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Créanciers et actionnaires : les enseignements du dossier Orpea

Le droit français des entreprises en difficulté a été réformé en 2021 à l’occasion de la transposition de la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité. Il est désormais possible pour un tribunal d’imposer à des créanciers non consentants et à des actionnaires un plan de restructuration soutenu par des créanciers dits «dans la valeur», tout en n’affectant pas les partenaires stratégiques pour l’exploitation de l’entreprise concernée.
Il s’agit d’un changement de paradigme majeur dans la législation française qui considérait historiquement que les actionnaires disposaient d’un droit de veto dès lors que leur capital était impacté dans le cadre de restructurations. La seule détention capitalistique n’est désormais plus considérée comme leur octroyant un pouvoir incontestable dans le cadre de restructuration.
La restructuration financière de l’endettement du groupe Orpea, dont le plan de sauvegarde accélérée a été arrêté par le Tribunal de commerce de Nanterre en juillet dernier, a donné lieu à la première application concrète de ce nouveau paradigme dans un dossier majeur.
Les contentieux initiés par des parties affectées dissidentes ont mis en exergue le rôle central des administrateurs judiciaires dans l’adoption des futurs plans de restructuration. La nouvelle loi leur confie en effet la responsabilité de constituer, de manière indépendante, les classes de parties affectées amenées à voter le projet de plan de restructuration en les déterminant selon des «critères objectifs vérifiables» tout en faisant en sorte qu’elles soient «représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante». Les créanciers titulaires de sûretés réelles doivent être distingués des autres. Les détenteurs de capital sont réunis en une ou plusieurs classes, séparées des classes de créanciers.
L’enjeu et les frontières de la notion de détenteur de capital
Ces différents critères ont été placés au cœur des débats ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 22 juin 2023 qui permet de mieux délimiter les contours de la notion de «détenteur de capital». Cet arrêt précise que les titulaires d’obligations donnant accès au capital (en l’espèce des Oceane) doivent être considérés comme des créanciers et non des détenteurs de capital avant conversion de leurs obligations en actions.
Si cet arrêt, définitif, est fondamental, c’est parce qu’il affirme que les détenteurs d’obligations donnant accès au capital doivent subir la restructuration, malgré leur vote négatif, et ce alors même que les instruments qu’ils détiennent auraient encore une valeur partielle — contrairement aux actionnaires qui ne peuvent subir la restructuration que si et seulement si leurs instruments n’ont plus aucune valeur en continuité d’exploitation.
Cette solution qu’il faut approuver devrait pouvoir être étendue à toutes les valeurs mobilières donnant accès au capital dont le titre primaire est un titre de créance. Relevons que l’arrêt ne permet pas de tirer une conclusion similaire pour les valeurs mobilières dont le titre primaire n’est pas un titre de créance (notamment les bons de souscription d’actions), dont il semble possible de considérer leurs titulaires comme des détenteurs de capital.
Parmi les nombreuses questions qui subsistent, on se demandera notamment s’il faudrait réunir en une classe les parties dont les droits ne font pas directement l’objet du plan, mais sont indirectement affectés par celui-ci. Tel serait par exemple le cas de titulaires d’actions gratuites en période d’acquisition au regard des mécanismes d’ajustement contenus dans le plan d’attribution. On peut toutefois considérer que leur sort découle automatiquement du sort des actionnaires dans le cadre de la restructuration.
A lire aussi: La réforme du droit des faillites à l’épreuve du cas Orpea
La souplesse de la notion de communauté d’intérêt
La Cour d’appel a retenu dans le même arrêt une approche plus discutable s’agissant des parties affectées de la classe n°7 dans laquelle les administrateurs judiciaires avaient choisi de regrouper la quasi-totalité des créanciers chirographaires, lesquels ne bénéficient d’aucune sûreté réelle. Parmi ces créanciers figuraient notamment les créanciers dissidents ayant initié l’action. Les juges considèrent que ces créanciers, qui détiennent par ailleurs des créances privilégiées affectées par le plan, n’ont pas le même intérêt que ceux qui ne détiennent que des créances chirographaires et relèvent d’une classe différente.
La notion de «communauté d’intérêt économique suffisante» renvoie en premier lieu au rang des parties affectées entre elles et est déterminée au regard des droits nés antérieurement au jugement d’ouverture. Elle n’implique pas pour autant une parfaite identité d’intérêt.
Cette solution amène de nombreuses questions dont on perçoit que les réponses qui y seront apportées dépendront des dynamiques de chaque dossier. Faut-il distinguer les créanciers chirographaires bénéficiant de garanties personnelles ou de credit default swaps des autres ? Et parmi ces garanties, celles ayant de la valeur de celles qui n’en ont plus du fait de l’insolvabilité probable du garant ? Faut-il réunir les banques bénéficiant de garanties de l’Etat dans une classe séparée, comme ce qui a été retenu dans le dossier Pierre & Vacances ?
Cette exigence de granularité dans une classe de créanciers chirographaires pari passu, par ailleurs sans incidence sur l’adoption du projet de plan, pourrait être source de complexification du travail de répartition des administrateurs judiciaires dans le futur. Sauf à ce que ces derniers choisissent finalement d’agir en réaction et d’attendre d’éventuels recours avant de segmenter certaines classes de leur propre chef.
Le dossier Orpea est ainsi l’illustration de cette révolution du droit français qui désacralise le droit de propriété des actionnaires dont les titres ont perdu toute valeur, en faisant primer des critères économiques d’intérêt réel afin de faciliter les restructurations.
Anne-Sophie Noury et Julien Faure sont intervenus dans le cadre de la restructuration d’Orpea en qualité de conseils des administrateurs judiciaires.
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Donald Trump rebaptise le Pentagone en « ministère de la Guerre » pour afficher la puissance américaine
Washington - Donald Trump a signé vendredi un décret visant à rebaptiser le ministère américain de la Défense en «ministère de la Guerre», ajoutant qu’il voulait par là envoyer un «message de victoire» et «de force» au reste du monde. Le président américain a laissé entendre qu’il pouvait se passer d’un vote du Congrès pour procéder à ce changement d’appellation. «Les mots comptent», a dit le chef du Pentagone Pete Hegseth, présent aux côtés de Donald Trump dans le Bureau ovale, assurant que cette nouvelle appellation devait permettre de «restaurer une éthique guerrière». Formellement, il s’agit pour l’instant d’une appellation «supplémentaire», selon un document distribué dès jeudi par la Maison Blanche. Un haut responsable du ministère a indiqué que le coût de cette opération, potentiellement très dispendieuse, deviendrait «plus clair» au fur et à mesure de sa mise en place. Peu après la signature du décret présidentiel, les mots «ministère de la Défense» ont été immédiatement retirés d’un mur dans le Pentagone, devant des caméras de télévision. Le site du ministère a été renommé et Pete Hegseth se présente désormais comme «ministre de la Guerre» sur X. «Nous allons soumettre (ce changement de nom) au Congrès», a prévenu Donald Trump. «Je ne sais pas (si les parlementaires voteront en ma faveur, ndlr), nous verrons bien, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient besoin de le faire». «Trop défensif» Ce n’est pas la première fois que le républicain de 79 ans impose ses idées sans passer par la case législative. Son second mandat est marqué par une volonté assumée d'étendre le pouvoir présidentiel, à coups de décrets et de décisions empiétant sur les prérogatives du Congrès. Il a signé vendredi son 200e décret depuis son retour à la Maison Blanche en janvier. Le président des Etats-Unis avait déjà fait part de ce projet qui restaurerait une appellation ayant existé de 1789 à 1947. «Défense, c’est trop défensif, et nous voulons aussi être offensifs», avait-il déclaré. Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a mobilisé l’armée pour imposer une image de puissance spectaculaire et combler son appétit de fastes militaires. Il a organisé un rare défilé le jour de son anniversaire, déployé la Garde nationale dans des villes dirigées par ses opposants, et ordonné une frappe exceptionnelle sur un bateau dans les Caraïbes dans le cadre de la lutte affichée contre le narcotrafic. Les démocrates dénoncent régulièrement ce recours aux militaires, révélateur selon eux d’une dérive autoritaire. Contre le «politiquement correct» Le président américain avait eu pendant son premier mandat une relation plutôt contrariée avec l’armée. Son ancien chef d'état-major, le général Marc Milley, l’a qualifié d’"aspirant dictateur». Des articles de presse avaient également attribué à Donald Trump des propos méprisants pour des militaires américains morts au combat. Cette fois, le dirigeant républicain a remanié l'état-major américain pour s’entourer de hauts gradés choisis par ses soins, et a nommé en la personne de Pete Hegseth un ministre à la loyauté farouche. Le chef du Pentagone, adepte d’un discours viriliste et d’opérations de communication musculeuses, a dit vendredi que l’objectif de l’armée américaine était d’atteindre «une létalité maximale, pas une létalité tiède». Il a dit vouloir aller à l’encontre du «politiquement correct». Aurélia END © Agence France-Presse