La crise va-t-elle infecter l’immobilier?

La crise du coronavirus se poursuit dans le monde. Après des inquiétudes sur les marchés financiers c’est désormais l’immobilier qui soulèvent des interrogations, La chute des transactions devraient engendrer une baisse des prix, au moins à court terme. La suspension, même provisoire, des loyers va fortement impacter les foncières et la pierre-papier
Paris Apartment Market Out-Performs the Rest of Europe
Apartment blocks are seen from a rooftop in Paris, France, on Monday, March 7, 2011. Paris property prices have risen more than in the rest of France, mirroring how London real estate has diverged from the rest of the U.K. Photographer: Fabrice Dimier/Bloomberg  -  Fabrice Dimier/Bloomberg

Alors que démarrela quatrièmesemaine de confinement dans l’Hexagone, une certaine routine commence à s’installer dans la vie des Français. Une routine que ne connaissent pas les marchés financiers. Après plusieurs séances catastrophiques lors des trois premières semaines de mars, les marchés ont esquissé un rebond. Mardi 24 mars, le CAC 40 a bondit de 8,39 % soit l’une des 10 meilleures performances de l’indice dans son histoire. Depuis, les marchés oscillent entre hausses et baisses, témoins d’une volatilité partie pour s’installer durablement. Si dans un premier temps les regards se sont surtout tournés vers les actions, puis vers les obligations, beaucoup s’interrogent désormais sur l’impact de la crise du coronavirus sur le marché immobilier.

I – INCERTITUDES SUR LES PRIX

Depuis plusieurs jours, les interventions des spécialistes du sujet (notaires, agents immobiliers, gérants de SCPI, etc.) se multiplient. Longtemps muets devant le flou des mesures annoncées par le gouvernement et les incertitudes macroéconomiques, les experts immobiliers montent enfin au créneau. Conscients que de nombreux regards se tournent vers eux, ils se voient obligés de rassurer leurs clients et les futurs investisseurs. D’autant plus que pour beaucoup de particuliers, l’immobilier représente une valeur refuge en période de volatilité sur les marchés financiers. Cet intérêt est probablement la meilleure arme dont dispose l’immobilier. Cependant, à court terme, la chute attendue du nombre de transactions immobilières devrait peser sur les prix. Dans un entretien accordé au Parisien publié mardi 24 mars, Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat (CSN), estime que les prix de l’immobilier devraient baisser de 10 à 15 %, dans l’hypothèse d’un confinement restreint. Avec un confinement qui ira jusqu’au 15 avril minimum, cette hypothèse risque de voler en éclat. Pour Jean-François Humbert, un confinement de deux mois serait catastrophique. «N’oublions pas que la crise de 1990-1997 a vu les prix chuter de 50 % à Paris », rappelle-t-il.

Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut de Management des services immobiliers (IMSI), penche-lui pour une rétractation plus limitée, notamment dans les zones tendues. Ainsi, à Paris et dans les grandes villes, la baisse des prix pourrait plutôt être de 5 % si la crise dure jusqu’en juin. En revanche, il table sur un repli d’au moins 10% dans des villes sous valorisées comme Orléans, Clermont-Ferrand ou Limoges.

La diminution du nombre de transactions immobilières, entamée l’an dernier devrait encore s’accroître alors que les notaires font actuellement face à une explosion du nombre des rétractations. Entre décembre 2019 et février 2020, le nombre de compromis de vente signés est en repli de 4,2 % sur un an selon le dernier baromètre LPI-SeLoger. Il va sans dire que la situation de confinement qui limite les signatures de crédit, rend impossible les visites et complexifie le passage des actes notariés(1) va encore accélérer les choses.

Dans le même temps, le bras de fer lancé entre l’industrie du BTP et le gouvernement pour la reprise des chantiers commencent à peser sur le moral du secteur. Un moral qui aura évidemment son importance pour sortir de la crise sans un effondrement des prix.

II - UNE SUSPENSION DES LOYERS PROFESSIONNELS QUI POSE QUESTION

Outre cette interrogation sur les prix, la question la plus urgente à traiter pour les professionnels est celle portant sur les loyers. C’est une phrase glissée dans l’allocution télévisée du président Macron du 16 mars qui a mis le feu aux poudres. « Les factures d’eau, de gaz, d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus », a déclaré le chef de l’État, en allusion aux entreprises prises à la gorge face à la pandémie du coronavirus. Pour les aider, un effort substantiel est demandé aux bailleurs : renoncer à percevoir, un temps, les loyers. Un appel à la solidarité qui touche en premier lieu les foncières qu’elles soient cotées ou non.

La foncière Ceetrus, propriété du groupe français Auchan Holding, a été parmi les premières à communiquer. Au lendemain de l’annonce présidentielle, la structure annonçait « suspendre le règlement des loyers et charges des locataires de ses centres commerciaux français » entre le 15 mars et le 15 avril, à l’exception des «magasins ouverts par décision gouvernementale ». A l’issue de cette période, « Ceetrus adoptera (...) un système de mensualisation des loyers et charges au second trimestre 2020 ». Quelques jours plus tard, Carmilia, la foncière du groupe Carrefour, lui emboîtait le pas avec les mêmes remèdes. Des mesures retenues également en Espagne et en Italie. De son côté, Apsys déploie aussi la mensualisation des prélèvements au second trimestre et suspend les loyers pendant toute la période de fermeture. Signe plus fort encore de solidarité en cette période de crise, l’initiative de la Compagnie de Phalsbourg « d’annuler purement et simplement tous les loyers dus par nos clients enseignes non-alimentaires pendant les fermetures administratives. »

Face à une situation sanitaire et économique inédite, le Politique tente de pallier les difficultés rencontrées par les entreprises. « Le texte sur ‘l’état d’urgence sanitaire’ prévoit que le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure provisoire permettant de reporter ou d’étaler le paiement des loyers, au bénéfice des très petites entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie », soulève Sarah Fleury, avocate associée, Real Estate Industry Group au sein du cabinet américain Goodwin. Autrement dit, au profit des structures de moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 millions d’euros. Restrictif. « Mais attention, le texte ne remet pas en cause le fait que le loyer est dû. Il en décale simplement l’exigibilité dans le temps », nuance-t-elle.

Qu’en est-il de toutes les autres entreprises ? Des recours existent. « La théorie de l’imprévision a été introduite il y a quatre ans dans le code civil, détaille l’avocate. Cette notion juridique prévoit que dans le cadre de l’exécution d’un contrat, une modification importante de l’équilibre de celui-ci au détriment d’une partie qui est due à un changement de circonstances imprévisible au moment de sa formation, peut entraîner une demande de renégociation. » Un avenant au contrat serait envisageable. « Sauf que les grandes foncières cotées imposent très souvent à leurs utilisateurs de renoncer à cet article. Dans tous les cas, le bailleur a intérêt à engager des discussions bilatérales avec ses locataires», précise Sarah Fleury. En cas de procédure de sauvegarde ou redressement des entreprises, le paiement des loyers serait de facto suspendu pendant trois mois à compter du jugement d’ouverture...

III – LA PIERRE-PAPIER EN PREMIÈRE LIGNE

La suspension des loyers commerciaux risque également de peser lourd sur la rentabilité future des SCPI et OPCI. « Pour la première fois depuis 9 ans, nous aurons des difficultés cette année à tenir tous nos objectifs », écrivait Frédéric Puzin, président de Corum l’Epargne, dans un courrier adressé jeudi 19 mars à l’ensemble de ses clients. Le dirigeant aura été le premier à dégainer et à assurer son soutien à ses locataires pour passer cette crise sanitaire, alors que ses concurrents restaient muets depuis l’annonce du chef de l’Etat. « Pour l’instant nous ne préférons pas prendre position car nous ne disposons pas des informations nécessaires pour le faire correctement », nous confiait un gérant de SCPI mercredi 18 mars, précisant qu’il attendait une position claire de l‘Aspim.

Cette position arrivera deux jours plus tard. Vendredi 20 mars, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, réunit la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et les principales fédérations de bailleurs commerciaux, dont l’Aspim, pour évoquer la mise en œuvre des suspensions de loyers. Dans la foulée de cette conférence téléphonique, l’ensemble de ces acteurs appelle leurs adhérents à suspendre le loyer des TPE et des PME contraintes de fermer, et à leur proposer des échéanciers de remboursement sans pénalités, une fois que l’activité aura repris.

Plusieurs sociétés de gestion immobilières décident de communiquer auprès de leurs clients. Inter Gestion, qui gère quatre SCPI, prévient ses porteurs de parts qu’elle permettra à tous ses locataires de traverser cette période d’inactivité « par des mesures d’accompagnement qui faciliteront la reprise et la pérennité de leur exploitation sur le long terme ». La société annonce qu’elle va organiser les décalages de loyers qui seront nécessaires sur la période. «Cet effort, bien que difficile à chiffrer aujourd’hui, affectera naturellement le niveau de distribution des acomptes sur dividendes mais de façon limitée et temporaire », explique Inter Gestion. Même son de cloche du côté de Primonial REIM, de La Française REM, de Perial AM, de Bonhôte-immobilier ou encore Swiss Life AM. Selon les gérants, cet effort de court terme doit être consenti pour assurer la régularité des performances à long terme. Les sociétés de gestion cherchent avant tout à limiter la vacance locative et à prolonger les périodes d’engagement. « L’enjeu aujourd’hui n’est pas de sécuriser les loyers du mois de mars mais de pérenniser les baux sur le long terme pour protéger l’épargne des porteurs de parts », insiste Jonathan Dhiver président de MeilleureSCPI.com.

Une solidarité au cas par cas. Faire preuve de responsabilité et de solidarité, sur le principe, personne n’y rechigne. Dans les faits, Primonial Reim, grand collecteur ces dernières années, veut retenir « une approche différenciée (...) et au cas par cas ». Marc Bertrand, président de La Française REM (patrimoine immobilier de près de 24 milliards d’euros au 31/12/2019, composé à 63 % de bureaux) s’y prête à bon escient. « Si nous avons l’obligation d’être en phase avec nos locataires, la solidarité ne doit pas se faire n’importe comment. Être responsable c’est aussi se prémunir de comportements opportunistes ». S’il indique étudier précisément le cas des petites structures, Marc Bertrand précise que le report systématique des loyers, pourrait être « délicat, car il augmente la dette d’une entreprise déjà en difficulté financière». Ces derniers jours ont été mis à profit pour mettre sur pied « différentes solutions juridiques qui permettront de structurer et faciliter une négociation commerciale. Des solutions d’accompagnement existent entre la mensualisation des loyers pour étaler les charges, le règlement à terme échu et non à échoir (début de période), etc. », détaille le dirigeant. Pas de quoi faire fondre drastiquement les rendements offerts par les SCPI et autres OPCI, selon lui. « Report et étalement de loyers ne signifie pas annulation ! », souligne-t-il.

Il faudra cependant veiller sur la santé du parc locatif. «La valorisation des actifs dérive des revenus locatifs. Si la crise liée au Covid-19 entraîne une augmentation des taux de vacance locative, un impact sur les valorisations des actifs n’est pas à exclure », prévient Arnaud Romanet-Perroux, professeur de finance immobilière à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Sans oublier l’effet le plus immédiat, une collecte qui devrait marquer le pas dans les semaines et mois à venir. Sans doute, la moins mauvaise nouvelle d’entre toutes, l’industrie ayant été confrontée au déversement de souscriptions et la difficulté de réinvestir ces montants dans des actifs devenus de moins en moins nombreux. Pourtant, le secteur dispose de solides arguments face à la crise.

Baux de long terme et diversification. « Les associés des parts de SCPI sont protégés par des baux à long terme (2). Cette donnée renforcera la place de l’immobilier commercial et du secteur de la santé dans l’image de valeur refuge que l’immobilier véhicule », assure Olivier Grenon-Andrieu, président fondateur du cabinet de CGP Equance.

De plus, afin de protéger leurs rendements, les SCPI disposent souvent de « report à nouveau ». Des bénéfices non distribués dont le but est précisément de faire face à ce genre de situation. Ces réserves devraient permettre de lisser les rendements 2020 pour maintenir des taux de distribution attractifs. Des rendements 2020 qu’il faudra scruter de près, alors que leur calcul diffère encore selon les sociétés de gestion. (Voir tribune de Nikolas Kert, président de Novaxia Investissement à la fin de cette enquête).

Autre point fort : la diversification. « La diversification des typologies d’investissements dans les SCPI (bureaux, commerces, logistiques, etc.) et la répartition géographique permettent la mutualisation des risques, essentielle pour faire face à la crise », mentionne Olivier Grenon-Andrieu, qui insiste également sur la robustesse des grandes sociétés qui composent le socle des locataires de la plupart des SCPI.

« Cette crise va ramener de la raison dans un marché des SCPI qui en avait besoin. Les SCPI les mieux préparées sont celles qui sont hyper diversifiées, peu endettées et qui ont prudemment limité la collecte depuis des années», affirme Frédéric Puzin.

Dans un contexte de marché qui s’annonce durablement difficile, le marché de l’immobilier et en particulier celui de la pierre-papier, semble toutefois armé pour amortir une partie du choc. Reste à savoir si, comme l’espèrent la plupart des observateurs, la reprise sera rapide et durable.

(1) Le nombre d’actes notariés par jour est passé de 15.000 en moyenne en situation normal à 2.000 actuellement a révélé Jean-François Humbert dans Le Parisien.

(2) A fin mars, la durée moyenne des baux restants était par exemple de 12,96 ans pour la SCPI Pierval Santé et 8,13 ans pour Corum Origin.

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