
Amazon teste la politique américaine de contrôle des concentrations

Le rachat de Metro Goldwyn Mayer par Amazon est acté. Ce qui pourrait provoquer un séisme dans l’industrie du cinéma. Mercredi, le géant américain du e-commerce a annoncé acquérir les studios pour 8,45 milliards de dollars (6,9 milliards d’euros), dette incluse, confirmant une rumeur qui agitait les marchés depuis quelques jours. Objectif : s’appuyer sur cette icône d’Hollywood créée en 1924 pour alimenter une demande insatiable en contenus destinés à la vidéo à la demande sur abonnement, alors que la bataille s’amplifie dans le streaming vidéo entre le service Prime d’Amazon et ses rivaux, Netflix (208 millions d’abonnés payants) ou Disney+ (100 millions d’abonnés).
«La véritable valeur financière derrière cette transaction est le trésor de propriété intellectuelle du catalogue que nous prévoyons de réimaginer et de développer avec l'équipe talentueuse de MGM», a déclaré Mike Hopkins, vice-président senior de Prime Video et Amazon Studios, cité dans un communiqué.
La licence James Bond, une épine
Le studio au lion rugissant apporte dans son escarcelle un épais catalogue, près de 4.000 films et 17.000 programmes et séries. Il détient notamment les droits des franchises James Bond et Rocky, produit des séries à succès, comme La Servante écarlate ou Vikings, et possède sa propre chaîne de télévision payante, Epix.
Mais, première épine potentielle pour Amazon : il n’aura pas les coudées franches pour exploiter le principal atout de MGM, la juteuse licence James Bond. MGM la co-détient avec la famille Barbara Broccoli - Michael G. Wilson via un véhicule distinct, EoN Productions, créé en 1961. Pour ses futurs projets autour de James Bond, Amazon devra donc obtenir leur approbation. «Ils sont très sensibles à propos de la franchise. Quand Barbara et Michael décident de tourner un Bond, (la MGM) a le droit de financer et distribuer le film», indique une source proche de EoN, citée par le Financial Times. Il est donc peu probable qu’Amazon pourra faire ce qu’il veut avec le prochain James Bond, Mourir peut attendre, annoncé pour cet automne.
Il est inhabituel pour Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, pourtant deuxième capitalisation boursière au monde, de dépenser beaucoup d’argent en acquisitions, qui plus est dans des activités historiques. Le seul précédent pour Amazon avait été le rachat, en 2017, de la chaîne de supermarchés bio américains Whole Foods Market pour 13,6 milliards de dollars.
11 milliards dépensés en 2020
Mais depuis plusieurs années, Jeff Bezos n’a pas fait mystère de sa volonté de devenir un tycoon dans l’univers du cinéma. A travers ses propres Amazon Studios, la firme de Seattle a décroché des Golden Globes pour des séries comme Transparent, et même des Oscars, dès 2017 pour les films Manchester by the Sea et The Salesman, ce qui avait alors permis à Jeff Bezos de s’afficher pour la première fois parmi le gratin d’Hollywood.
L’an dernier, Amazon a dépensé 11 milliards de dollars en production et acquisition de contenus originaux (audiovisuels et musique) pour Prime services, contre 7,8 milliards en 2019. Certes, cela reste bien loin des 20 milliards de dollars dépensés par Netflix.
La prolifération de services de streaming vidéo, dont de nouveaux arrivants comme HBO Max et Disney+, a mis la pression sur Amazon pour acquérir plus de programmes. Les studios traditionnels, de leur côté, conservent davantage de contenus pour leurs propres services de streaming, comme Warner Media avec sa plateforme HBO Max, au lieu de concéder des licences à des sociétés telles qu’Amazon et Netflix.
Une chose est sûre, la pandémie liée au coronavirus a joué un rôle d’accélérateur dans les ambitions d’Amazon pour entrer à Hollywood. Le géant technologique américain a fait partie des Big Techqui ont vu leur cours de Bourse flamber en 2020 : le confinement forcé des particuliers dans le monde a profité à ses deux principales activités, le e-commerce, mais aussi le divertissement en ligne via Prime Video, son service de streaming vidéo qu’il a lancé dans 200 pays fin 2016.
MGM fragilisé
MGM, par ailleurs, constitue une cible de choix. Le studio historique a dû reporter à plusieurs reprises la sortie de son prochain James Bond, No time to die, lui faisant perdre de l’argent. A la fin 2020, MGM aurait ainsi recruté des banques conseil en vue d’une vente. Apple, Netflix et Comcast auraient alors étudié le dossier.
Malgré un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars réalisé sur l’année 2020, en baisse de 3%, le groupe a dégagé un bénéfice net de seulement 33,9 millions de dollars. Il était fragilisé depuis son rachat en 2010 par un groupe d’investisseurs, dont Anchorage Capital Group, après avoir évité de peu la faillite.
Par ailleurs, la transaction est susceptible de faire l’objet d’attaques politiques sur le plan de la concurrence, alors qu’Amazon est déjà au centre de multiples enquêtes en raison de sa taille et de l’ampleur de ses activités en ligne.
Ce sera le premier gros dossier de régulation pour l’administration Biden, qui a déjà annoncé sa volonté de durcir le ton sur la régulation des Gafam. Déjà en 2017, sous la présidence de Donald Trump, l’Autorité de la concurrence américaine s’était opposée au mariage entre l’opérateur télécom AT&T et le groupe de médias Time Warner, sans pouvoir l’empêcher. Elle s’inquiétait d’un mouvement de concentration verticale, entre un distributeur, AT&T, et un éditeur, Warner.
Des politiques américains affûtent leurs armes. «Ce projet de fusion est un nouvel exemple de la responsabilité des Big Tech dans une domination totale de chaque secteur de notre économie», a écrit dans un tweet Ken Buck, membre Républicain du Congrès et membre de la commission antitrust de la Chambre des représentants.
Mais les observateurs sont sceptiques sur le degré d’intransigeance des régulateurs. Bien qu’Amazon soit un acteur prédominant du e-commerce, ce n’est nullement le cas dans la création de contenus, où il reste un concurrent égal à Netflix, Disney et les autres.
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