
De nouvelles pistes dans un marché très consensuel

Rarement les avis des allocataires auront été aussi concordants. Actions européennes, petites capitalisations, obligations d’entreprises européennes, obligations convertibles…, il n’est pas une semaine sans que les gestionnaires ne mettent en avant une de ces classes d’actifs. Et avec raison puisque ces derniers mois, leur performance a plutôt été satisfaisante. A l’image de l’indice d’actions européen EuroStoxx 600, qui a terminé l’année 2013 en hausse de 17%, ou de la performance de plus de 10% des obligations à haut rendement européennes, les investisseurs ont partiellement repris goût aux actifs risqués.
Ces derniers restent de mise en ce début d’année, malgré les inquiétudes géopolitiques ou économiques liées aux émergents et aux tensions nées de la crise ukrainienne. Dans les prochaines semaines ou les prochains mois, si ces thèmes d’investissement devraient toujours être mis en avant par les équipes commerciales des sociétés de gestion, d’autres pourraient bien rejoindre ces têtes de gondole. Et, selon certains professionnels, les gagnants de 2014 seront ceux qui arriveront à proposer des produits différents dans un ensemble d’offres certes indispensables mais assez consensuelles.
Les actions européennes à l’honneur.
Selon les statistiques d’Europerformance, les fonds autorisés à la commercialisation en France (mais pouvant être distribués la plupart du temps dans d’autres pays) spécialisés dans l’investissement paneuropéen sur le compartiment actions ont collecté près de 7,7 milliards d’euros en janvier et février. «Globalement, le consensus s’accorde à dire que les actions européennes demeurent sous-valorisées par rapport aux actions américaines», souligne Christophe Point, directeur de Natixis Global AM Distribution France. Alors que l’indice Standard & Poor’s 500 a engrangé près de 30% l’an dernier, la surperformance des titres américains traduit l’accélération de la croissance des Etats-Unis, plus avancés que l’Europe dans le cycle économique. Les gérants mettent en avant que les valorisations encore modérées en Europe offrent des points d’entrée intéressants pour profiter de la reprise.
«La thématique des dividendes élevés plaît beaucoup aux investisseurs», note Christophe Point. Le fonds Natixis Actions Europe Rendement, qui mise sur cette thématique via des participations dans Sanofi-Aventis, Airbus Group, ENI, Siemens ou encore BMW et Société Générale, est ainsi mis en avant par le gestionnaire. D’un point de vue géographique, l’amélioration de la conjoncture a par ailleurs entretenu l’engouement pour les actions «périphériques». Avec une performance de plus de 7% depuis le début de l’année, les fonds d’actions italiennes ont notamment enregistré une collecte en Europe de près de 173millions d’euros.
De grands absents.
Si les messages des équipes commerciales en faveur des actions européennes sont aujourd’hui bien rodés, certains professionnels déplorent que d’autres marchés développés soient assez peu souvent mis en avant par les gestionnaires. «Le grand absent du discours commercial des gestionnaires sont les actions américaines. Et cela nous paraît être erreur», constate Ludovic Fechner, fondateur de Fundesys. Il est vrai que l’offre de fonds exposés à cette zone géographique reste peu élevé en France. «Cela explique, en partie, le peu de communication autour de cette classe d’actifs, hormis par quelques gestionnaires internationaux (comme Fidelity, ndlr)», précise-t-il.
Par ailleurs, les investisseurs comme les gestionnaires peuvent aussi être méfiants sur le potentiel du marché américain qui a progressé de manière quasi ininterrompue depuis six ans (lire l’encadré p.11). Enfin, la difficulté à prévoir les évolutions de la devise constitue un frein à la commercialisation de ces produits, même s’il existe souvent des parts couvertes contre le risque de change.
Ludovic Fechner estime cependant que les fonds d’actions américaines devraient être davantage poussés par les équipes commerciales des sociétés de gestion. «Le marché américain reste plus défensif que le marché européen, ce que les investisseurs mesurent mal. Les actions américaines sont avant tout détenues par des acteurs domestiques et sont représentatives de l’économie américaine qui reste relativement peu mondialisée - ou, quoi qu’il en soit, moins sensible que l’Europe à ce qui se passe dans le reste du monde, et notamment dans les émergents. Les investisseurs estiment qu’investir sur les entreprises américaines présente plus de risque que sur une entreprise européenne pour un rendement équivalent, alors que c’est souvent le contraire.»
De la même manière, le Japon fait assez peu souvent partie des recommandations des gérants. «Cela est avant tout dû à la rareté de l’offre. Le Japon pourrait faire partie des thèmes mis en avant pour les prochains mois, même si les actions japonaises reculent depuis le début de l’année», estime Ludovic Fechner. A noter cependant que les gestionnaires qui disposent de ces produits essaient tout de même de convaincre leurs clients d’y investir. C’est d’ailleurs notamment le cas de Pictet, qui considère que l’allocation sur le Japon dans un portefeuille équilibré doit correspondre à la proportion que représente le pays dans la capitalisation mondiale, soit environ 8% de la partie actions d’un portefeuille (voir l’interview video d’Hervé Thiard, directeur général de Pictet & Cie France sur agefiactifs.com), ou de Lazard Frères Gestion dont les fonds d’actions japonaises ont collecté près de 200 millions d’euros depuis le début de 2013.
PEA-PME.
Au sein de la classe d’actifs actions, la thématique des petites et moyennes capitalisations a en revanche été particulièrement mise en valeur. «Le retour de la croissance et la loi sur le PEA-PME (publiée au Journal officiel le 5 mars dernier, ndlr) ont mis un coup de projecteur sur le compartiment. Les investisseurs regardent de nouveau ces valeurs, dont les cours se sont appréciés et la liquidité s’est améliorée», confie François Genovese, président d’Alma Capital & Associés. L’an dernier, l’indice CAC Mid&Small avait surperformé de près de 10% l’indice CAC 40.
Plus optimistes sur la croissance, les gérants mettent en avant le potentiel du compartiment, par nature plus cyclique, d’autant que des opérations capitalistiques pourraient soutenir les cours. «Beaucoup d’opérations de haut de bilan qui avait été gelées devraient revenir d’actualité avec l’amélioration de l’environnement. En outre, les valorisations des PME européennes demeurent peu élevées», constate François Genovese. Ces derniers mois, selon Europerformance, les flux de collecte se sont accélérés sur la classe d’actifs pour atteindre sur les deux premiers mois de l’année 288 millions d’euros pour les fonds ciblant la cote française, et 518 millions pour ceux investissant sur l’ensemble de la zone euro. «La thématique des petites et moyennes capitalisations intéresse aussi bien les investisseurs institutionnels que les investisseurs particuliers», note Christophe Point.
Expositions aux actions via les convertibles.
Le regain de prise de risque profite aussi, comme l’an dernier, aux obligations convertibles dont la sensibilité aux actions permet de profiter de la hausse des marchés. «Le thème de la diversification des poches obligataires via des convertibles au profil défensif s’estompe depuis 2012 au profit du thème de l’alternative aux actions. Ce mouvement s’est accéléré ces derniers mois, nos clients privilégiant de plus en plus les fonds d’obligations convertibles offrant une sensibilité élevée aux actions», note Jean-Edouard Reymond, responsable de l’équipe «convertibles» chez UBP. Le fonds UBAM Convertible Europe, dont la sensibilité moyenne est de 50%, a ainsi vu la collecte atteindre depuis le début de l’année 8% des encours au 31 décembre. Sur l’ensemble des fonds investis en obligations convertibles européennes, plus de 615 millions d’euros ont été collectés sur janvier et février.
La récente volatilité des marchés d’actions renforce en outre l’attractivité du compartiment. Du fait de leur convexité, liée au paiement régulier d’un coupon, «les obligations convertibles offrent une protection quand la croissance des marchés d’actions n’est pas linéaire», rappelle Jean-Edouard Reymond. «Les convertibles offrent une participation à la dynamique des marchés d’actions avec le parachute inhérent au caractère obligataire de cette classe d’actifs. Cette dernière est donc intéressante, dans l’environnement de marché actuel, pour tous les types d’investisseurs», renchérit Stéphane Corsaletti, président du directoire de Neuflize OBC Investissements.
Inquiétudes sur les émergents.
Les investisseurs semblent donc prêts aujourd’hui à s’exposer – même si c’est de manière partielle, comme avec les obligations convertibles – aux actions des pays développés. Cependant, dans le sillage des inquiétudes entourant la santé des économies émergentes, les fonds actions spécialisés sur la thématique ont, de leur côté, subi une importante décollecte de plus de 620 millions sur les deux premiers mois de l’année. «Tactiquement, il est difficile de collecter sur le thème des actions émergentes à l’heure actuelle, même si des investissements sélectifs demeurent pertinents à long terme», constate Christophe Point. Sur les fonds spécialisés dans la dette émergente, la dynamique de décollecte est nettement moins marquée, avec des flux sortants de seulement 18 millions d’euros.
«Les ratios financiers des entreprises des pays émergents demeurent clairement meilleurs que ceux des pays développés à niveau de signature équivalente, avec à la clé un couple rendement-risque très attractif», souligne Eric Pictet, le directeur du bureau parisien de Muzinich & Co. Même si la zone a beaucoup souffert, «peu de commerciaux sont réellement négatifs sur cette classe d’actifs. Ils considèrent davantage – peut-être à tort – qu’elle est aujourd’hui sous-valorisée et présente un potentiel important à moyen terme», note un professionnel.
Privilégier les obligations «haut rendement».
Si la dette émergente est moins consensuelle qu’il y a deux ans, les obligations à haut rendement (high yield) européennes et américaines ont en revanche continué à attirer les souscriptions. Dans un contexte de taux très bas, la recherche de rendement demeure en effet l’un des principaux défis des investisseurs obligataires. Malgré les flux massifs qui se sont déjà déversés dans les fonds l’an dernier, dont 5,8 milliards sur les quatre derniers mois de 2013, près de 1,3 milliard d’euros sont ainsi venus s’investir sur la classe d’actifs en janvier et février.
«America Yield, Transatlantic Yield et Europe Yield, nos trois fonds à duration normale, ont continué à collecter cette année. Malgré la compression des spreads, qui évoluent désormais seulement légèrement au-dessus du niveau médian constaté entre 2004 et 2006, la classe d’actifs continue d’offrir des rendements relativement attrayants, notamment du fait de la faible inflation», déclare Eric Pictet. «Le compartiment high yield continue à attirer des flux importants», renchérit Manuel Arrivé, directeur senior de la division Fund & Asset Management Rating de Fitch. «Les sociétés de gestion élargissent leur univers d’investissement vers les sociétés moins bien notées ou des zones géographiques plus éloignées pour trouver du rendement», ajoute-t-il.
Performance absolue.
En ce début d’année, les stratégies de performance absolue ont aussi séduit les investisseurs, avec 5,5 milliards d’euros de collecte. «Les actions ont retrouvé leur attrait depuis l’année dernière, mais les allocations de nos clients sur ces actifs risqués restent en retrait de ce qu’elles étaient en 2007. Beaucoup d’investisseurs considèrent qu’après la revalorisation de ces derniers mois, l’intérêt est renouvelé pour des fonds de performance absolue qui présentent de la flexibilité», déclare Stéphane Corsaletti.
Si les stratégies sur les actions ont le vent en poupe, le rythme de collecte a ralenti sur les stratégies exposées aux marchés de taux. Les investisseurs conservent néanmoins de l’appétit pour ces stratégies. Chez Muzinich, le fonds Global Tactical lancé en octobre, qui permet d’investir aussi bien sur le compartiment crédit «investissement», le compartiment «haut rendement» que sur la dette émergente en faisant varier la duration de 0 à 4 ans, a néanmoins bien fonctionné. «Il s’agit d’une évolution dans notre offre. L’analyse crédit demeure importante mais l’essentiel de la performance provient de l’allocation d’actifs», souligne Eric Pictet.Plus globalement, « les stratégies de performance absolue ont toujours le vent en poupe, d’autant qu’elles affichent des performances meilleures depuis 2011 », remarque Manuel Arrivé.
Dans les prochains mois, certains professionnels s’attendent à ce que la demande s’accélère encore sur la performance absolue. Les fonds de cette classe d’actifs ont en effet parfois vocation à remplacer ou compléter les poches de produits de taux. Or, la bonne performance des fonds obligataires n’a pas poussé les investisseurs à se diriger vers d’autres produits. «Mais proposer de la performance absolue aux investisseurs a du sens aujourd’hui, estime Ludovic Fechner, car la tendance positive sur les fonds obligataires devrait se retourner.» Même s’il peut paraître un peu trop tôt, commercialement, pour mettre en avant les produits de performance absolue de manière plus agressive, cela pourrait être le bon moment pour en intégrer dans les allocations. «Les stratégies intermédiaires entre les pures gestions de taux et les pures gestions actions, comme les gestions flexibles, la performance absolue, ou les convertibles, devront faire partie des portefeuilles en 2014», renchérit Stéphane Corsaletti.
Peu de différenciation dans l’offre.
Finalement, le consensus sur le type de produits commercialisés par les gestionnaires n’est pas problématique en soi puisque ces opérations commerciales portent avant tout sur des classes d’actifs qui présentent un réel potentiel. Cependant, «il est étonnant de constater le conservatisme des grandes sociétés de gestion sur les produits qu’elles mettent aujourd’hui en avant. Celles qui auraient les moyens de pousser des offres différenciées hésitent à le faire. Certains grands acteurs gèrent des fonds excellents dont ils ne parlent absolument pas», constate Ludovic Fechner. «Ces dernières semaines, nous avons augmenté notre couverture sur les fonds d’actions américaines, ou les fonds sectoriels dans la technologie ou la pharmacie», continue-t-il pour illustrer quelques thèmes qui, selon lui, présentent aujourd’hui un intérêt pour les investisseurs.Les sociétés de gestion ont donc parfois du mal à évaluer le réel potentiel commercial de certains de leurs produits. «Ce n’est pas une erreur de proposer des actions européennes, mais nous déplorons cependant que la plupart des gestionnaires mettent principalement cette classe d’actifs en avant. Et même si la démarche commerciale se révèle ardue, nous apprécions lorsque les sociétés de gestion prennent aussi quelques risques dans leurs préconisations», ajoute un professionnel.
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