
Les banques prêtes à tout pour contrer la résiliation infra-annuelle

À chaque nouveau projet de loi pour ouvrir le marché à la concurrence, les banques tentent de dissuader le gouvernement en s’appuyant sur des arguments erronés de démutualisation des risques et de déséquilibre du marché. Entre autres stratégies pour maintenir leur monopole sur l’assurance de prêt, les banques instrumentalisent régulièrement les emprunteurs présentant un risque aggravé de santé en mettant en avant un risque d’exclusion de ces personnes en cas d’ouverture de ce marché à la concurrence. D’autres reprochent aux assureurs alternatifs de proposer des tarifs trop «dispersés».
Pourtant, les offres alternatives répondent à une vraie demande du marché et permettent à des emprunteurs aux profils très variés de trouver une assurance économique tout en profitant de meilleures garanties. L’ouverture de ce marché via la résiliation à tout moment permettrait à des millions de foyers emprunteurs un gain important de pouvoir d’achat, de l’ordre de plusieurs milliers d’euros sur la durée de leur crédit.
Démutualisation des tarifs et risques aggravés de santé : l’éternelle rengaine des banques
Dans son dernier communiqué de presse, où il annonçait en grandes pompes la fin du questionnaire de santé pour ses clients fidèles, le Crédit Mutuel/CIC profitait de son annonce pour rebondir sur le projet de loi sur l’assurance emprunteur en cours de discussion. Le groupe annonce être fermement opposé à la résiliation infra-annuelle de l’assurance emprunteur, prétendant que l’ouverture du marché conduirait les «bons risques» à partir chez les assureurs alternatifs, ce qui provoquerait une démutualisation du marché et exclurait les emprunteurs les plus âgés ou malades.
Pourtant, depuis l’arrivée des assureurs alternatifs sur ce marché et la législation en faveur du libre choix de l’assurance emprunteur, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Pour preuve, dans son «Bilan de l’assurance emprunteur» de novembre 2020, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) montre que le recours aux assureurs alternatifs a plutôt tendance à augmenter avec l’âge des assurés. Pour preuve, 18% des emprunteurs de plus de 60 ans ont un contrat alternatif externe contre 9% des moins de 30 ans et 12,4% tous âges confondus.
En revanche, selon le même rapport, les banques déploient des trésors d’énergie pour empêcher les jeunes de changer d’assurance, notamment en leur proposant des dérogations tarifaires ou des contrats «défensifs», créant ainsi elles-mêmes la démutualisation qu’elles déplorent.
Par ailleurs, dans le cadre de la convention s’Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé (Aeras), plus de 40% des risques aggravés de niveau 3sont traités par des assureurs alternatifs, qui n’ont pourtant que 12% de part de marché : les alternatifs captent donc les emprunteurs à risques aggravés de santé entre 3 et 4 fois leur part de marché globale. Le taux d’acceptation des dossiers qu’ils portent au niveau 3 Aeras ne font pas l’objet de plus de réponses positives qu’au global, ce qui exclut toute mise en cause de la performance de leur sélection initiale .
Ceci montre bien que la concurrence est profitable à tous les emprunteurs et pas seulement aux jeunes en bonne santé. Les chiffres prouvent que les emprunteurs les plus fragiles et les plus âgés ont le plus recours aux contrats alternatifs et que la démutualisation du marché est un faux débat.
Le Crédit Mutuel contre le libre choix de l’assurance emprunteur
Le Crédit Mutuel/CIC précise que les mesures annoncées concernant sa sélection médicale devraient lui coûter 70 millions de marge par an, dont 30 millions de surprimes par an annulées pour ses stocks de crédits.
Pourtant, selon leur communiqué, «sous prétexte de concurrence accrue, la demande de résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur va en réalité aboutir à une sélection médicale à outrance et à un renforcement des inégalités face à l’accès au crédit et l’assurance».
Une telle anticipation défie l’entendement… Les emprunteurs ont actuellement un droit de résiliation annuelle de leur assurance emprunteur, alors pourquoi la résiliation infra-annuelle aurait de tels effets ?
L’intention est claire : le Crédit Mutuel/CIC est prêt à renoncer à 70 millions d’euros de primes annuelles, captées sur les seuls emprunteurs en risques aggravés de santé, pour empêcher la libre concurrence. Le groupe qui présente d’ailleurs l’un des taux de délégations les plus faibles du marché (autour de 5%) semble avoir des raisons de penser que ses emprunteurs auraient particulièrement intérêt à faire jouer la concurrence et qu’il pourrait y perdre bien plus…
D’ailleurs, dans un article paru sur le Figaro vendredi 12 Novembre, un porte-parole du Crédit Mutuel le confirme : «Nous sommes opposés à la résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur mais aussi à la résiliation annuelle».
Faute de pouvoir restreindre les droits des emprunteurs, le Crédit Mutuel semble tenter un coup de bluff pour détourner l’attention des médias et du gouvernement afin de faire vaciller le projet de loi en cours de discussion.
Le Crédit Agricole renchérit mais change de registre
Loin de faire bloc derrière le Crédit Mutuel/CIC, le Crédit Agricole souhaite quant à lui orienter le débat sur le sujet des tarifs et propose de limiter les écarts de prix de 1 à 4 pour chaque assureur entre ses différentes cibles d’emprunteur. Mais la proposition interroge… D’une part en efficacité, puisque les banques comme les distributeurs alternatifs disposent très souvent de plusieurs offres d’assureurs différents, ce qui rend cette mesure inopérante.
D’autre part, il est assez étonnant que cette proposition provienne du Crédit Agricole qui est l’une des banques dont la majorité des offres de crédit intègre une dérogation tarifaire sur l’assurance emprunteur, dépassant parfois les 50% de taux de remise ! Cette pratique n’est pas seulement imputable au Crédit Agricole. Depuis 2003, toutes les banques proposent des tarifs segmentés et selon le rapport de la FBF fin 2016, 70% des propositions tarifaires sont dérogées dans certaines banques. Depuis des années, le tarif des contrats standards des banques est ainsi devenu totalement opaque. Avec de telles pratiques, comment serait-il possible d’encadrer les écarts de tarifs ?
Par ailleurs, la dispersion des tarifs d’un assureur n’a rien à voir avec le niveau de ses tarifs. Au vu des exemples d’économies que l’on peut trouver dans les comparateurs, il est fort probable que les offres des acteurs alternatifs, même segmentées, amènent des tarifs plus bas pour un grand nombre de cibles d’emprunteurs. On peut donc à la fois avoir des tarifs très dispersés et toujours moins chers.
Au-delà, une autre piste du Crédit Agricole serait que «chacun assure une quote-part à peu près équivalente des clients avec des problèmes de santé »… Sachant que les assureurs alternatifs représentent 40 % des risques aggravés de niveau 3 pour 12% de part de marché, cette proposition a de quoi faire sourire…
Le Crédit Mutuel a brillé une nouvelle fois par un remarquable coup de com’. L’objectif est de faire diversion du sujet de la résiliation infra-annuelle pour tous les emprunteurs, qui recouvre des potentiels de pouvoir d’achat bien plus importants.
(1) Bilan CCSF novembre 2020, page 35 graphique G19
, (2) Un contrat défensif est un contrat non standard proposé par la banque, désigné comme «alternatif bancaire» dans le bilan du CCSF
, (3) Le dispositif AERAS prévoit 3 niveaux d’étude en cas de risque de santé. Le 3ème niveau d’étude est réalisé par un pool de réassureurs commun aux banques et assureurs
, (4) Etude BAO février 2017, tarifs bancaires: segmentés et tous margés
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