
Des gérants testent la fin de l’inversion de la courbe des taux

Tout en affirmant la détermination de la Banque centrale européenne (BCE), sa présidente Christine Lagarde n’a pas sous-entendu jeudi que les marchés se trompaient sur leur valorisation du taux terminal. Celui-ci reste proche de 3,50%, avec un «pivot» vers 3,25% dès décembre. Ce scénario est aussi celui des marchés de taux américains, depuis longtemps compte tenu d’une détermination de la Fed à «casser» la demande, quitte à ramener son taux directeur de 5,25% à 4,75% aussi dès la fin de l’année.
Dans les deux cas, le pivot de la banque centrale correspondrait à une entrée de l’économie en récession suffisamment forte pour jouer sur l’emploi, ou du moins sur l’atténuation des risques d’une boucle prix-salaires inarrêtable. C’est ce que retranscrivent potentiellement les courbes des taux 2-10 ans inversées, de 80 pb sur les Etats-Unis et de 40 pb sur l’Allemagne.
Sur ces points, quelques gérants estiment que les marchés se trompent, et jouent davantage une «désinversion» de la courbe à plus ou moins long terme. «L’inflation sous-jacente sera encore importante en zone euro au deuxième trimestre, ne serait-ce qu’à cause des rattrapages du début d’année sur les salaires, ce qui va amener la BCE à monter les taux courts plus haut plus longtemps, mais aussi parce que les taux longs en euros vont souffrir de montants d’émissions nettes bien supérieurs, notamment pour l’Allemagne et à cause de la réduction du bilan (quantitative tightening, QT) à partir de mars», rappellent Olivier de Larouzière et Cédric Scholtes, respectivement directeurs des gestions Fixed income et des stratégies Taux souverains/inflation chez BNP Paribas AM. Ces derniers estiment aussi les marchés de taux américains trop agressifs sur l’inversion outre-Atlantique, même si les besoins d’émissions à long terme y sont très inférieurs : «Même en cas de récession et de chute de l’inflation qui auraient des conséquences sur les actions, le fait que la majorité des investisseurs soient probablement sous-pondérés sur la duration nous rend légèrement plus constructifs sur les US Treasuries 10 ans pour la deuxième moitié de 2023.»
A contre-courant ?
Lorsqu’elle était encore présidente de la Fed, Janet Yellen, désormais secrétaire du Trésor américain, avait indiqué que ce n’est pas tant le taux terminal qui importe que de bien sentir le moment où il faut inverser le mouvement : de ce point de vue, le débat demeure entre les investisseurs, qui voient donc la banque centrale enclencher son «pivot» entre juillet et septembre, et les économistes, qui estiment que les premiers mesurent mal la résilience du marché du travail à la récession que la Fed tente de provoquer. Certains calculent que les Etats-Unis ne retrouveront pas de sitôt les 4,5% de chômage - au lieu de 3,4% actuellement - qui la feraient bouger, rassurée sur une stabilisation des salaires.
C’est aussi le débat qui anime les gouverneurs de la Fed, rappelait la semaine dernière Nick Timiraos dans le Wall Street Journal, avec d’un côté les gouverneurs qui anticipent comme les marchés une «normalisation» rapide à partir d’une analyse nuançant les effets spécifiques liés à la pandémie, et d’un autre côté les gouverneurs et le staff d’économistes de la Fed qui accordent plus de poids à une analyse traditionnelle et plaideraient pour une politique plus stricte plus longtemps.
D’autres investisseurs commencent à faire ce pari de la «désinversion» : le fonds BlueBay Global Sovereign Opportunities Fund, qui a gagné 19% (dans sa version en euros) en shortant les obligations britanniques et japonaises malgré un marché souverain désastreux en 2022 (-16%), n’est pas repassé à l’achat sur les taux longs (américains, japonais et italiens notamment) parce qu’il trouve les marchés trop sereins sur la fin du resserrement monétaire. Des gestionnaires comme BlackRock et Fidelity Investments avertissent également que les investisseurs sous-estiment à la fois les pressions sur les prix et le pic sur les taux américains.
«Avec les relèvements de taux déjà effectués, les flux vers les fonds monétaires et les taux courts sont aussi redevenus importants en zone euro – et ce malgré des besoins de financements courts qui pourraient augmenter avec la fin des opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO 3), poursuit Olivier de Larouzière. Pour nous, il ne serait pas étonnant de voir les taux des Bunds à 10 ans dépasser 2,75% en mars-avril, et les taux allemands à 2 ans baisser pour ramener la différence à +40 pb», ajoute-t-il, alors que ses équipes se positionnent «short duration» via différentes tactiques.
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