
La BCE change de ton

La Banque centrale européenne (BCE) n’a pas surpris jeudi sur la hausse des taux, qui était attendue à 75 points de base (pb) comme en septembre. C’est peut-être moins le cas concernant sa décision de changer a posteriori la règle de calcul du taux d’emprunt des opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO 3), qui devrait amener les banques ayant emprunté pour trois ans afin de participer au financement de l’économie pendant la crise à en rembourser une partie de manière anticipée (lire ci après).
Plus dovish…
Concernant la politique monétaire conventionnelle, le Conseil des gouverneurs a donc décidé, en s’appuyant sur une inflation toujours aussi élevée en zone euro (9,9%, 4,8% pour l’inflation sous-jacente), d’augmenter ses trois taux d’intérêt directeurs de 75 pb, à 1,50% pour le taux de dépôt, 2% pour le taux de refinancement (MRO), et 2,25% pour la facilité de prêt marginal (MLF). Avec ce troisième relèvement de suite depuis juillet, «la BCE a retiré une part substantielle du caractère accommodant de l’orientation de sa politique monétaire», a répété la présidente Christine Lagarde, comme satisfaite du niveau d’avancement de la normalisation, même si les risques pour l’inflation restent, selon elle, orientés à la hausse. «Le communiqué ne fait plus référence à ‘plusieurs prochaines réunions’ pour continuer à relever les taux : le message qui est passé, notable bien que subtil, est celui d’une institution qui sera attentive, et prête à ralentir le rythme des resserrements si nécessaire», estime Jean-Marc Delfieux, responsable de la gestion obligataire chez Tikehau IM. De fait, les taux à 10 ans de la zone ont baissé après l’annonce, de 16 pb pour le Bund allemand, 19 pb pour l’OAT française et de 32 pb pour le BTP italien, et eux à 2 ans de respectivement 26, 18 et 37 pb. «Si les anticipations de hausse de taux pour décembre restent à 50 pb, les marchés de swaps ont aussi porté le taux de dépôt terminal de la BCE à 2,50% en 2023, au lieu de 3% vendredi», ajoute Jean-Marc Delfieux. «Ils ont interprété la conférence comme légèrement plus accommodante (dovish), remarque Jeanne Asseraf-Bitton, responsable Recherche et Stratégie de BFT IM. Mais le message se place dans un contexte où toutes les banques centrales (dont celles du Canada mercredi) commencent à se rendre compte des effets potentiellement cumulatifs de leurs resserrements respectifs, et où la BCE a rattrapé une partie de son retard et va à nouveau pouvoir se permettre de temporiser un peu.»
… avec le risque de récession
Après la déclaration du vice-président Luis de Guindos selon laquelle «ce que nous considérions comme le scénario baissier en septembre (-0,9% de PIB en 2023 au lieu de +0,9%) se rapproche du scénario de base», un autre changement majeur est venu du fait que Christine Lagarde a, moins que par le passé, caché le risque d’une récession. Inflation élevée, revenu réel entamé, confiance des ménages, demande de services et commandes industrielles en baisse… En évoquant le fort resserrement des conditions financières déjà acté au troisième trimestre et à venir au quatrième trimestre, «la présidente de la BCE a clairement fait comprendre que les risques sur la croissance sont en hausse», estime Jean-Marc Delfieux. Concernant le crédit bancaire aux entreprises encore en hausse, elle a reconnu qu’il sert bien davantage à financer des coûts de production élevés et la constitution de stocks liée à la baisse des commandes qu’à des fins d’investissement…
«Dans les faits, la zone euro se trouve déjà en récession selon les données avancées, et le fait qu’elle mette plus l’accent sur la croissance et moins sur l’inflation participe aussi à la baisse des taux longs, ajoute Jeanne Asseraf-Bitton. Tout l’enjeu va porter sur la hausse des salaires, sur laquelle nous avons très peu de visibilité malgré la force du marché du travail, et sur la façon dont la récession peut endiguer l’inflation, également dans un environnement où les prix du gaz ont récemment chuté.»
La BCE se voudrait ainsi plus pragmatique. Si elle est restée évasive sur le taux (réel) neutre de la zone euro et le taux de dépôt terminal pour ramener l’inflation à 2%, sa présidente a indiqué que «les prochaines hausses seront déterminées en tenant compte à la fois des perspectives d’inflation (les prochaines en décembre, ndlr), y compris l’évolution de l’économie dans le contexte d’une probabilité plus élevée de récession ; du parcours déjà effectué (200 pb depuis juillet) ; et des délais de transmission de la politique monétaire (avec des effets sur l’économie en général 6 à 12 mois plus tard, ndlr) qui pourraient être plus rapprochés dans le temps compte tenu de la vitesse historique du resserrement effectué». Une approche plus tout à fait aussi dépendante des données.
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