La prime de partage de la valeur n’est pas l’outil le plus pertinent pour intéresser les salariés

Les parlementaires vont bientôt débattre du projet de loi transposant l’accord interprofessionnel. De nouvelles améliorations sont attendues.
Bruno de Roulhac
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Tout récemment les ministres de l’Economie et du Travail ont présenté en conseil des ministres le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur. «Transposer un accord interprofessionnel dans la loi est une méthode législative innovante qui démontre l’utilité du dialogue social, se félicite Anne Lemercier, avocate associée chez Clifford Chance. Ce texte bénéficie de l’accord des syndicats et permet de communiquer largement sur le partage de la valeur ».

Objectif majeur de ce texte : généraliser le partage de valeur en incitant les petites entreprises de 11 à 50 salariés à mettre en place un tel dispositif, dès que leur situation économique le permet. «Le projet de loi va même plus loin en mettant en place une obligation, pour une durée expérimentale de cinq ans, ce qui est nouveau en matière de partage de valeur pour les entreprises de cette taille», poursuit Ekaterina Zaboussova-Celsa, avocate associée chez Clifford Chance.

Ce texte s’inscrit dans la continuité des dispositifs existants, notamment ceux issus de la loi Pacte. Depuis deux ans, «les entreprises sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des dispositifs pour partager les bénéfices avec leurs salariés, constate Anne Lemercier. Cet engagement social et sociétal conforme aux exigences ESG contribue à l’amélioration de leur image. D’ailleurs, les fonds d’investissement suivent le même mouvement et beaucoup s’assurent désormais qu’un mécanisme de partage de la valeur soit mis en place dans les sociétés de leur portefeuille».

Démocratiser le partage de la valeur

Le projet de loi poursuit deux ambitions principales : «la démocratisation du partage de la valeur (en visant les entreprises de 11 à 50 salariés), et la simplification, explique François Perret, ambassadeur du gouvernement sur le sujet du partage de la valeur. Le contexte de finances publiques autorise en revanche peu d’extension de la logique de défiscalisation des charges pour l’employeur (allègement du forfait social), qui resterait tout particulièrement utile dans les petites ETI.»

Le texte se veut très ouvert pour les petites entreprises, puisqu’il leur laisse le choix de l’instrument: intéressement, participation, prime de partage de la valeur ou abondement dans le plan d’épargne. Ce qui pourrait les amener à privilégier la voie plus facile : la prime de partage de la valeur. Pourtant, «elle n’est pas l’outil le plus adapté sur la durée, estime François Perret. Nous aurions préféré une incitation supplémentaire à l’intéressement, vers une orientation écologique et sociétale avec une épargne salariale dédiée à la décarbonation des PME, même si le texte a déjà le mérite d’inciter à intégrer au moins un critère RSE dans les accords». La prime de partage de la valeur «permet de répondre à la problématique conjoncturelle de l’inflation, mais ne présente pas les avantages de l’actionnariat salarié qui fait entrer les salariés au capital, leur donnant accès aux dividendes et aussi potentiellement à la gouvernance», ajoute Anne Lemercier.

L’alignement du partage de la valeur sur les autres régimes, en permettant de toucher cette prime en numéraire ou de la placer dans un PEE ou PER «est une bonne avancée», se félicite François Perret, rappelant que cette prime était en moyenne de 806 euros en France en 2022.

La notion de bénéfices exceptionnels nécessite des précisions

Le projet de loi crée aussi une nouvelle obligation de négocier sur les bénéfices exceptionnels lors de la discussion sur les accords de participation et d’intéressement. «L’exécutif a tenu à ce que la définition de ces résultats soit négociée au sein de l’entreprise, et non pas à la seule main de l’employeur», se félicite François Perret. Toutefois, «le projet de loi prenant le parti de ne pas donner de définition d’un bénéfice exceptionnel, il sera intéressant de suivre la mise en œuvre de ce nouveau dispositif au sein des entreprises en fonction de leurs spécificités», note Ekaterina Zaboussova-Celsa.

Le texte prévoit aussi une autre nouveauté, facultative, le plan de partage de la valorisation de l’entreprise avec les salariés. «Il s’agit de ‘phantom shares’, c’est-à-dire le versement d’une prime liée à l’évolution de la valeur de l’action. De tels schémas existaient, mais bénéficieront désormais d’un traitement social plus avantageux, c’est une avancée. Il ne s’agit toutefois pas d’un dispositif véritablement d’actionnariat salarié, dont la place est finalement relativement réduite dans ce projet de loi», ajoute Ekaterina Zaboussova-Celsa. En effet, sur le volet de l’actionnariat salarié, le projet de loi se limite à rehausser les plafonds d’attribution des actions gratuites.

Enfin, le texte renforce la place de l’ESG au sein de l'épargne avec l’obligation de proposer dans les plans d’épargne entreprise (PEE) et les plans d’épargne retraite (PER) au moins un fonds ESG (transition énergétique et écologique ou investissement socialement responsable).
, L’objectif de simplification n’est pas atteint

Malgré ces avancées, des points de vigilance demeurent. «L’objectif de simplification et de clarification annoncé n’est pas atteint, regrette Anne Lemercier. D’une part, ces nouveaux dispositifs s’ajoutent aux existants dont certains ne sont pas utilisés, car méconnus, comme l’intéressement de projet. D’autre part, l’amélioration des dispositifs existants permettrait le développement du partage de la valeur. A titre d’exemple, l’assouplissement des mécanismes de liquidité des actions suffirait à faciliter le développement de l’actionnariat salarié dans les sociétés non cotées.»

De plus, «il est important de réintroduire le principe de non-substitution de l’épargne salariale aux revalorisations de rémunérations fixes, même si, concrètement, il est difficile de vérifier que le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV) a pesé sur la hausse des salaires, ce que semble cependant confirmer une note récente de l’Insee concernant les versements massifs de PPV à la fin de l’année 2022», souligne François Perret.

Attention à la rupture d’égalité entre salariés

Le gouvernement a prolongé de fin 2023 à fin 2026 le régime fiscal favorable de la prime de partage de la valeur pour les entreprises de moins de 50 salariés. «Ce dispositif, qui pourrait être cassé par le Conseil d’Etat au nom de la rupture d’égalité entre les salariés, revient à encourager cette prime au détriment de la participation et de l’intéressement, regrette François Perret. Il aurait plutôt fallu le réserver aux entreprises de moins de onze salariés pour lesquelles rien de spécifique n’est prévu».

Si le projet de loi reste en principe cantonné à l’ANI, rien n’empêche les parlementaires de l’enrichir par leurs amendements. Le débat parlementaire, qui débutera le 26 juin à l’Assemblée nationale, pourrait donner l’occasion de nouvelles améliorations : «proposer un accord type raccourci pour l’intéressement et la participation, suggère François Perret. Ou encore, offrir un droit à l’erreur dans la rédaction de l’accord, car si un salarié est oublié par exemple, il se peut que l’administration sociale rejette en bloc l’accord alors qu’une simple correction pourrait intervenir». Plus largement, les entreprises pourraient être encore mieux accompagnées, par exemple par les réseaux d’experts comptables, pour bien articuler les différents dispositifs et s’en servir comme outil de fidélisation et de recrutement.

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