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La vitalité de la croissance américaine entre narratif et réalité

La croissance américaine a, de nouveau, surpris à la hausse au deuxième trimestre avec une progression de PIB de 2,8% en variation trimestrielle annualisée. Loin de s’essouffler, la croissance, portée par la consommation privée, accélère après un début d’année en demi-teinte (1,4% en variation trimestrielle annualisée) qui, conformément aux attentes, semblait présager d’un ralentissement graduel de l’activité courant 2024. La capacité de l’économie américaine à absorber les chocs successifs – Covid, guerre en Ukraine, inflation et durcissement monétaire – ne cesse d’étonner, là où l’Europe accuse nettement le coup avec une activité toujours à la peine.
De nombreuses raisons sont invoquées pour expliquer cette moindre sensibilité des Etats-Unis aux chocs.
En premier lieu, le choc énergétique consécutif au déclenchement de la guerre en Ukraine a fortement affecté l’Europe, grande importatrice de gaz et de pétrole russes, là où les Etats-Unis ont été protégés par leur indépendance énergétique. Ils ont même profité de la pénurie, en exportant leur gaz naturel liquéfié vers une Europe en quête de diversification de ses approvisionnements.
Dans un contexte de poussée inflationniste généralisée, on a par ailleurs assisté à des comportements de consommation et d’épargne très différents des deux côtés de l’Atlantique. Les consommateurs américains ont puisé dans l’épargne accumulée durant la Covid pour maintenir leur niveau de vie et consommer comme à leur habitude. À l’opposé, les Européens ont ajusté à la baisse leurs dépenses pour faire face à la crise du coût de la vie, tout en continuant à accumuler une épargne de précaution.
Aspects conjoncturels
La dynamique d’investissement a également été à l’avantage des Etats-Unis. Les aides et les subventions publiques massives accordées, dans le cadre de la nouvelle politique industrielle américaine matérialisée par le Chips Act ou l’Inflation Reduction Act, ont permis de soutenir les investissements dans le numérique, les industries vertes et les énergies renouvelables. À l’inverse, le choc de compétitivité lié au renchérissement des coûts de l’énergie en zone euro a pesé sur les investissements productifs, surtout en Allemagne et dans les secteurs électro-intensifs. Seuls les pays récipiendaires de la manne financière du plan de relance NextGenerationEU, comme l’Italie et l’Espagne, ont continué d’investir.
Aux Etats-Unis, ces vents porteurs n’ont pas été contrariés par la forte remontée des taux d’intérêt. L’usage des crédits à taux fixes, très largement répandu depuis la crise des subprimes, a protégé les ménages emprunteurs de la hausse des taux d’intérêt. L’ajustement des prix immobiliers, en terme nominal, est resté limité dans un contexte de gel des transactions sur fond de renchérissement du coût des emprunts hypothécaires. Le patrimoine immobilier ne s’est donc que peu dévalorisé et le patrimoine financier a, pour sa part, continué de prospérer de telle sorte que l’effet de richesse positif a pu soutenir la consommation.
Quant aux entreprises, elles ont eu la capacité, au sortir de la crise de la Covid, de répercuter les hausses de coûts de production à leurs clients. Les marges et les profits sont restés bien orientés et les excédents de trésorerie ont été placés sur des supports plus rémunérateurs, en phase avec la hausse des taux. Par ailleurs, le gonflement des revenus d’exploitation a mécaniquement contribué à réduire les ratios d’endettement.
Productivité en débat
Au-delà de ces aspects conjoncturels, les écarts de croissance constatés pourraient s’avérer plus structurels puisque, d’après les statistiques nationales, la productivité repart à la hausse aux Etats-Unis, là où elle stagne, voire recule, en zone euro. Or, dans des économies vieillissantes, la productivité, reflet d’une meilleure efficacité des processus productifs en lien avec le progrès technique, devient le seul moteur de croissance à long terme. La diffusion des technologies du numérique à l’ensemble de l’économie pendant la période Covid, avec l’usage devenu indispensable des outils digitaux, serait ainsi à l’origine de ce renouveau de productivité… L’espoir est que la technologie naissante de l’intelligence artificielle prenne rapidement le relais pour soutenir un nouveau cycle de productivité.
A lire aussi: L'énigme de la productivité
Certains doutent de cette analyse et des chiffres de productivité qu’ils jugent surestimés. Ces mauvais calculs viendraient des erreurs d’estimation des flux migratoires. Pour l’année 2023, ces flux s’échelonnent entre 850.000 pour le Census Bureau (bureau de recensement) et plus de 3 millions d’après le CBO, le bureau du budget au Congrès. L’inclusion d’une main-d’œuvre étrangère, parfois non déclarée, sur le marché du travail est normalement source de création de richesse, laquelle rapportée à un nombre de travailleurs ou d’heures travaillées potentiellement sous-estimé pourrait conduire à méjuger l’ampleur des gains de productivité. Autrement dit, l’idée d’une croissance intensive tirée par l’innovation et les gains de productivité serait tout ou partie erronée avec une croissance qui serait aussi de nature extensive grâce à l’intégration en plus grand nombre d’étrangers sur le marché du travail, de quoi générer davantage de revenu et de consommation.
La surperformance relative des Etats-Unis est donc incontestable ; mais son origine discutable avec un narratif qui tourne autour de l’innovation et de la productivité comme principal moteur de croissance mais qui élude, sans doute pour des raisons politiques, la participation de l’immigration à la vitalité de l’économie. It’s the politics, stupid !
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Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse