
Un avenir à l’épreuve des dettes publiques

L’Agefi Actifs. - Durant toute l’année 2014, le marché avait tablé sur une forte baisse des rendements des fonds en euros. Les premiers résultats montrent davantage un tassement qu’un effondrement. L’Association française de l’assurance a récemment communiqué sur un taux de rendement moyen estimé de 2,50%, soit 2% net d’inflation. Quelle est votre analyse ?
Philippe Crevel. - L’assurance vie n’est pas un produit réglementé, il est donc normal que la concurrence s’y exerce librement et aboutisse à des différences au niveau des rémunérations en fonction de la nature des produits, de la composition des portefeuilles et du volume des encours des fonds en question. Evidemment, il est plus facile de doper les fonds en euros de taille modeste que ceux ayant plusieurs milliards d’encours. En outre, les assureurs ont les moyens de lisser avec les provisions pour participation aux excédents (PPE), d’où les amplitudes plus importantes que par le passé allant de 1,80% à 4%.
Par ailleurs, nous ne disposons pas encore d’informations précises sur les fonds en euros des contrats fermés à la commercialisation qui sont en général moins bien traités en termes de performances servies que les contrats ouverts. Il conviendra d’attendre les chiffres de l’ACPR (1) pour avoir une vision exacte du marché et pour se rendre compte si la fourchette des taux est en adéquation avec les recommandations formulées par le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, à la fin de l’année dernière.
Pour l’heure, nous constatons un recul assez logique de 0,2 à 0,3 point. Nous sommes toujours dans un processus de baisse des rendements qui va se poursuivre dans les prochaines années si les obligations restent à leur niveau actuel, ce qui est à peu près acquis jusqu’en septembre 2016 à la suite du processus de quantitative easing décidé par la Banque centrale européenne en janvier. L’effet boule de neige, avec l’acquisition de titres d’emprunts d’Etats à rendement très faible, se fera progressivement sentir. Les assureurs devront à un moment ou un autre répercuter cette baisse.
Ce contexte de faible taux incite à la diversification dans l’allocation d’actifs avec comme contrainte le respect à venir de Solvabilité II. La directive force les compagnies d’assurances à se concentrer sur des titres de moins en moins risqués. Sur les titres publics, les marges de manœuvre sont assez limitées entre les obligations des Etats français et allemands, en sachant que plus au sud, le problème grec risque de rappeler les investisseurs à l’ordre. Au-delà, il faut se diriger vers les obligations corporate, essentiellement des obligations des grandes entreprises publiques, avec des rendements qui, eux aussi, subissent une pression à la baisse. Reste l’immobilier, qui permet encore de dégager du rendement, mais ce dernier est également orienté à la baisse, d’autant que les plus-values se font plus rares. Les petits fonds en euros centrés sur cette classe d’actifs devraient rapidement atteindre leurs limites.
Franck Bergeot. - Les fonds en euros sont avant tout la vitrine marketing des compagnies d’assurance vie pour une clientèle française dont la culture à l’exposition au risque est malheureusement assez peu développée. Il est donc logique, pour un assureur qui veut capter de la collecte, de s’adresser à ce type de clientèle en mettant en avant un véhicule d’investissement sécurisé, comme une banque le fait avec son taux immobilier. Quant à la question de savoir si ces rendements sont raisonnables, tout dépend de quel côté on se place –assureur ou épargnant.
Côté assureur, il s’agit d’un choix de politique interne qui, en fonction de ses réserves accumulées et de l’historique de son portefeuille obligataire, lui permet de décider le niveau de rémunération qu’il affichera pour séduire les épargnants. C’est sur ce point que Christian Noyer a eu raison d’appeler les assureurs à éviter la surenchère pour éviter un scénario à la japonaise où certaines compagnies se sont retrouvées en défaut de paiement, la rentabilité des actifs avec la baisse des taux rendant impossible le respect de leurs engagements.
Côté épargnant, le rendement d’un fonds en euros demeure formidablement supérieur au niveau d’inflation tel que calculé par l’Insee, soit 0,5% pour 2014.
Mais si le produit reste confortable, la vraie question demeure celle du couple rendement-risque. Le risque a-t-il aujourd’hui autant diminué que la rentabilité ? Il est évident que non. Bien au contraire.
Norbert Gautron. - A la question «Est-ce raisonnable?», je répondrais qu’il est nécessaire d’étudier le phénomène au cas par cas au regard de la composition des actifs, et particulièrement de la duration des portefeuilles obligataires et de la collecte nette de l’année.
En 2014, des taux de l’ordre de 2,5% peuvent ne rien avoir d’anormal compte tenu des provisions accumulées par les assureurs et des rendements dégagés sur leurs portefeuilles qui sont composés d’emprunts obligataires émis à des taux nominaux bien plus élevés que les taux actuellement proposés sur le marché. Toute comparaison directe des rendements des fonds en euros et de ceux des obligations d’Etat doit être fortement relativisée, sauf à méconnaître le métier des assureurs vie.
Pour ma part, la véritable difficulté réside dans le manque d’information des investisseurs, et souvent de leurs conseillers-distributeurs, sur les politiques de gestion des entreprises d’assurances, notamment sur les décisions prises par rapport aux différents types de provisions. Mais la donne pourrait changer avec Solvabilité II, dont le volet consacré à l’information devrait comprendre de nouveaux rapports à destination du public qui, espérons-le, seront plus riches que ce dont on dispose aujourd’hui en termes d’information.
Peut-on se risquer à faire des prévisions ?
Norbert Gautron. - En 2014, nous nous attendions il est vrai à un écrasement des rendements. Je pense que cela finira par arriver compte tenu des réinvestissements qui s’opèrent dans le contexte de taux que nous connaissons. Nous avons réellement de grandes interrogations pour l’avenir. Les marges de manœuvre se réduisent. Les PPE ne sont pas inépuisables. De plus, dans l’environnement Solvabilité I, il est impossible de jouer sur les plus-values obligataires pour doper les rendements. Pour mémoire, les plus-values obligataires, lorsqu’elles sont réalisées, alimentent la réserve de capitalisation. Cette dernière constitue d’ailleurs des fonds propres qui sont parfois utiles pour certains assureurs.
Une fois de plus, tout est une question d’information sur les choix en matière de politique de gestion des réserves.
Le meilleur conseil à donner aux épargnants, dans l’état actuel de la configuration des taux, est de bien lire leur relevé annuel d’informations dont le contenu a été amélioré ces dernières années et dans lequel figure le rendement de l’actif. Cette donnée permet de mieux comprendre la formation du rendement net et surtout de se poser les bonnes questions. L’analyse de la solidité financière de son assureur sur longue période sera tout aussi utile.
Franck Bergeot. - En faisant une analyse extrêmement basique, il n’est pas difficile de comprendre qu’en souscrivant à des emprunts d’Etats français rapportant 0,58% et allemands rapportant 0,35% à 10 ans, le rendement des fonds euros ne peut que continuer à baisser.
Avec ces niveaux de taux, les fonds en euros ne pourront guère surperformer très longtemps l’inflation, sauf à ce que cette dernière passe en territoire négatif. C’est pourquoi, sur le long terme, l’épargnant doit prendre cette évolution en considération et se préparer à investir sur d’autres supports. Mais sur le très court terme, le fonds en euros reste encore un très bon placement: le temps pour chacun d’entre nous de mesurer son aversion au risque en fonction de ses objectifs afin d’aborder une diversification dans de bonnes dispositions.
Philippe Crevel. - Je partage complètement les deux avis précédents. Sur la transparence, il est évident que beaucoup d’efforts sont à entreprendre. Pour 2014, les premiers éléments communiqués donnent l’impression que les assureurs n’ont pas énormément puisé dans leurs PPE, voire qu’ils les ont augmentées. Cette situation n’est pas improbable en préparation des futures normes Solvabilité II qui réclament un renforcement des fonds propres.
Bien sûr, les observateurs doivent tenir compte du marketing et de la communication en fonction des stratégies commerciales. On s’aperçoit ainsi que les nouveaux fonds, et en particulier ceux qui sont distribués sur internet, bénéficient d’efforts relativement importants en termes d’affichage de performance par rapport à d’autres fonds, plus classiques, sur lesquels les taux ont été abaissés pour être davantage en phase avec l’évolution de la collecte sur les marchés obligataires. Sur les fondamentaux, je pense que l’on se situe sur une ligne proche de celle souhaitée par Christian Noyer.
Le jeu sur la communication est subtil. Pour preuve, les compagnies ont, cette année, communiqué leurs taux plus tardivement par rapport aux années précédentes avec toujours un jeu de chat et de la souris. Les assureurs sont confrontés à un véritable dilemme: rester dans le marché tout en faisant en sorte que les clients délaissent progressivement les fonds en euros pour se tourner vers les unités de compte. Dans un contexte de faible taux obligataire, la collecte en fonds euros est coûteuse.
Quel peut-être l’impact du «quantitative easing» décidé à la mi-janvier ?
Philippe Crevel. - Le quantitative easing n’est pas la solution miracle. Il semble avoir fonctionné aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ses résultats sont plus incertains au Japon. Il ne faut pas demander trop à la politique monétaire. Au-delà des résultats économiques, cette politique devrait avoir pour conséquence de maintenir les rendements obligataires dans des zones très basses au moins jusqu’en 2016 et certainement au-delà. Elle devrait favoriser les supports actions, mais avec une volatilité plus forte. Globalement, nous nous trouvons dans une situation où les classes d’actifs peuvent connaître des ruptures très importantes.
Cela va être relativement difficile à gérer pour l’épargnant, surtout pour ses investissements en unités de compte. Ce n’est pas rationnel, mais l’épargnant, qui est un conservateur qui s’ignore, risque de privilégier les fonds en euros. Voilà pourquoi, malgré la baisse prévisible des rendements, confortée par le quantitative easing, je pense que ces fonds ont encore de belles années devant eux, la sécurité du capital devenant un luxe. La preuve en est que l’on est prêt aujourd’hui à payer pour détenir de la dette publique jusqu’à deux ans.
Ce comportement conservateur sera renforcé par une population vieillissante qui refuse le risque, en France comme en Allemagne d’ailleurs. Les principaux détenteurs d’assurance vie veulent être payés pour eux-mêmes ou pour leurs enfants ou petits-enfants. Les gouvernements le savent.
Norbert Gautron. - Les ruptures de situation créent de l’incertitude sur les actifs des assureurs. Mais elles ne sont pas sans conséquences, et on aurait trop tendance à l’oublier, sur les passifs. En effet, il devient de plus en plus difficile de gérer le risque de longévité quand les taux baissent fortement, même si ce risque lié à la démographie est moins aléatoire. C’est pour cette raison que les compagnies ont été poussées à mener des travaux d’analyse de risques et qu’elles sont aujourd’hui capables d’établir des prévisions sur les participations aux bénéfices qu’elles projettent de verser dans les prochaines années pour différents scénarios d’évolution des marchés. Elles sont à présent obligées de donner cette information au régulateur et demain partiellement au public dans le cadre de Solvabilité II qui leur imposera d’expliciter leur politique de participation aux bénéfices et de revalorisation. Il y a donc un vrai rôle à jouer pour les conseillers patrimoniaux.
Franck Bergeot. - Le quantitative easing est une méthode non conventionnelle employée par les banques centrales que les gouvernements et les autorités monétaires légitiment auprès des épargnants comme étant une solution pour sauvegarder le système financier et l’activité économique. Cette méthode, comparable à une création monétaire digitale massive, a une conséquence directe: la rémunération du taux sans risque s’effondre, poussant l’épargnant à rechercher du rendement en prenant plus de risques.
La politique de quantitative easing a d’abord été utilisée aux Etats-Unis. Elle y a rencontré un certain succès car le pays avait la croissance démographique la plus dynamique parmi les pays ayant une forte culture entrepreneuriale. La méthode a ensuite été utilisée au Japon où elle n’a pas fonctionné en raison de la forte décroissance démographique de l’archipel. Quant à l’Europe, elle s’est lancée dans cette démarche monétaire avec un énorme retard et on ne peut que souhaiter la réussite du processus, même si cela ne résoudra pas le fondement de certains problèmes structurels, la Grèce en étant un exemple évident.
Concernant cette crise grecque, l’évolution de la position de la communauté politique et financière en Europe est intéressante à suivre. Il y a seulement un mois, les observateurs nous prédisaient le chaos si une majorité d’extrême gauche remportait les élections à Athènes. A présent, constatant que sans croissance économique, il est impossible de rembourser la dette, les différentes parties ont compris la nécessité d’aller vers une renégociation. La réflexion porte sur la mise en place, sans l’annoncer explicitement, d’un processus de rééchelonnement de la dette en partant du principe que son remboursement pourra être conditionné par le retour de la croissance.
Les Espagnols, les Portugais, les Italiens ont compris que ce type de solution envisageable pour la Grèce pouvait aussi être intéressant pour eux. Et à terme aussi pour la France.
Dès lors, la réflexion autour de la sortie de crise de la Grèce peut faire progresser l’Europe en mettant en place un mécanisme de «rupture conventionnelle» pour résoudre le problème du remboursement des dettes publiques.
Quel serait alors l’impact sur le fonds en euros ?
Franck Bergeot. - En pratique, un allongement du délai de remboursement de la dette, à taux de rémunération inchangé, entraîne une réduction de la valeur immédiate de cette dette. Pour un fonds en euros qui détient cette dette, sa valeur est aussi affectée à la baisse. Pour l’assureur qui a garanti la valeur investie dans son contrat en euros, la question de la légitimité de la garantie pourrait se poser dès lors que le support sur lequel elle avait été adossée perd lui-même sa garantie historique de remboursement. Rien ne certifie que ce scénario se produira. Mais il est impératif que les épargnants soient conscients de l’émergence de ce type de risque. D’autant plus lorsque les rendements baissent.
Philippe Crevel. - Il y a aussi la méthode chypriote qui a été depuis constitutionalisée. Le FMI, la BCE et la Commission européenne peuvent décider le blocage d’une partie des comptes des épargnants le temps de réguler la dette. Mais il est probable que des actions d’envergure, toujours sur le plan monétaire, se mettraient en place pour sauver à nouveau le système.
Norbert Gautron. - On notera aussi que l’ACPR peut, en cas de situation extrême, décider de demander la suspension du paiement des valeurs de rachat des assurés. Il est important de souligner que l’assurance vie, dans sa forme actuelle, n’a pas eu à subir de grands chocs durables sur les actifs. Récemment, il y a eu la problématique grecque, mais cela est resté limité, même si les compagnies ont fortement médiatisé le phénomène. Personne ne peut affirmer qu’une crise de grande envergure n’interviendra pas un jour sur les marchés d’actions ou obligataires. Voilà pourquoi le régulateur est vigilant et oblige les assureurs à dresser des scénarios de stress extrême. L’ACPR doit publier prochainement un retour sur l’enquête de 2014. Reste à savoir ce qui sera divulgué au grand public.
(1) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
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