
La réforme du droit des faillites à l’épreuve du cas Orpea

La grande première était très attendue. En toute logique, elle aura lieu au cours de l’été. Introduite à l’occasion de la transposition de la directive réformant le droit des entreprises en difficulté en 2021, l’application forcée interclasse devrait être mise en œuvre dans la restructuration du groupe d’Ehpad Orpea.
En mars, Orpea a annoncé qu’un protocole d’accord avait été trouvé en conciliation avec la majorité de ses créanciers non sécurisés prévoyant un effacement massif de sa dette. Cet accord majoritaire lui a ainsi donné la possibilité d’ouvrir une procédure de sauvegarde accélérée permettant de valider le plan défini. Celui-ci prévoit que 3,8 milliards d’euros de dette seront convertis en capital et que 1,55 milliard d’argent frais sera apporté au groupe. Dans cette enveloppe, 1,3 milliard provient du groupement mené par la Caisse des dépôts avec à ses côtés CNP Assurances, MASCF et la MAIF via plusieurs augmentations de capital. A l’issue de ce plan, Orpea sera alors détenu par le groupement à 50,2% et à 49,4% par ses créanciers non sécurisés.
Toutes les parties prenantes ne se satisfont pas pour autant de l’accord obtenu, notamment les actionnaires. Et pour cause, ils savent qu’avec l’entrée en vigueur du nouveau droit des faillites, ils perdront la quasi-totalité de leur investissement, avec une part réduite à la portion congrue.
Les actionnaires n’ont plus de pouvoir de blocage
Dans les règles de droit précédentes, tout accord impliquant une modification du capital du débiteur exigeait une validation en assemblée générale des actionnaires, ce qui leur conférait un pouvoir de blocage considérable. «La France a aujourd’hui un outil exceptionnel pour restructurer les entreprises, approuve Saam Golshani, associé chez White & Case. C’est la fin du droit de veto des actionnaires. Un cadre juridique aussi clair permet de faire rester les créanciers dans les négociations. »
Désormais, en cas d’ouverture d’une procédure collective, des classes de parties affectées sont créées, regroupant au mieux ces parties selon leurs intérêts économiques communs, dont une pour les actionnaires. Une fois ces classes constituées - neuf dans le cas d’Orpea – le plan de restructuration est soumis au vote de chacune d’entre elles. «Dans le cadre de l’application forcée interclasse, si toutes les classes ne votent pas en faveur du plan, le plan peut être adopté soit par une majorité de classes, avec au moins une classe de créanciers seniors, soit par au moins une classe de créanciers considérée comme ‘dans la monnaie’. Pour qu’un tel plan soit adopté contre les classes récalcitrantes, il faut respecter les principes de ‘best interest’ et de priorité absolue », explique Lionel Spizzichino, associé chez Willkie Farr & Gallagher.
Le ‘best interest’ consiste à s’assurer qu’un créancier refusant le plan ne sera pas moins bien traité qu’en cas de liquidation judiciaire. La règle de priorité absolue doit quant à elle permettre le désintéressement des parties affectées selon leur rang de priorité. Les créanciers seniors sont remboursés intégralement en premier, puis c’est au tour des créanciers juniors et enfin des actionnaires. Pour reprendre l’exemple d’Orpea, si l’accord est validé en l’état, les actionnaires se retrouveront dilués à 0,4% du capital d’Orpea à l’issue des augmentations de capital. S’ils participent. En revanche, en cas d’application forcée, ils hériteront de 0,04 % capital.
Les différentes classes sont appelées à voter d’ici au 16 juin, les actionnaires se prononçant à cette date.
«L’application forcée interclasse devrait créer un état d’esprit nouveau avec des règles plus établies. Auparavant, les résultats des négociations pouvaient être perçus comme aléatoires du fait d’un cadre juridique moins précis. Aujourd’hui, pour les créanciers internationaux, il devrait y avoir plus de visibilité sur la place de Paris », estiment Vincent Danjoux et Arnaud Joubert, associés-gérants chez Rothschild & Co.
La nouvelle loi favorise les hedge funds
Si l’ensemble de la communauté juridique salue cette avancée du droit, Frédéric Abitbol, administrateur judiciaire chez Abitbol & Rousselet, y voit néanmoins une limite. «Il faut savoir de qui on parle. Qui sont les acteurs capables d’élaborer des stratégies de loan to own ? Quels créanciers sont capables de présenter un plan qu’ils imposeraient aux actionnaires ? Pas les Urssaf évidemment. Ni les fournisseurs. Ni les banques traditionnelles, sauf contre-exemples rarissimes. Les acteurs qui font ça, ce sont des hedge funds. Le plus souvent, après avoir racheté de la dette sur le marché secondaire. C’est ce type d’acteurs qui utilisera les nouvelles règles pour prendre le contrôle d’ETI en difficulté. C’est tout sauf anodin. »
Un effet pervers de la réforme qui ne remet toutefois pas en cause ses avancées au regard de la finance internationale. Orpea sera donc selon toute vraisemblance le premier grand dossier à l’appliquer, à moins que toutes les classes votent le plan, ce qui semble peu probable. Il fera donc figure de référence pour les prochains cas, notamment Casino qui semble s’orienter vers une issue identique.
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