La Fed ne devrait plus bouger ses taux

Les marchés parient sur une pause, voire un arrêt des hausses de taux. Mais peut-être à tort.
FED réserve fédérale
La prochaine réunion de la Réserve fédérale se tiendra les 19 et 20 septembre  -  Photo Fed.

Si personne n’avait de vue précise sur la réunion de la Banque centrale européenne (BCE) ayant abouti à une nouvelle hausse de taux jeudi, chacun a son avis sur la façon dont la Réserve fédérale (Fed), qui réunit son Comité de politique monétaire (FOMC) mercredi, a géré l’inflation d’après-covid.

Pour certains, comme le gouverneur Christopher Waller, la banque centrale américaine est en train de réussir son pari de la ramener progressivement vers 2% sans récession (soft landing). Pour d’autres, comme les économistes Ben Bernanke et Olivier Blanchard, elle devra aller plus loin et s’attaquer au chômage pour réussir son pari (hard landing). De quoi alimenter quelques divergences au sein du FOMC, qui indiquera aussi ses nouvelles projections (dot plots). Le président Jerome Powell, qui allie optimisme et prudence depuis juin, n’a pas tranché, laissant les marchés anticiper une pause dans les hausses de taux pour le 20 septembre (97% de chances selon le CME FedWatch). Et sur une possible dernière hausse jusqu’à 5,75% (haut de fourchette) le 1ᵉʳ novembre (35% à 45% de chances selon les jours).

Risques à la hausse ?

«Il faut relire le discours de Jerome Powell à la réunion de Jackson Hole, s’insurge Patrice Gautry, chef économiste chez UBP (Union Bancaire Privée). Avec un ton restrictif, il a laissé toutes les options ouvertes à 50/50. Certes, les membres restrictifs du FOMC sont restés plutôt silencieux depuis, laissant les marchés s’installer dans l’idée d’une pause. Mais les minutes de juillet montraient fin août des inquiétudes fortes sur l’inflation, après deux mois de hausse du pétrole. Les arguments en faveur d’une pause en juin - risques liés au plafond de la dette et à un ‘credit crunch’ post-SVB’ - ne tiennent plus. Au contraire, du point de vue des gouverneurs ‘hawkish’ les plus en quête de crédibilité sur l’inflation, les indicateurs continuent d’instaurer des doutes sur l’idée que la normalisation est assez linéaire et assez rapide.»

Après Jackson Hole, deux nouvelles ont renforcé les convictions des marchés avec des statistiques sur les postes vacants (Jolts) en forte baisse en juillet et la hausse du taux de chômage de 3,5% à 3,8% en août. Depuis, la révision du PIB au T2-2023 (de 2,4% à 2,1% en rythme annualisé) a été compensée par plusieurs nouvelles en sens inverse avec : la consommation des ménages (PCE) en hausse en juillet (+0,8%) ; l’inflation sous-jacente «PCE core» encore stable en juillet (+0,2%) ; un moindre ralentissement de l’indice ISM manufacturier en août (47,6) ; la plus belle progression de l’indice ISM services depuis six mois (54,5) ; une inflation CPI à nouveau en hausse à cause du pétrole en août (3,7% en rythme annuel) même si l’inflation sous-jacente «core CPI» continue d’aller dans le bon sens (4,3%) ; et une hausse des prix à la production (PPI) de +0,7% en rythme mensuel en août également à cause du pétrole !

«Jerome Powell a bien évoqué un rebond de la demande, mais en suggérant qu’elle ne semble pas soutenable, relativise Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier. Il a dit que les taux sont déjà ‘restrictifs’. Et la Fed estime déjà que l’économie américaine n’est plus en zone de ‘surchauffe’, comme le montrent divers indicateurs : défauts sur les cartes de crédit, inflation ‘super-core’ très diminuée, etc. C’est aussi notre scénario, même s’il reste des risques à la hausse, qui pourraient justifier un relèvement des taux en novembre ou en décembre, avec davantage de données. Mais pas mercredi, à la surprise de tous.» L’idée d’une pause a aussi été soutenue par certains poids lourds de la Fed comme John Williams de la Fed de New York ou même Christopher Waller.

Mais les interprétations des chiffres sont de plus en plus subjectives. Certains économistes se satisfont d’indices de salaires, d’inflation ou de consommation en hausse tendancielle de +0,2% chaque mois. D’autres, comme Patrice Gautry, s’inquiètent «de leur très forte volatilité d’un mois sur l’autre, comme pour le CPI core services hors logement à +0,3%. Cela freine la tendance annuelle à la baisse, et ne rassure pas sur le contrôle de la banque centrale». «Outre les données économiques et l’emploi très résilients, on voit les conditions financières qui cessent de se durcir, et les prix immobiliers remonter un peu. Or certains effets de base sur l’inflation vont commencer à se tasser, ajoute François Rimeu, stratégiste senior chez La Française AM. La Fed pourrait bien profiter de la hausse des taux en zone euro pour envoyer aux marchés un dernier message ‘hawkish’…»

Salaires en baisse ?

Pour Paolo Zanghieri, économiste senior chez Generali Investments, «le président de la Fed se trouve dans une situation où il pourrait avoir du mal à envoyer un message aussi clair que sur les derniers mois. Les entreprises ont eu tellement de mal à embaucher post-covid qu’elles ne sont plus prêtes à licencier, même en cas de fort ralentissement. Cela va dans le sens d’un ‘soft landing’, sans forte hausse du chômage. On voit quand même une tendance se dessiner au ralentissement des hausses de salaires, ce qui reste la principale préoccupation», ajoute-t-il en s’appuyant sur le suivi de la Fed d’Atlanta. Notamment sur les salariés qui changent de poste pour bénéficier d’augmentations de salaires (job switchers, voir graphique). «Certes, mais certains syndicats négocient encore de fortes hausses. Et l’activité connaît quelques rebonds, comme avec le récent indice NY Empire State Manufacturing. Or quand l’activité reprend, les prix généralement aussi. C’est d’ailleurs ce qu’indique la remontée des taux réels à 5 ans depuis mi-août : la Fed ne peut se satisfaire d’un atterrissage de l’inflation à 2,5% à moyen terme, même si c’est à cause du pétrole. Et elle ne peut être dans le ‘stop-and-go’ permanent», estime Patrice Gautry.

En cas de pause mercredi, «la banque centrale préférera toujours, si elle doute d’arriver à l’objectif d’inflation, rallonger la période-plateau de taux élevés avant sa première baisse (actuellement prévue en avril par les marchés, ndlr) plutôt que de risquer une erreur en remontant trop ses taux», conclut Samy Chaar. Il faudra aussi regarder avec attention les «dot plots» des gouverneurs. «Sur les taux qu’ils prévoyaient à 5,75% fin 2023 en juin, comme sur l’inflation et la croissance à moyen terme», complète Paolo Zanghieri, pour qui l’économie américaine se contracterait au premier semestre 2024. Et ce malgré un soutien budgétaire persistant qui, comme les salaires malgré leur baisse, va encore à l’encontre de la politique monétaire.

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