Des acteurs non régulés occupent le marché

A défaut d’avoir attribué son premier numéro d’enregistrement, l’AMF multiplie les alertes sur les biens divers atypiques, Une prévention qui porte ses fruits puisque les conseillers financiers délaissent majoritairement ces produits
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La consigne de l’Autorité des marchés financiers (AMF) est sans appel: «Si l’intermédiaire en biens divers concerné ne dispose pas d’un numéro d’enregistrement, ne répondez pas à ses sollicitations.» Un message que le gendarme de la Bourse martèle dans chacune des alertes qu’il publie. Après avoir combattu les sites de trading en ligne, de type Forex et options binaires, l’AMF livre désormais bataille aux produits communément appelés «atypiques» et se focalise par exemple sur le vin, les terres rares, les manuscrits et les métaux précieux…

Les opportunités d’investissement ne manquent pas. D’ailleurs, les diamants d’investissement sont devenus la bête noire du régulateur qui, depuis le début de l’année 2017, a publié pas moins de sept avertissements. Les plaintes d’épargnants escroqués se multiplient et l’AMF de son côté a recensé de nombreux «prestataires peu sérieux, voire exerçant illégalement leur activité». C’est dans ce contexte que l’autorité a dévoilé le 24juillet dernier la liste noire des sites internet opérant sans autorisation sur le territoire, soit près de 46plates-formes de vente de diamants en ligne.

Un argumentaire commercial rodé.

Certains intermédiaires en biens divers jouent sur les effets d’annonce pour attirer à eux les investisseurs: «Les banques françaises nous cachent la vérité», ou encore «Depuis 2011, la valeur du diamant connaît une croissance annuelle moyenne de 8%», voire «Les terres rares ont, de par le passé, offert des performances supérieures aux supports classiques tels que la Bourse, les obligations, les assurances vie…». En clair, la faible rémunération de l’épargne traditionnelle est une aubaine pour ces sociétés qui promettent des rendements mirifiques. «Quelques plates-formes utilisent un ressort psychologique très important en insistant sur le caractère concret du sous-jacent, perçu de fait comme une valeur refuge à l’inverse des valeurs financières qui suscitent la méfiance des investisseurs. L’aversion des épargnants envers le risque est tenace», conclut Caroline Leau de la direction de la communication de l’AMF.

Qualification.

Ces produits qui mettent en avant une promesse de rendement entrent dans la catégorie 2 des biens divers, c’est-à-dire «une catégorie de placements atypiques soumise à un encadrement législatif et réglementaire spécifique. Sont expressément exclus de ce régime les opérations de banque et d’assurance, les instruments financiers et les parts sociales», précise Emilie Mazzei, avocate conseil de la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers (CNCIF). Pour mémoire, la catégorie1 est consacrée aux placements dont la gestion est déléguée ou qui offrent une faculté de reprise ou d’échange (L’Agefi Actifs n°692, p. 18).

Une diffusion soumise à autorisation.

Pour mieux encadrer la propagation des placements atypiques, la loi Sapin II a uniformisé le régime juridique de l’intermédiation en biens divers et étendu les pouvoirs de contrôle de l’AMF. Désormais, l’ensemble des intermédiaires –toutes catégories confondues– doivent obtenir l’autorisation de l’AMF avant de diffuser leur produit. Le législateur a ainsi comblé le vide juridique qui permettait aux biens de catégorie 2 d’échapper au contrôle du régulateur avant leur mise sur le marché. L’examen de l’AMF comprend deux volets –l’un porte sur la conformité des documents d’information et le contenu de la communication promotionnelle, l’autre sur la qualité des intermédiaires. Cette procédure est opérationnelle depuis le 17 mai 2017, date à laquelle le régulateur a publié l’instruction précisant les modalités de dépôt du dossier.

Examen des documents d’information.

Les services de l’AMF vérifient que le promoteur est en mesure de fournir « toutes les informations nécessaires aux investisseurs pour fonder leur décision d’investissement». La logique consiste à mettre en cohérence les règles applicables aux biens divers avec celles déjà appliquées aux instruments financiers. A cette fin, l’intermédiaire adresse à l’AMF un document d’information établi selon un plan défini. Celui-ci comporte les caractéristiques du placement, les risques qu’il comporte, le profil des investisseurs à qui il est destiné, sa durée et les frais facturés aux souscripteurs. Pour permettre une information «complète, compréhensible et cohérente», comme l’exige le Règlement général de l’AMF (RGAMF), le candidat à l’enregistrement doit illustrer le fonctionnement du placement sous forme de tableaux ou de scénarios d’évolution. L’AMF examine également les projets de communication commerciale qui doivent répondre à des critères d’équilibre et diffuser une information «claire, exacte et non trompeuse» pour être valides.

Enregistrement.

Le dossier –constitué du document d’information est des projets de contrats types– est soumis pour instruction à un service dédié qui dispose de 60 jours maximum pour exposer ses observations. Lorsque l’AMF juge les documents conformes et que ses observations ont été suivies, elle délivre un numéro d’enregistrement apposé sur la fiche d’information. C’est à ce moment que l’intermédiaire peut entreprendre ses démarches commerciales à destination du public. Emilie Mazzei rappelle que «l’attribution de ce numéro n’implique aucun jugement de valeur sur l’opportunité de l’opération proposée. Elle ne constitue ni un label de qualité, ni une garantie de bonne fin du placement». Bien que les équipes de traitement des dossiers soient en ordre de marche depuis le 17 mai 2017, les candidats se font attendre.

Aucune autorisation délivrée.

A ce jour, aucun numéro d’enregistrement n’a été attribué et l’AMF ne souhaite pas communiquer sur le nombre de dossiers en cours de traitement. Pourtant, certains intermédiaires en diamants figurant sur la liste noire de l’AMF se targuent sur leurs sites «d’opérer sous la surveillance des autorités et d’être étroitement régulés selon des normes strictes». D’autres ont indiqué par téléphone ne pas avoir connaissance de la nouvelle réglementation, tout comme ils ont fait valoir qu’ils ignoraient figurer sur la liste noire de l’autorité des marchés. Tout juste sait-on que les deux premiers numéros d’immatriculation doivent être attribués de façon imminente à des intermédiaires de catégorie 1 dont l’enregistrement est obligatoire… depuis plusieurs années.

Comment expliquer cette situation ? Cette nouvelle procédure s’adresse à des opérateurs qui n’ont pas forcément l’habitude de réunir une telle quantité de pièces et de se soumettre à une quelconque régulation. Il est vrai que ces lourdeurs administratives peuvent avoir sur eux un effet dissuasif, précise une source proche du dossier. Selon David Charlet, président de l’Association nationale des conseils financiers (Anacofi), il y a également «un problème de diffusion de l’information. Dès que nous croisons un monteur de biens divers, nous devons lui apprendre qu’il doit déposer un dossier et s’enregistrer auprès de l’AMF».

Garanties requises.

Il faut dire que le RGAMF impose aux intermédiaires qui interviennent sur la transaction de réunir de nombreuses de garanties. Les unes communes à tous les opérateurs –exception faite des distributeurs–, et les autres propres au concepteur du produit. De ce fait, l’initiateur du produit, la personne recueillant les fonds ainsi que les gestionnaires des biens doivent justifier de compétences et d’une expérience adaptées à l’opération proposée. Ils ont interdiction de posséder un casier judiciaire et d’exercer un activité qui serait source de conflits d’intérêts portant préjudice aux intérêts des épargnants. Les services de l’AMF passent également au crible les moyens matériels, financiers et humains dont disposent ces acteurs pour mener à bien l’opération projetée. Pour la sécurité des investisseurs, le régulateur exige de ces intermédiaires qu’ils souscrivent une assurance de responsabilité civile professionnelle couvrant les risques inhérents à leurs activités.

Garanties spécifiques.

Le monteur du produit qui est à l’origine de l’opération doit présenter des garanties complémentaires pour justifier de sa solidité financière et de la bonne gestion du montage. Préalablement à la commercialisation du produit, l’initiateur a l’obligation d’ouvrir un compte bancaire dédié à l’opération sur lequel seront encaissées uniquement les souscriptions et les versements des produits de placement. Il mandate un expert indépendant –et reconnu sur le secteur d’activité concerné– pour attester de l’existence des biens et examiner leur valorisation et leur liquidité. Le rapport d’expertise est ensuite annexé au document d’information. Comme les conseillers en investissements financiers, le concepteur présente à l’AMF la procédure mise en place pour déterminer le profil type de l’investisseur, document qui doit être «adapté au risque afférent au placement en biens divers».

Sanctions.

Il faut dire aussi que la loi Sapin II a étendu les pouvoirs de contrôle de l’AMF et, par voie de conséquence, ses pouvoirs de sanctions. «Grâce à ce texte, l’AMF peut s’autosaisir et interpeler les intermédiaires en biens divers qui ne respectent pas leurs obligations légales et réglementaires. Le régulateur ne peut plus se voir opposer qu’il n’est pas compétent en l’absence d’enregistrement», relève David Charlet. Pour les «fuyards» qui tentent d’échapper à sa supervision, l’autorité de régulation dispose d’un outil de veille automatisé qui recense les sites de commercialisation actifs à partir, par exemple, des campagnes d’e-mailing massives et offensives qu’ils destinent au grand public.

Concernant certaines offres en matière de diamants d’investissement, les services de l’AMF parlent à ce sujet de «véritables techniques de harponnage semblables à celles déjà utilisées pour le Forex et les options binaires». Lorsqu’elle constate une activité irrégulière, l’AMF contacte le site qui doit répondre sous 30 jours et prendre les mesures adéquates. Soit la plate-forme interrompt son activité dans l’attente d’un numéro d’enregistrement, soit elle ferme définitivement son site. Les sociétés injoignables et celles qui n’obtempèrent pas sont inscrites sur liste noire.

Les limites de la régulation.

En dépit de ces mesures, l’AMF se heurte à un marché très mouvant et de ce fait difficile à appréhender dans son exhaustivité. «Les acteurs qui opèrent sur le marché des produits atypiques sont très disparates et il est difficile d’en établir le nombre exact», concède Caroline Leau. D’autres ne s’enregistrent pas pour passer sciemment sous le radar de l’AMF. «Ils sont de fait non réglementés et non régulés», constate Emilie Mazzei.

Le contrôle des plates-formes de commercialisation est aussi très difficile car les sites ferment dès qu’ils sont repérés par l’AMF pour ouvrir concomitamment un site jumeau. Lucide, l’AMF reconnaît «que certains opérateurs en diamants d’investissement ont recours à des sociétés illégales difficiles à tracer puisqu’elles opèrent depuis l’étranger. Certaines entités nébuleuses relèvent même de la criminalité organisée et dans ce cas, la réponse et la répression ne peuvent être que pénales» (L’Agefi Actifs n°699, p. 16). Il ressort de ces propos un sentiment d’impunité pour les acteurs basés à l’étranger puisque la justice française devient dépendante des pays qui les hébergent et de leur volonté de communiquer. En outre, elle ne peut s’appuyer sur aucune législation européenne, celle-ci étant inexistante en la matière.

Collaboration.

Lorsque l’AMF a épuisé sa panoplie de sanctions, le recours aux institutions judiciaires s’impose. Sur le volet répressif, l’autorité coopère avec le pôle financier du parquet de Paris, compétent pour prononcer les injonctions de fermeture de sites et assigner les fournisseurs d’accès. Bien que l’AMF parvienne chaque année à bloquer de plus en plus de sites, leur nombre reste faible en comparaison avec la multitude de plates-formes existantes. Le travail du régulateur est d’autant plus difficile qu’il ne dispose auprès du Parquet que de quelques audiences par an et que la procédure de blocage prend du temps.

Les chambres professionnelles représentant les conseillers en investissements financiers dressent un constat assez semblable. «Nous sommes compétents pour saisir les procureurs mais nous savons d’expérience que cela ne fonctionne pas. Rares sont les fois où nous avons essayé et il n’y a eu aucune suite. Il faut en réalité que le consommateur, confronté à une affaire d’escroquerie, aille en justice pour que les magistrats se saisissent vraiment du dossier», déplore David Charlet.

Relais.

En dehors du cadre institutionnel, la collaboration des épargnants et des professionnels de la finance est précieuse. Elle permet au régulateur de dresser une cartographie des acteurs non régulés qui commercialisent des produits atypiques en fraude à la loi. En parallèle, les associations professionnelles se mobilisent pour relayer les alertes de l’AMF et rappeler à leurs membres et aux épargnants les règles de vigilance à observer en matière d’investissements atypiques.

Pas de rendement sans risque.

Les investisseurs en mal de performance voient dans ces produits un nouvel Eldorado financier. Quel que soit le domaine d’investissement, les intermédiaires se prévalent d’une prétendue «pénurie» qui régnerait sur ces marchés pour garantir de facto un rendement miraculeux à la revente. Benoist Lombard, président de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP), rappelle «qu’aucun discours commercial ne doit faire oublier que le rendement est proportionnel aux risques pris. Un produit garantissant 8% à 10% de rendement annuel représente un risque inconcevable dans un environnement financier où le Livret A est rémunéré à 0,75% et les obligations assimilables du Trésor français (OAT) sont négatives à cinq ans» (historique de la Banque de France au 31 août 2017).

Responsabilité du CIF.

Selon les associations professionnelles interrogées, le protocole CIF est un garde-fou qui permet de prévenir –s’il est scrupuleusement respecté– la diffusion de produits non régulés présentant un risque pour l’investisseur. «Le simple fait pour un conseiller financier de proposer un produit non agréé par une autorité le rend responsable de l’analyse et de la qualification du produit», souligne David Charlet. Dans ce cas, c’est au CIF de comprendre le montage –et de le faire comprendre à son client–, de vérifier la conformité des éléments d’information communiqués par l’intermédiaire et d’investiguer sur la structure à l’origine de l’opération. En d’autres termes, si le concepteur ne se soumet pas au contrôle préalable de l’AMF, c’est au conseiller –dans le cadre de sa mission de conseil– d’analyser le produit comme l’aurait fait le régulateur et de prendre la responsabilité de sa qualification. En cas de problème, il devra répondre de la qualité de son analyse, ce qui constitue indéniablement un frein à la diffusion de ces produits.

Emilie Mazzei rappelle que « les produits non enregistrés sont hors compétence AMF. Si le régulateur décide d’une sanction, il se retournera vraisemblablement contre le CIF, seule entité régulée du schéma de commercialisation». Toutefois, le conseiller financier qui propose un bien agréé par l’autorité ne peut pas se dédouaner de toute responsabilité. En vertu de son devoir d’information et de conseil, celui-ci «est responsable de l’adéquation du produit qu’il propose avec la situation patrimoniale de son client. Cependant, il n’a pas à effectuer un nouvel audit complet du produit, ce travail doit avoir été réalisé en amont par l’AMF», ajoute le président de l’Anacofi.

Outils d’aide à la prise de décision.

Les formations réglementaires dispensées par les chambres sont déterminantes pour aider les CIF dans leur analyse des produits atypiques. Elizabeth Decaudin, déléguée générale de la CNCIF, souhaite toutefois que l’AMF «accompagne les CIF en leur donnant davantage d’outils concrets et compréhensibles pour les aider dans leur travail d’analyse des placements atypiques et dans leur prise de décision. Les sanctions portent beaucoup sur les CIF, mais il faudrait que l’AMF s’engage davantage sur la qualification des produits atypiques». Pour pallier cette difficulté, la chambre nationale des conseillers en investissements financiers (CNCIF), a mis à la disposition de ses membres –par l’intermédiaire de son avocate– une check-list réglementaire résumant la procédure à suivre en présence de produits atypiques (voir le schéma p.12). Pour Benoist Lombard, représentant la CNCGP, il n’est pas nécessaire de réaliser en interne une procédure spécifique, le protocole CIF est suffisamment clair: «Un conseiller qui suit le protocole ne peut pas être amené à commercialiser une opération liée aux biens divers dont la documentation ne serait pas enregistrée par l’AMF. Ce qui ne le dispense pas de diligences internes.»

Marginalisation.

Le travail de prévention et de formation mené par l’AMF et les instances professionnelles semble porter ses fruits car les volumes de produits atypiques commercialisés par des CIF diminuent. Selon les statistiques 2016 de l’Anacofi, les produits non régulés ont, un temps, représenté jusqu’à 3,5% du chiffre d’affaires cumulé des membres de la chambre. L’année passée, ces produits représentaient environ 1% du chiffre. Un constat partagé par Benoist Lombard qui ajoute: «Nous disposons de suffisamment de partenaires privilégiés pour développer des offres en cohérence avec les attentes de nos clients sans avoir à recourir à des acteurs non régulés.» Pourtant, la profession continue de susciter la convoitise des intermédiaires en biens divers.

Visibilité.

Les représentants des chambres professionnelles sont vent debout lorsqu’ils constatent la présence d’acteurs non régulés sur des événements professionnels. En 2017, ce sujet est d’autant plus sensible qu’en principe, aucun intermédiaire en biens divers ne peut exposer sans être enregistré auprès de l’AMF. A ce propos, les organisateurs de Patrimonia n’ont pas souhaité communiquer sur la présence d’intermédiaires en biens divers lors du salon 2017. Les représentants des instances rappellent cependant que ce type d’événement répond en priorité à une logique économique qui n’est pas celle d’un salon d’association professionnelle ou d’un régulateur.

Avertissement.

Or, dénoncer nominativement les intermédiaires non régulés est un exercice périlleux pour les associations professionnelles comme pour le régulateur. «Lorsque l’Autorité des marchés financiers s’engage de façon nominative sur un produit, la jurisprudence récente du Conseil d’Etat montre que son communiqué est passible d’un recours pour excès de pouvoir de la part des entités désignées, même non régulées», prévient Emilie Mazzei. Quant aux chambres professionnelles, c’est leur responsabilité civile qu’elles risquent en identifiant nommément un acteur. Pour contourner cette difficulté, l’AMF avait adressé, la veille du salon Patrimonia 2016, une note avertissant les associations CIF des dangers des biens divers non régulés. Information largement relayée auprès de la profession.

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