprise familiale comme une multinationale ».

L’OCDE pointe également le traitement fiscal préférentiel accordé aux contrats d’assurance vie, dont la justification semble « limitée car dans de nombreux pays ces supports fiscalement avantageux sont constitués des mêmes produits de placement que ceux que les individus peuvent détenir autrement». Hors succession en France, ce véhicule alimente pour 80 % de ses encours totaux des fonds euros. Une solution pourrait être de réintégrer ces versements dans la succession, sans y inclure l’intégralité de l’assurance vie.

Les autres pistes deréforme de l’OCDE

Le rapport, s’il ne se risque pas à donner le mode d’emploi des réformes à soutenir afin de tenir compte des situations diverses de ses pays membres, émet toutefois quelques recommandations. D’abord, d’accroître le rôle des impôts sur les donations et successions, et de les concevoir pour «atteindre leurs objectifs ». D’imposer le patrimoine reçu par bénéficiaire plutôt que celui du défunt – ce qui est déjà le cas en France – afin d’appliquer des taux d’imposition progressifs sur chaque héritage et d’encourager une plus grande répartition des richesses pour limiter la charge fiscale totale. De revoir les seuils d’exonération, le barème des taux d’imposition en veillant à sa progressivité et de valoriser les actifs à leur juste valeur marchande. Proposition phare : taxer les transmissions de patrimoine à l’échelle d’une vie, en intégrant les donations dans le total des actifs légués. « Avant 1992, les donations réalisées du vivant des individus étaient rappelées dans la succession, rappelle Jonathan Goupille-Lebret, chargé de recherches au CNRS en économie. Avec l’introduction du non-rappel des donations, aucun lien ne peut plus être fait entre donations et successions, c’est de l’information qui a été détruite. » À ce propos, l’OCDE conseille de renforcer les obligations déclaratives pour que l’administration dispose de données plus consolidées et de fournir aux citoyens le maximum d’informations sur la répartition des héritages afin de politiser le débat fiscal. Or, la fiscalité applicable aux successions est largement surestimée par nos concitoyens, qui reproduisent pourtant la logique du barème actuel lorsqu’on les interroge. Tout n’est pas affaire de précision, mais une information complète pourrait bien repositionner le débat.

Encadré :

L’inefficacité économique de l’héritage

« On présente souvent la réduction des inégalités comme un frein à l’efficacité économique, indique Nicolas Frémeaux. Or l’héritage peut avoir un effet désincitatif, en réduisant l’effort individuel ». Des chercheurs ont en effet montré, aux Etats-Unis et en Norvège (6), que les légataires réduisent leur temps de travail et partent plus tôt en retraite. A titre d’exemple, une personne qui reçoit un leg de 150.000 dollars a quatre fois plus de chances de quitter le monde du travail qu’une autre qui hérite de moins de 25.000 dollars.

(1) « L’impôt sur les successions dans les pays de l’OCDE »

(2) Sondage réalisé par OpinionWay pour MaSuccession.fr auprès d’un échantillon de 1.051personnes représentatif de la population française

(3) « Fiscalité des héritages : impopulaire mais surestimée », note de synthèse de Pauline Grégoire-Marchand pour France Stratégie, janvier 2018, d’après une enquête du Crédoc « Conditions de vie et aspirations des Français » réalisée en face-à-face auprès d’un échantillon représentatif de 1.004 personnes âgées de 18 ans et plus sélectionnés selon la méthode des quotas

(4) « Peut-on éviter une société d’héritiers? », note d’analyse de France Stratégie de Clément Dherbécourt, janvier 2017

(5) « Inside the Family Firm: The Role of Families in Succession Decisions and Performance», auteurs multiples, mai 2007

(6) « The carnegie conjecture: some empirical evidence », auteurs multiples, mai 1993

« Inheritance and Labor Supply », David Joulfaian and Mark O. Wilhelm, 1994

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