
- Etats-Unis
- Tribune
Le débat reste vif quant à l’atterrissage de l’économie américaine

L’année 2024 avait commencé avec la crainte d’un atterrissage brutal des économies des deux côtés de l’Atlantique. C’est finalement un atterrissage en douceur qui a été observé avec une baisse de l’inflation et un assouplissement des tensions sur le marché du travail, mais avec une activité restée suffisamment soutenue pour maintenir le chômage bas. Avec une croissance du PIB en 2024 d’environ 2,7% aux Etats-Unis contre environ 0,7% pour la zone euro, l’économie américaine est assurément restée vigoureuse. Cet écart de croissance de 2 points de pourcentage est presque deux fois plus important que celui observé entre la croissance potentielle de l’économie américaine d’environ 2% et celle de la zone euro à un peu plus de 1%.
En ce début d’année 2025, les marchés craignent que les États-Unis ne se dirigent vers une trajectoire de non-atterrissage, obligeant la Fed à mettre un terme à son cycle d’assouplissement bien avant que les taux ne soient revenus à la neutralité. Le rendement des obligations américaines à 10 ans s’est ainsi négocié au-dessus de 4,6% au cours de la première semaine complète de négociations boursières de 2025. Ce niveau n’avait pas été observé depuis le printemps 2024 lorsqu’un débat sur l’absence d’atterrissage de l’économie américaine s’était déjà imposé. L’exceptionnalisme américain en termes de croissance économique est en revanche aujourd’hui considéré comme beaucoup moins bénéfique pour le reste du monde. En effet, les marchés redoutent à présent un atterrissage brutal de la zone euro et de plusieurs autres grandes économies.
Les réductions d’impôts aux Etats-Unis auront des répercussions positives, mais la hausse des droits de douane américains ainsi que de probables mesures de rétorsion risquent d’avoir un effet négatif plus que compensatoire sur le reste du monde. Ces inquiétudes se reflètent déjà dans la force du dollar qui se négocie bien au-dessus des niveaux observés avant les élections américaines. Si la dépréciation des monnaies contre dollar donne à ces dernières un avantage de compétitivité, il est surplombé dans le contexte actuel par la menace des droits de douane et les incertitudes géopolitiques.
Par ailleurs, une monnaie plus faible laisse entrevoir une hausse de l’inflation importée et renchérit le service de la dette en dollars, ce qui est un problème pour de nombreux pays émergents et en développement. Enfin, la hausse des taux de rendement aux États-Unis se répercute sur d’autres grands marchés obligataires, ce qui constitue un vent contraire supplémentaire.
A lire aussi: Le «Fed put» éclaire le débat sur la prime de terme américaine
Effets des projets de déréglementation
Les plans de déréglementation de la nouvelle administration Trump méritent également un point d’attention. Cette politique pourrait être favorable si elle partait d’un point d’excès. Mais dans le contexte actuel marqué par un déficit de coopération mondiale en matière de normes réglementaires, elle risque d’entraîner des frictions additionnelles dans les relations commerciales et le fonctionnement des marchés financiers mondiaux. De plus, si la déréglementation s’avérait excessive, elle pourrait semer les graines d’une future crise.
Compte tenu de ces observations, il est évident que même si le débat actuel sur l’absence d’atterrissage de l’économie américaine reste vif, il s’élargit déjà au risque d’un atterrissage brutal pour la zone euro et plusieurs autres grandes économies.
Pour en revenir à l’exceptionnalisme américain, plusieurs moteurs de croissance de ces dernières années risquent de disparaître. En tête de liste se trouve l’immigration qui, selon les estimations du Congressional Budget Office (CBO), représente un peu plus de 80% de l’augmentation de la population de 1,15% en 2024. Cette croissance démographique est nettement supérieure à la moyenne annuelle de 0,4% qui prévalait pendant la première présidence de Trump. Alors que ce dernier a promis d’adopter une position plus dure sur l’immigration au cours de son deuxième mandat, la projection du CBO d’une croissance moyenne de la population d’un peu moins de 0,5% par an sur la période 2025-28 pourrait bien être déçue. C’est important, car la forte croissance démographique a non seulement généré une offre de main-d'œuvre bienvenue, mais elle a également soutenu la consommation et la demande de logements.
Le consensus est aujourd’hui que la politique budgétaire restera expansionniste en privilégiant les réductions d’impôts. Toutefois, si le nouveau Department of Government Efficiency (DoGE) met réellement en œuvre les coupes significatives envisagées dans les dépenses fédérales au cours de prochaines années, l’impulsion budgétaire pourrait ajouter un vent contraire, en raison des suppressions induites d’emplois fédéraux et dans le secteur privé. Par ailleurs, les politiques d’immigration et les tarifs douaniers pourraient alimenter l’inflation, et la Fed aurait du mal à réagir rapidement à la hausse du chômage.
Malgré toutes ces incertitudes qui alimentent le débat sur la conjoncture américaine, les prévisions du consensus sont regroupées dans une fourchette assez étroite, de 0,5 à 2,9% pour les perspectives de croissance américaine en 2025, avec une moyenne de 2,1% (source : Bloomberg). Plutôt qu’un niveau élevé de confiance dans les perspectives américaines, ce consensus resserré semble plutôt refléter le manque de visibilité sur les politiques réelles à prendre en compte.
À mesure que ces politiques se préciseront, le débat sur une trajectoire sans atterrissage de l'économie américaine pourrait bien évoluer vers celui d’un atterrissage brutal dans le courant de l’année 2025.
Plus d'articles du même thème
-
La Fed va reprendre ses baisses de taux en plein bras de fer avec Donald Trump
Les marchés parient sur une diminution de 25 points de base. Mais le Comité monétaire, dont on ne connaissait pas encore la composition lundi après-midi, pourrait faire l’objet de dissensions historiques, avec des voix en faveur d'un doublement de cette baisse, et d’autres pour le maintien des taux. -
La ponction douanière rapporte gros au Trésor américain
Au rythme actuel, les droits de douane pourraient dépasser les 300 milliards de dollars cette année. Mais une telle hypothèse, qui exclut certains effets de bord, impliquerait une répartition coûteuse de ces «taxes» entre les agents économiques, au premier chef les ménages et les entreprises américains. -
Premières faillites des spécialistes en prêts auto «subprime» aux Etats-Unis
Plusieurs signaux s’étaient déjà allumés sur ce marché, fin 2023 avec la hausse des prix des automobiles post-covid. Depuis le début de l’année survient la fermeture d’autres établissements prêteurs, en l'occurrence plutôt des concessionnaires qui assuraient aussi les financements avant de les titriser via des ABS auto.
Sujets d'actualité
ETF à la Une

Kraken étend son offre de trading actions et ETF à l'Union européenne
- Le rachat de Mediobanca menace la fusion des gestions de Generali et BPCE
- Sébastien Lecornu commence son chemin de croix budgétaire avec Fitch Ratings
- Armani pourrait se vendre à un groupe français
- Le Crédit Agricole revendique une place dans l’accès aux soins et les services aux plus âgés
- Malgré ses longueurs d’avance sur Carmat, SynCardia apparaît un leader fragile
Contenu de nos partenaires
-
Ariane 6 : moins de vols que prévu en 2025, mais un premier lancement pour Amazon en ligne de mire
Paris - Ariane 6 décollera cette année moins que prévu, mais pourrait signer sa première mission pour la constellation Kuiper d’Amazon, son principal client commercial dont le poids dans le carnet de commandes interroge sur la vocation de la fusée européenne, symbole de la souveraineté spatiale retrouvée. Le nombre de lancements d’Ariane 6 a été revu à la baisse de cinq à quatre pour 2025, a annoncé mardi le patron d’Arianespace David Cavaillolès tout en dédramatisant la situation. «Ce n’est pas une mauvaise nouvelle (...). Ce qui compte, ce n’est pas que nous en fassions un de moins, mais que nous (en) confirmions quatre, ce qui représente l’une des montées en puissance les plus rapides jamais réalisées» après le vol inaugural d’Ariane 6 en juillet 2024, a-t-il déclaré au cours d’un petit-déjeuner de presse en marge de la semaine internationale de l’espace (WSBW) à Paris. En 2026, «ce sera plus ou moins le double», a-t-il poursuivi. La prochaine mission enverra un satellite Sentinel pour le programme Copernicus d’observation de la Terre de l’Union européenne dont la date sera annoncée «plus ou moins un mois avant le vol», a dit le responsable. «Le satellite est arrivé à Kourou, les opérations ont commencé. Jusqu'à présent, aucun problème dans cette campagne». - Kuiper comme entraînement pour Iris²- Le dernier lancement de l’année pourrait concerner soit la constellation européenne de navigation Galileo, soit le premier vol pour la constellation Kuiper d’Amazon, un client majeur d’Ariane 6, qui a sécurisé 18 lancements sur une trentaine dans le carnet de commandes. Ce poids alimente les craintes de voir un lanceur conçu pour garantir la souveraineté spatiale européenne dépendre d’un client commercial étranger. Interrogé par l’AFP sur la question de savoir si miser sur Kuiper n’était pas contradictoire avec la logique d’un lanceur européen souverain, David Cavaillolès a estimé que cette expérience était «très utile pour l’avenir». «A travers Kuiper, nous apprenons à déployer une mégaconstellation et il y aura très probablement de plus en plus de projets comme celui-ci», dont la constellation Iris², un projet phare de l’Union européenne qui vise à assurer une connectivité sécurisée et souveraine et dont le déploiement est prévu à partir de 2029. «Je ne vois aucune contradiction entre faire Kuiper et demain Iris², OneWeb (constellation commerciale de satellites en orbite basse) ou autre», a-t-il dit. A ce stade, près des deux tiers des clients d’Ariane 6 sont commerciaux, a souligné le patron d’Arianespace. «Nous faisons le maximum pour conserver le pilier institutionnel, car c’est notre ADN, c’est un vecteur de souveraineté et de pouvoir» tandis que le volet commercial est «un levier de soft power». «Je tiens à conserver les deux dimensions», a-t-il insisté. Trop cher Augmenter le nombre de satellites par lancement n’est pas actuellement à l’ordre du jour en raison de la complexité de telles missions et du manque de réglementation, a souligné David Cavaillolès. «Peut-être que dans deux ou trois ans, si nous lançons un satellite de type Sentinel, nous pourrons en embarquer d’autres. Pour l’instant, nous nous concentrons sur l’exécution de la mission principale», insiste-t-il. Quant aux critiques concernant le prix des lancements d’Ariane 6, beaucoup plus élevés que ceux de fusées réutilisables menés par SpaceX d’Elon Musk, David Cavaillolès a refusé de donner des estimations précises tout en rappelant que les premiers exemplaires du lanceur étaient toujours «plus coûteux à produire». «Aujourd’hui, nous signons des contrats, ce qui signifie que nous sommes sur le marché. Mais il y a clairement un défi pour voir comment les prix évoluent en fonction du succès ou non d’autres lanceurs», a-t-il admis. Depuis une décennie, la révolution des lanceurs réutilisables menée par SpaceX a profondément transformé le secteur. Pour l’Europe, la question des coûts est devenue centrale pour rester compétitive face à des acteurs privés agressifs, mais aussi pour préserver un accès souverain à l’espace qui ne saurait être fragilisé par une dépendance aux prix du marché. Olga NEDBAEVA © Agence France-Presse -
Un an après, l’Europe n’a pas enclenché l’électrochoc prôné par Mario Draghi face au risque de « décrochage »
Bruxelles - «Notre modèle de croissance s'érode, nos vulnérabilités s’accroissent, le financement des investissements requis n’est pas clairement tracé». Un an après la remise d’un rapport choc qui mettait en garde contre le «décrochage» économique du Vieux continent face aux Etats-Unis et à la Chine, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, a exhorté mardi l’Europe à sortir de sa «lenteur» et mener des réformes pour redresser sa compétitivité. Invité par la Commission européenne à dresser un premier bilan, douze après la remise de ses préconisations, l'économiste italien et ancien président de la Banque centrale européenne n’a pas mâché ses mots. Tout en saluant la détermination à agir de la Commission, qui avait endossé son diagnostic et a lancé depuis de multiples initiatives inspirées de ses recommandations, le professeur Draghi a jugé que «les entreprises et les citoyens (...) sont déçus par la lenteur de l’Europe, et son incapacité à aller aussi vite» que les Etats-Unis ou la Chine. «L’inaction menace non seulement notre compétitivité, mais également notre souveraineté», a-t-il prévenu, regrettant que «les gouvernements n’aient pas conscience de la gravité de la situation». Progrès «mitigés» Selon les calculs du centre de réflexion bruxellois EPIC, seulement 11% des 383 recommandations faites par M. Draghi dans son rapport sur «l’avenir de la compétitivité européenne» ont été mises en oeuvre totalement, et environ 20% de manière partielle. Les économistes de Deutsche Bank Marion Muehlberger et Ursula Walther jugent également dans une note que «les progrès dans l’ensemble sont mitigés», avec des «réformes substantielles» mises en oeuvre ou engagées, mais sans qu’il y ait de quoi bouleverser la donne à ce stade. Parmi les principales avancées, la relance de l’industrie de défense. L’urgence de réarmer l’Europe face à la menace russe a poussé les 27 à se lancer dans un effort de réindustrialisation collectif, avec une agilité remarquée. La semaine dernière, la Commission a ainsi annoncé avoir alloué 150 milliards d’euros de prêts à 19 pays, dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à mobiliser jusqu'à 800 milliards d’euros. L’Europe s’est également dotée d’une plateforme commune pour sécuriser ses approvisionnements en matières premières «critiques», et a multiplié les initiatives dans le domaine de l’intelligence artificielle. Autant de réalisations mises en avant par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui, en recevant Mario Draghi, a reconnu la nécessité d’aller plus vite pour redresser la barre. «Sentiment d’urgence» Elle a assuré que la commission «maintiendra sans relâche le cap jusqu‘à ce que tout soit accompli», et à enjoint les autres institutions européennes à se joindre au mouvement, en particulier le Parlement, qui n’a toujours pas adopté une série de lois de simplification réglementaire dites «Omnibus». «Nous avons besoin d’une action urgente pour faire face à des besoins urgents, car nos entreprises et nos travailleurs ne peuvent plus attendre», a-t-elle exhorté. Selon Deutsche Bank, ces mesures de simplifications pourraient faire économiser de l’ordre de 9 milliards d’euros par an aux entreprises européennes. La cheffe de l’exécutif européen appelle aussi à mettre en oeuvre «avec un sentiment d’urgence» le parachèvement du marché unique, un vaste projet consistant à lever d’ici 2028 de multiples barrières internes qui continuent de freiner l’activité économique dans de nombreux secteurs. D’après le Fonds monétaire international, ces entraves représentent l'équivalent de 45% de droits de douane sur les biens, et de 110% sur les services. Pour Simone Tagliapietra, expert à l’institut Bruegel, «le message de M. Draghi est très clair: soit l’Europe change de modèle économique, soit elle est condamnée à périr». Et cela s’adresse en priorité aux Etats membres, là où réside selon lui le principal obstacle aux réformes. Frédéric POUCHOT © Agence France-Presse -
Budget 2026 : LFI refuse l’invitation de Sébastien Lecornu à Matignon
Paris - La France insoumise a refusé l’invitation du nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu, qui reçoit mercredi à Matignon les responsables de gauche dans le cadre de ses consultations en vue de préparer le budget 2026, a indiqué mardi la cheffe des députés LFI Mathilde Panot. Mme Panot a indiqué avoir reçu un coup de téléphone lundi soir de Matignon pour inviter LFI mercredi matin, et précisé que son groupe ne s’y rendrait pas, comme cela avait déjà été le cas lorsque François Bayrou avait voulu les consulter. «Les Insoumis n’ont absolument rien à négocier avec les macronistes (...) qui n’ont aucune légitimité pour continuer une politique dont personne ne veut», a déclaré la présidente des députés Insoumis en conférence de presse. Elle a fustigé un coup de fil «tardif, vers 21H00», déplorant un «sens du timing (...) extrêmement méprisant». Depuis sa nomination le 9 septembre, Sébastien Lecornu a commencé ses consultations avec d’abord les partis de son «socle commun» (bloc central et LR), puis les syndicats et organisations patronales. Mardi après-midi, il reçoit des représentants de la galaxie centriste: le groupe parlementaire Liot (Libertés, indépendants et outre-mer et territoires) à 16H00, le Parti radical à 17H15, le Parti radical de gauche (PRG) à 18H15 et le parti Utiles (proche de Liot) à 19H30. Mercredi, les responsables du Parti socialiste, des Écologistes et du Parti communiste seront reçus dans la matinée. Le RN de Marine Le Pen et Jordan Bardella sera également reçu le même jour, de même que Place publique, la formation social-démocrate de Raphaël Glucksmann, a fait savoir Matignon sans préciser les horaires de ces entretiens. Viendra enfin jeudi le tour d’Eric Ciotti et son Union des droites pour la République (UDR). © Agence France-Presse