
- Banque centrale
- Tribune
A l’heure digitale, une réforme bancaire rétro

Dans les années 1960, le crédit était la forme dominante de financement des emprunteurs, les marchés de capitaux étaient encore embryonnaires, les banques commerciales françaises étaient «en banque» et, pour financer des crédits supérieurs aux dépôts, avaient systématiquement recours au «refinancement» de la Banque de France pour combler l’insuffisance de leurs ressources. Ces prêts de la Banque se faisaient contre une garantie, qui prenait la forme d’une mise en pension de créances représentatives de bons crédits, ceux que la banque centrale considérait «éligibles».
Cette pratique de l’escompte, héritage d’une période où le crédit bancaire était largement à court terme et suivait le cycle des affaires, a été abandonnée vers la fin des années 1960, après le célèbre rapport Marjolin-Sadrin-Wormser, qui, en 1968, préconisait qu’on crée un «véritable» marché monétaire, où tous les acteurs bancaires puissent échanger leurs excédents ou leurs déficits de trésorerie sans faire appel systématiquement à la banque centrale. A un système bilatéral, entre chaque banque et le banquier central, était substitué un système multilatéral, un véritable marché, dont le taux devait refléter la situation de liquidité des banques. Dans ce nouvel univers, l’escompte subsistait comme mesure d’appoint, pour permettre aux banques de trouver, dans l’urgence, un financement auprès du prêteur en dernier ressort, à un taux plus élevé que le taux du marché monétaire, devenu le taux directeur.
A lire aussi: Les bank runs à l’ère numérique
De l’eau a coulé depuis cette période, la Banque centrale européenne (BCE) a désormais la haute main sur la politique monétaire de la zone euro, mais c’est à peu près le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui encore. Le marché monétaire est devenu un vaste marché des repo (des crédits collatéralisés par des titres), auquel participent, outre les banques, celles que l’on désigne aujourd’hui comme les «non-banques». Pourtant, au vu des événements qui se sont produits aussi bien en 2008 que tout récemment aux Etats-Unis avec la crise de la Silicon Valley Bank (SVB) et quelques autres, il faudrait envisager de revenir au système d’antan. Pourquoi ?
Panique bancaire
Aussi bien en 2008, suite à la crise systémique créée par les subprime, qu’en 2023 après le run bancaire consécutif à des erreurs de gestion face à la hausse des taux d’intérêt, ce que l’on observe, c’est, en cas de doute sur la qualité de quelques banques, la peur et la défiance vis-à-vis de l’ensemble des acteurs, et pas seulement de ceux à l’origine de la panique. Cette défiance peut être le fait de particuliers ou de non-banques (en 2023) ou de l’ensemble des acteurs du marché monétaire (en 2008). Car ces acteurs ignorent la situation réelle des différents protagonistes et leur degré de vulnérabilité et, dans le doute, se protègent. D’où une tension sur le taux des prêts interbancaires, comme en 2008, ou une panique bancaire, comme en 2023.
La banque centrale met alors en place des lignes de crédit pour les banques : 280 milliards de dollars en un mois pour la Réserve fédérale (Fed) entre mars et avril 2023 ; ou elle rétablit la relation bilatérale avec les banques, comme l’a fait la BCE en 2008, en instaurant une «politique de soutien renforcé du crédit» aux banques. Dans chacun des cas, la mesure a été efficace mais, quand elle est intervenue, le mal était déjà fait. Il serait donc bienvenu de revenir à un système de relations centralisé entre la banque centrale et les banques commerciales, vidant ainsi de sa substance le marché tel qu’il existe aujourd’hui. L’intérêt principal de cette réforme : empêcher qu’un risque local ne dégénère en risque systémique.
Au fond, il s’agit de faire jouer en matière monétaire à la banque centrale le rôle que jouent les chambres de compensation pour les titres.
Quels sont les inconvénients de cette évolution ? Le premier, c’est de faire remonter plus de choses qu’il ne serait nécessaire par temps calme sur les marchés à la banque centrale. Certes, mais est-ce si grave ? Le coût paraît faible pour une assurance contre un risque systémique, qui peut ruiner des banques saines ; le second, c’est que l’on risque de montrer du doigt les banques qui ont recours au refinancement plus que leurs rivales. Ce risque n’existe en réalité que quand la procédure de refinancement systématique à la banque centrale est exceptionnelle, mais il ne joue pas quand c’est le mode de fonctionnement normal. Enfin, une grande différence existe entre les années 1960 et les années 2020 : les non-banques jouent désormais un rôle majeur, et un grand marché des repo est évidemment attractif pour elles, tandis qu’un système de refinancement des seules banques peut paraître discriminant et inadapté. Mais le sujet de l’accès des non-banques à la banque centrale existe en tout état de cause. La Fed s’y est attaquée en créant le Reverse Repurchase Program, qui offre aux fonds un placement sûr dans son bilan. Créé en 2013, il rassemble aujourd’hui plus de 2.370 milliards de dollars, plus que l’encours de billets (2.290 milliards) et désormais proche des réserves des banques (3.700 milliards).
Enfin, il n’est pas sûr que cette mesure soit si «vieux jeu», à lire le tout récent rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI), qui, esquissant un avenir possible des paiements du futur, propose, pour faire une place aux «jetons» qui pourraient constituer la MNBC (monnaie numérique de banque centrale), un système de compensation de ce type. Faire du neuf avec du vieux, en ces temps de recyclage, pourquoi pas ?
Achevé de rédiger le 30 juin 2023.
Plus d'articles du même thème
-
Patrimoine Online à Bordeaux avec Yves Mazin (CNCGP & Version Patrimoine)
Le nouveau président de la CNCGP, également co-fondateur du cabinet Version Patrimoine, était l’invité de la rentrée. -
L’automne s’annonce risqué pour les taux longs
Les obligations souveraines à long terme ont subi une nouvelle correction violente début septembre. Les facteurs fondamentaux comme les facteurs techniques ne permettent pas d’envisager un changement de la tendance. -
Google et Shein écopent de lourdes amendes de la Cnil
Le gendarme français des données personnelles a condamné mercredi la filiale d’Alphabet et le mastodonte chinois du textile à bas coût à des sanctions records pour non-respect de la législation sur les cookies publicitaires.
Sujets d'actualité
ETF à la Une

L'ETF d'Ark Invest, le casse estival de l'IPO de «Bullish»
- A la Société Générale, les syndicats sont prêts à durcir le ton sur le télétravail
- Revolut s’offre les services de l’ancien patron de la Société Générale
- Le Crédit Agricole a bouclé l'acquisition de Banque Thaler
- Les dettes bancaires subordonnées commencent à rendre certains investisseurs nerveux
- Les émetteurs français de dette bravent la crise politique
Contenu de nos partenaires
-
Wall Street recule face au ralentissement de l'emploi malgré la perspective de baisses de taux de la Fed
Washington - La Bourse de New York a clôturé en baisse vendredi après la dégradation du marché du travail en août aux Etats-Unis, l’inquiétude d’un ralentissement économique prenant le pas sur l’optimisme quant à une baisse des taux de la Fed. Le Dow Jones a reculé de 0,48% et l’indice élargi S&P 500 a perdu 0,32%. L’indice Nasdaq, à forte coloration technologique, a terminé proche de l'équilibre (-0,03%). La place américaine se montre quelque peu «angoissée» face à un possible «ralentissement économique» aux Etats-Unis, a souligné Jose Torres, analyste d’Interactive Brokers. Le marché du travail a continué à se dégrader en août aux Etats-Unis, avec un taux de chômage en progression, à 4,3%, selon les données officielles publiées vendredi par le ministère du Travail américain. La première économie mondiale a créé seulement 22.000 emplois le mois dernier, un niveau bien inférieur à ceux auxquels les Etats-Unis étaient habitués. Les analystes s’attendaient à 75.000 créations d’emploi, selon le consensus publié par MarketWatch. Les investisseurs demeurent prudents, ne connaissant pour le moment pas encore «toutes les implications de cette faiblesse persistante du marché du travail», notent les analystes de Briefing.com. Le flou autour des droits de douane de Donald Trump risque de continuer à freiner les embauches, a relevé par ailleurs Art Hogan, analyste de B. Riley Wealth Management. Mais ce rapport sur l’emploi donne aussi le feu vert à un assouplissement monétaire de la part de la banque centrale américaine (Fed) lors de sa réunion de septembre, avec la possibilité d’un futur coup de fouet pour l'économie. Il «laisse également entendre que d’autres mesures seront nécessaires pour stabiliser le marché du travail avant la fin de l’année», a noté Samuel Tombs, analyste de Pantheon Macroeconomics. Les acteurs du marché s’attendaient déjà à ce que le Fed réduise ses taux dans une fourchette de 4,00% à 4,25% lors de sa prochaine réunion. Désormais, ils sont aussi une majorité à anticiper d’autres baisses lors des réunions d’octobre et de décembre, selon l’outil de veille FedWatch CME. Dans ce contexte, sur le marché obligataire, les taux d’intérêt ont nettement reculé. Vers 20H15, le rendement de l’obligation d’Etat américaine à échéance 10 ans tombait à 4,09%, contre 4,16% jeudi en clôture. A deux ans, il reculait à 3,52% contre 3,59%. Au tableau des valeurs, le géant des semi-conducteurs Broadcom a brillé (+9,41% à 334,89 dollars) après l’annonce de résultats supérieurs aux attentes pour le troisième trimestre de son exercice décalé, tant au niveau de son chiffre d’affaires que de son bénéfice net par action. Le groupe pharmaceutique Kenvue a chuté (-9,15% à 18,66 dollars) après parution d’informations de presse assurant que le ministre américain de la Santé pourrait lier son médicament phare, le Tylenol, au développement de l’autisme chez l’enfant. Selon le Wall Street Journal, le ministre américain de la Santé Robert Kennedy Jr, contesté pour ses positions antivaccins, s’apprêterait à lier la prise d’acétaminophène (ou paracétamol) - principe actif du Tylenol aux Etats-Unis ou Doliprane en France - chez les femmes enceintes au développement de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant, dont l’autisme. Le spécialiste des véhicules électriques Tesla (+3,64% à 350,84 dollars) a été recherché après que son conseil d’administration a proposé un plan de rémunération inédit sur dix ans pour son patron Elon Musk, qui pourrait lui rapporter plus de 1.000 milliards de dollars, sous conditions, et renforcer son contrôle sur l’entreprise. L'équipementier sportif Lululemon Athletica a plongé (-18,58% à 167,80 dollars) en raison de prévisions ne convainquant pas les analystes. L’entreprise s’attend à un bénéfice net par action compris entre 12,77 et 12,97 dollars pour l’année complète, alors que les anticipations étaient de 14,15 dollars. Nasdaq © Agence France-Presse -
Wall Street clôture en baisse après des chiffres décevants de l'emploi américain
Washington - La Bourse de New York a clôturé en baisse vendredi après la dégradation du marché du travail en août aux Etats-Unis, l’inquiétude d’un ralentissement économique prenant le pas sur l’optimisme quant à une baisse des taux de la Fed. Le Dow Jones a reculé de 0,48% et l’indice élargi S&P 500 a perdu 0,32%. L’indice Nasdaq, à forte coloration technologique, a terminé proche de l'équilibre (-0,03%). Nasdaq © Agence France-Presse -
Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse