
La réforme des baux modifie les conditions de location

Dans un souci de mieux équilibrer les rapports entre un bailleur et un locataire, la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’Artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, réforme le régime des baux commerciaux. Mais à trop régir et vouloir protéger davantage le locataire, elle crée une insécurité juridique et nourrit de futurs contentieux.
Quatre dispositions viennent en particulier modifier les contrats. Certaines sont d’application immédiate, d’autres à compter du 1er septembre.
Suppression partielle de l’ICC.
Le texte s’intéresse au choix des indices sur lesquels s’appuient les évolutions de loyer en cas de renouvellement et de révision triennale. Ainsi, jusqu’à présent, l’indice du coût de la construction (ICC) était notamment retenu comme l’un des taux de variation du loyer. Cette référence est supprimée au bénéfice de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (Ilat), tous deux jugés moins volatils que l’ICC.
Seuls ces indices pourront désormais s’appliquer et constituer un plafond de loyer mais seulement en cas de renouvellement et de révision légale triennale. En effet, la loi ne vise pas les clauses d’indexation prévues dans le Code monétaire et financier et n’y modifie donc pas la référence à l’ICC.
«Une distorsion risque d’exister dans le contrat entre une clause d’échelle mobile basée sur l’ICC et le mécanisme de plafonnement basé sur l’ILC ou l’Ilat», explique Tanguy Queinnec, directeur juridique de CBRE. Imaginons un loyer de 100 lors de la prise à bail qui atteint 115 du fait de l’évolution de l’ICC. Si, lors d’une échéance triennale ou lors du renouvellement du bail, le loyer plafond calculé sur l’indice Ilat ou ILC affiche 108, le loyer pratiqué (calculé sur l’ICC) sera alors supérieur au plafond! «N’y aura-t-il pas moyen pour le preneur de demander une diminution du loyer?, s’interroge le directeur juridique. Pour éviter toutes difficultés pratiques et pallier l’absence de certitude juridique sur le sort du loyer, notre conseil est de négocier une clause d’indexation identique dans toutes les situations et, de fait, ne plus choisir l’ICC lors de la rédaction d’une clause d’échelle mobile.»
Pour les baux en cours, rien ne change mais la question va se poser pour les baux renouvelés et les contrats conclus à partir du 1erseptembre prochain.
La fin apparente des baux fermes.
La loi Pinel ne permet plus d’écarter une résiliation anticipée triennale dans une convention. Autrement dit, elle supprime les baux d’une durée ferme supérieure à trois ans et réintroduit en tant que mesure d’ordre public la possibilité de résilier au bout d’une période de trois ans.
Pour autant, le texte prévoit des exceptions. Cette disposition n’est pas applicable aux baux d’une durée supérieure à neuf ans, à ceux concernant des locaux construits en vue d’une seule utilisation (locaux monovalents), à ceux portant sur des locaux à usage exclusif de bureaux, ni aux locaux de stockage. Selon la jurisprudence, les locaux sont monovalents lorsqu’il y a une impossibilité de les affecter à une autre destination sans importants travaux et transformations profondes et coûteuses.
En offrant davantage de protection au locataire par cette possible résiliation anticipée d’ordre public, le bailleur perd en sécurité locative. Pour éviter toute interprétation sur les locaux visés par les exceptions et aussi pour la location de commerces, il sera tenté de négocier un bail d’une durée supérieure à neuf ans et échapper ainsi à la nouvelle disposition.
«La mesure destinée à protéger le locataire risque alors de se retourner contre lui car si le preneur accepte de conclure un bail de dix ans, pour déroger au principe de la triennalité, son loyer se retrouvera automatiquement déplafonné lors du renouvellement du bail», note Tanguy Queinnec.
Le déplafonnement limité.
En cas de déplafonnement du loyer à la hausse, la loi Pinel crée un mécanisme de lissage des augmentations. Ce dernier consiste à limiter la variation du loyer à une augmentation annuelle de 10 % maximum du loyer acquitté l’année précédente.
En effet, en principe, les loyers des baux renouvelés ou révisés doivent correspondre à la valeur locative. Si ce n’est pas le cas, le loyer peut, dans des conditions fixées par la loi, être révisé –déplafonné– afin que s’applique la valeur locative. Il est donc possible de déroger aux règles de plafonnement qui limitent l’ampleur des variations de loyer à l’évolution d’un indice (désormais Ilat ou ILC). «Pour protéger le commerçant, a été mis en place le plafonnement. Le preneur a ainsi la garantie que le loyer n’augmentera pas plus que l’indexation, sauf changement exceptionnel», explique Nicolas Sidier, avocat associé au cabinet Péchenard & Associés.
Prenons l’exemple d’un loyer initial de 100, un loyer en cours selon l’Ilat de 115 et une valeur locative estimée à 160. «Avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel, si en raison de modifications notables des facteurs locaux de commercialité, comme l’installation d’une grosse enseigne, l’on pouvait provoquer le déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail, ce loyer passait directement de 115 à 160 sans aucune transition. Avec la nouvelle loi, la hausse n’est plus que de 10 % par an», explique Tanguy Queinnec.
La difficulté rencontrée par les praticiens porte sur l’absence de précision sur les modalités de calcul. Ainsi, envisageons un loyer «acquitté» de 100 là où la valeur locative est de 200, le loyer sera rehaussé à 110 la première année, mais quel calcul retenir pour les années suivantes? «Est-ce 120 ou 121 pour la deuxième année ? Faut-il prendre le montant fixe de 10 % du loyer de départ ou réactualisé chaque année. Selon l’option retenue, atteindre la valeur locative pourra être très long», se demande Nicolas Sidier.
A noter qu’aucun lissage n’est prévu en cas de déplafonnement à la baisse !
Des charges non imputables.
A compter du 1er septembre prochain, tout nouveau bail devra comporter un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances ainsi que leur répartition entre le bailleur et le locataire. Un décret précisera celles qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputées sur le locataire. «Avant la loi, la liberté contractuelle était de mise mais désormais, les baux commerciaux tendent à être encadrés comme les baux d’habitation», souligne Nicolas Sidier.
Cette mesure inquiète les bailleurs étant donné que de nombreux baux se concluent sur le principe que le locataire paie toutes les charges, ce que l’on appelle loyer triple net. Se pose donc la question du sort des grosses réparations, des travaux de mise en conformité par exemple. «Jusqu’à présent, on se contentait de clauses génériques sans qu’elles ne soient limitatives. Désormais, le manque de précision dans le corps du bail se retournera contre le bailleur», commente Tanguy Queinnec.
De plus, un état prévisionnel des travaux ainsi qu’un état récapitulatif des travaux envisagés devra être fourni par le bailleur.
Dans ce contexte, ces différentes dispositions auront sans doute un impact sur les loyers. Les bailleurs tenteront d’y intégrer les charges non récupérables car, à défaut, le rendement locatif sera diminué. De même, dès la conclusion du bail, le bailleur anticipera les répercussions du lissage en cas de déplafonnement. «Il pourra par exemple demander un pas-de-porte plus important», envisage le directeur juridique de CBRE.
En bref, les praticiens trouveront certainement des moyens pour réduire les conséquences de ces mesures en attendant une prise de position par la jurisprudence.
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Reconnaissance de la Palestine: Emmanuel Macron va amorcer un tournant historique
Paris - Un cheminement tâtonnant, jusqu'à devenir «irréversible». Pour Emmanuel Macron, la reconnaissance de la Palestine, dont il espère faire un legs diplomatique majeur, a fini par s’imposer, lui permettant au passage de se montrer plus au diapason avec la politique arabe traditionnelle de la France. Lundi à New York, lorsqu’il montera à la tribune des Nations unies, ce sera le grand moment du président français. Avec son discours, la France devrait être le premier pays du G7 et le premier membre permanent occidental du Conseil de sécurité à reconnaître l’Etat palestinien - le Royaume-Uni devant faire de même. Un «chemin irréversible vers la paix», veut-il croire, même si les obstacles semblent entraver pour l’instant toute concrétisation véritable. «Ce sera sûrement un des legs diplomatiques de sa présidence», dit un de ses proches, qui y voit un geste «dans la grande tradition de l’universalisme français». Pour l’ex-ambassadeur Michel Duclos, expert à l’Institut Montaigne, «cela peut devenir un succès de la France», dans la lignée du «non» français à l’intervention américaine en Irak en 2003. Empêtré depuis l'été 2024 dans une crise politique inédite, le président a perdu des marges de manoeuvre sur la scène nationale, alors même qu’il voulait consacrer son second mandat à peaufiner son «héritage». Il s’est alors replié sur la politique étrangère. En première ligne sur l’Ukraine, son action dépend toutefois en partie des décisions de Donald Trump et de son attitude vis-à-vis de la Russie. «Un silence» Les leviers français sont moins importants encore au Proche-Orient, d’autant que le président américain affiche un soutien à toute épreuve à Israël. Là aussi, une des clés est donc à Washington. La reconnaissance «ne trouvera son plein aboutissement que si on arrive à accrocher Trump», explique à l’AFP Michel Duclos. «C’est son intérêt aussi, car ça lui permettrait de relancer les accords d’Abraham» de normalisation entre pays arabes et Israël. Après les attaques sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, Emmanuel Macron a immédiatement apporté un soutien très ferme aux Israéliens. «Israël a le droit de se défendre en éliminant les groupes terroristes», a-t-il martelé le 12 octobre suivant. Il a certes évoqué la nécessaire préservation des civils, et ajouté qu’une paix durable impliquerait «un Etat pour les Palestiniens». Mais la tonalité retenue, plutôt pro-israélienne, lui a été reprochée par une frange de l’opinion lorsque le gouvernement de Benjamin Netanyahu a intensifié sa riposte à Gaza. Pourtant, le président français a assez vite appelé au «cessez-le-feu», avant d’aller crescendo dans la condamnation des opérations israéliennes. Et le 16 février 2024, il prévient que «la reconnaissance d’un Etat palestinien n’est pas un tabou pour la France». Mais pendant de longs mois, les paroles ne sont pas suivies d’actes. A ce moment-là, «note sur note arrivent à l’Elysée pour dire +il faut réagir pour ce qui se passe à Gaza+", rapporte Gérard Araud, ex-ambassadeur de France en Israël et aux Etats-Unis. Mais côté présidentiel, «il y a eu quand même un silence», déplore-t-il. C’est finalement dans l’avion qui le ramène en avril dernier d’al-Arich, avant-poste égyptien où s’empile l’aide humanitaire pour Gaza entravée par le blocus, et où il a rencontré des blessés palestiniens, qu’Emmanuel Macron confirme qu’il pourrait franchir le pas autour de l'été. «Conditions» ou «engagements» Il conçoit dès lors cette reconnaissance «comme un levier diplomatique pour faire pression sur Netanyahu», souligne un proche. 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