
Armel Castets : «Les fonds immobiliers sont suivis avec attention»

l’Agefi Patrimoine : Il y a un an, vous dressiez le bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (UE) dans nos colonnes. Quel bilan de ces douze derniers mois ?
Armel Castets : Les sujets qui ont marqué l’année sont de trois ordres. Le premier est, sans aucun doute, la correction des marchés financiers dans un contexte de remontée des taux d’intérêt liée à la normalisation des politiques monétaires.
A l’échelon national, l’actualité c’est aussi l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, en juillet dernier, de la loi industrie verte, portée par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Pour son volet financier, elle s’inscrit dans la continuité des efforts engagés depuis plusieurs années pour mobiliser l’épargne privée au service de la croissance française, en étant concentrée plus spécifiquement sur l’économie verte et la transition énergétique. La loi vise deux objectifs : décarboner l’industrie existante (18 % des émissions actuelles de CO2) et accélérer la production des nouvelles technologies vertes qui permettront la décarbonation de l’industrie française et de toute notre économie. Le texte doit être examiné en Commission mixte paritaire en octobre, dans le but d’une promulgation avant la fin de l’année.
Enfin, au niveau européen, nous avons fait des progrès importants dans la mise en œuvre de l’Union des marchés de capitaux, avec l’adoption de la révision du règlement European long term investment fund (Eltif), la révision de la directive MIF et de la plateforme de données financières et extra-financières ESAP. Une nouvelle étape de la mise en œuvre de cet agenda est la présentation, par la Commission, de la Retail investment strategy (RIS) en mai. C’est un texte dense, constitué d’un paquet de mesures visant à améliorer la protection des épargnants et leur information en matière de produits financiers afin de les faire davantage participer au marché des capitaux.
Malgré cette série de mesures, les rétrocessions ont cristallisé toutes les tensions…
Oui et l’on peut regretter que les discussions du texte aient commencé avec ce sujet, quand l’objet d’accroître la participation aux marchés de capitaux est beaucoup plus vaste que la seule question des rétrocessions. La confiance des particuliers dans les marchés financiers passe aussi par l’accès à un conseil financier de qualité. En France, notamment, les ménages ont une forte appétence pour le conseil physique, même si l’on observe un mouvement vers le numérique. L’interdiction des rétrocessions aurait provoqué une déstabilisation du système existant de distribution de produits financiers. La France soutient la neutralité de la loi européenne à l’égard du modèle de distribution des produits, qu’il soit physique ou digital, rémunéré par rétrocessions ou honoraires.
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Ce n’est pas la première fois que le sujet est abordé. Selon une étude de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de 2022, 77 % des CIF sont rémunérés exclusivement par rétrocessions, 6 % par honoraires, 17 % mêlant les deux. Leur modèle économique ne devrait-il pas être plus hybride ?
Nous pensons qu’il faut une coexistence des deux modèles et c’est ce qu’a retenu la Commission européenne dans son texte final. La rémunération uniquement par honoraires présente des risques, notamment l’exclusion des plus petits patrimoines du conseil et la diminution de la présence des réseaux d’agences sur l’ensemble du territoire. D’autres pays européens partagent cette position, comme l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. Certaines notions du texte sont intéressantes mais doivent encore faire l’objet de précisions, notamment le « value for money » et le « best interest test ». Il est important que tous les membres de l’Union s’entendent sur les notions sous-jacentes.
Dans les faits, les conseillers ont des seuils de patrimoine pour intégrer leur clientèle. Les « petits patrimoines » ne sont-ils pas déjà, de fait, exclus du conseil patrimonial ?
Pas à mon sens car ils ont accès aux conseillers de leurs réseaux bancaires ou assurantiels. Cela n’invalide pas la pertinence d’un modèle de rémunération hybride.
Quelles sont les prochaines étapes de la RIS ?
Il s’agit d’un texte extrêmement dense qui couvre un grand nombre de sujets très différents, et un long temps d’analyse a été nécessaire. Les Etats membres viennent tout juste d’entamer leurs travaux mais les discussions vont s’intensifier : l’Espagne, qui assure la présidence du Conseil jusqu’à la fin de l’année, envisage de proposer un texte retravaillé pour fin 2023. Le Parlement européen doit composer avec l’approche des élections européennes, qui le conduiront à suspendre ses travaux pendant plusieurs mois. Les parlementaires devraient chercher à arrêter une position rapidement. Au-delà des travaux des colégislateurs, la RIS est une entreprise au long cours, car la Commission européenne et les autorités européennes de supervision auront ensuite de nombreux textes d’exécution à préparer.
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Vous évoquiez la nouvelle réglementation européenne des fonds Eltif, qui entrera en vigueur en janvier prochain. Qu’en attendez-vous ?
Notre ambition est que la France devienne l’un des champions des Eltif de l’Union européenne (UE), en termes de domiciliation, gestion et commercialisation. Lors de sa présidence du Conseil de l’UE, l’année dernière, la France a fortement poussé la révision de leur règlement, dans l’objectif d’en faciliter la commercialisation. Les contraintes pour la distribution aux particuliers étaient trop importantes. On recense aujourd’hui 95 fonds agréés Eltif au niveau de l’UE, dont 21 en France. C’est peu. Nous avons, notamment, supprimé le seuil d’entrée de 10.000 euros, et étendu les possibilités d’investissement dans des actifs réels (infrastructures, immobilier). La loi industrie verte a ouvert une période de transition de deux ans pour les FPCI et FCPR. Leurs gérants pourront les transformer en Eltif sur notification à l’AMF et après information des porteurs de parts. Nous sentons une forte appétence de l’industrie et sommes confiants sur le déploiement de cette nouvelle génération de fonds alternatifs retail. Cela pourrait induire, sur le plus long terme, une réflexion sur la pertinence de la gamme de fonds français.
C’est-à-dire ?
Les Eltif étant des fonds « passeportables » dans toute l’UE, nous pensons que les gérants français pourraient les préférer aux formats de fonds nationaux. En temps voulu, il faudra sans doute réfléchir au maintien de l’ensemble des types de fonds existant actuellement.
L’ouverture des Eltif à l’immobilier se fait dans un contexte de perturbations sur le marché des SCPI…
La situation des fonds immobiliers est suivie avec attention, au premier chef par les autorités de supervision, l’AMF et l’ACPR, et par le ministère. Il faut avoir conscience que l’actualisation des valorisations de prix de parts que nous avons pu voir, et que nous continuerons sans doute à voir, s’inscrit dans un contexte d’évolution du marché sous-jacent.
Revenons à l’échelon national. La loi industrie verteintroduit l’obligation de proposer des titres non cotés dans les gestions pilotées de PER. Or, l’offre de placements de private equity pour les particuliers est critiquée, parfois pour sa qualité, souvent pour ses frais.
Je n’ai pas d’inquiétude sur la capacité de l’offre à suivre la demande. La loi industrie verte a une approche progressive : le non-coté ne représentera qu’une partie résiduelle des enveloppes en question. Elle suit un double objectif : financer les entreprises de notre territoire et contribuer à la démocratisation d’une forme d’investissement très intéressante pour les ménages. Les livrets réglementés ne les protègent pas de l’inflation (+4,8 % sur un an en août selon l’Insee, NDLR) et ce n’est de toute façon pas leur rôle. A l’inverse, les performances passées des titres non cotés, présentent des rendements supérieurs. De plus, les fonds de fonds, souvent utilisés pour le grand public, permettent une meilleure diversification que les fonds primaires. Ils complètent ainsi l’offre de produits accessibles au grand public, en constituant un véhicule plus risqué que les livrets réglementés mais aussi, potentiellement, plus rémunérateur.
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La loi industrie verte a créé le Plan avenir climat. Pourquoi cette création ?
Bruno Le Maire a souhaité répondre à une attente en faisant se rencontrer deux aspirations : celle des aînés à préparer l’entrée dans la vie active de leurs enfants, et celle des plus jeunes à transformer notre modèle économique pour le rendre plus soutenable. Le Plan n’a rien à voir avec les autres livrets. Il est très différent dans son fonctionnement et totalement complémentaire. Le Plan avenir climat comble également un besoin, car il n’existe pas de produits d’épargne accessibles spécifiquement aux mineurs, hormis le Livret jeune, qui peut très vite se retrouver plein du fait de son plafond de 1.600 euros.
Le Plan avenir climat a été adopté alors que Bercy s’est montré réticent au livret d’épargne souveraineté, proposé par des sénateurs via un amendement à la loi de programmation militaire 2024-2030. Pourquoi cette différence de position ?
Mobiliser davantage l’épargne des ménages pour financer les entreprises françaises, y compris celles qui participent le plus directement à la défense de notre souveraineté comme celles de l’armement, est une priorité des pourvois publics. Mais nous ne pouvons pas multiplier les livrets et en créer un nouveau pour chaque objectif de politique publique. En ce qui concerne celui proposé par les sénateurs, nous avions des doutes sur sa capacité à trouver son public. En effet, plus un produit est concentré sur un secteur et plus il est risqué. Se posait donc aussi la question de son adéquation à une distribution au grand public.
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Des besoins d’ajustements de certains textes sur la finance durable apparaissent déjà
Depuis janvier, les conseillers doivent intégrer les préférences ESG de leurs clients dans leurs recommandations. Leurs remontées font état de difficultés, notamment pour traduire ces aspirations en allocation. Que leur répondez-vous ?
Le cadre réglementaire sur la finance durable s’est fortement enrichi ces dernières années. Nous sommes encore dans une période de transition, qui nécessite des efforts d’adaptation importants des acteurs et fait déjà apparaître des besoins d’ajustements de certains textes afin d’assurer la cohérence d’ensemble du dispositif et son efficacité. La priorité à cet égard serait de réviser rapidement le règlement SFDR.
Les acteurs financiers bénéficieront, dans les prochaines années, de changements radicaux dans le paysage des données ESG. La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), sur laquelle un accord a été trouvé sous la présidence française du Conseil, apportera un volume très important de données ESG comparables d’une entreprise à l’autre et auditées. La récente proposition de la Commission sur les notations ESG permettra par ailleurs d’assurer la transparence sur les méthodologies employées. La proposition est en cours de négociations au Conseil. Elle est, en tous les cas, très fortement soutenue par la France. Nous mettons graduellement en place les instruments nécessaires sur l’investissement durable pour que les acteurs financiers s’en saisissent, et c’est l’Europe qui ouvre la voie !
Aucune crainte donc de voir en France le retour en arrière opéré par certaines grandes sociétés de gestion américaines sur l’ESG ?
Selon moi, non. La politisation du débat sur l’ESG aux Etats-Unis nous semble effectivement inquiétante. Nous avons toujours affirmé que nous espérions une convergence sur l’investissement responsable. La France, et l’Europe dans son ensemble, ont de grandes ambitions. Nous assumons notre trajectoire de décarbonation, en ligne avec l’Accord de Paris. C’est notre boussole ! Pour que cela fonctionne, nous devons tous avoir les mêmes indicateurs. En ce sens, nous avons demandé à la Commission européenne de définir plus clairement les articles du règlement SFDR qui définissent l’investissement responsable.
La loi encadrant les influenceursa été adoptée en juin dernier à l’unanimité par le Parlement. Etes-vous toutefois inquiet de voir les dérives se développer dans le domaine de la finance ?
Le sujet est suivi de très près par l’AMF et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La France est le premier pays européen et un des premiers pays au monde à proposer un cadre complet de régulation du secteur de l’influence commerciale. Mais, compte tenu de la nature des réseaux sociaux, l’enjeu sera ensuite d’européaniser ces règles pour renforcer la protection des ménages contre les dérives qui peuvent être opérées depuis un autre pays de l’Union. De ce point de vue, l’encadrement européen des influenceurs proposé par la Commission européenne dans la RIS est le bienvenu.
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Une meilleure culture économique et financière les protégerait également. Or, étude après étude, cette dernière est très critiquée. N’est-il pas temps que l’Etat agisse à ce niveau ?
Effectivement, et c’est d’ailleurs une des priorités de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF depuis octobre 2022. C’est un peu plus compliqué qu’il n’y paraît car on observe généralement une corrélation entre le niveau de connaissance des marchés financiers et le besoin d’engagement dans l’épargne retraite. Autrement dit, dans les pays avec un système de retraite par capitalisation, les ménages se mobilisent davantage et sont plus habitués aux marchés d’investissement. Le modèle français est différent. Toutefois, des expérimentations sont en cours dans le cadre du Service national universel et d’initiatives de la Banque de France. Une meilleure diffusion des connaissances financières ne sert pas uniquement la protection des investisseurs mais est aussi un levier pour encourager certains épargnants à investir leurs économies sur les marchés. Pour cette raison, l’éducation financière est l’une des questions couvertes par la RIS.
Quels sont les prochains chantiers du Trésor ?
Poursuivre l’Union des marchés de capitaux au niveau européen, principalement. Il existe un consensus aujourd’hui, au niveau de l’UE, sur l’objectif, mais il en manque encore sur les moyens pour y parvenir. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, souhaite que nous préparions activement l’agenda de la prochaine Commission. Nous avons déjà obtenu de belles avancées, comme la révision du règlement Elitf ou bien AIMFD, mais nous ne sommes pas encore au niveau que l’on souhaiterait.
Son parcours
Armel Castets débute à la direction générale du Trésor en 2012 et y travaille notamment sur la réglementation bancaire. En 2016, il rejoint le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) en tant qu’administrateur suppléant. Il quitte l’organisation en 2019 pour rejoindre la vice-présidence Afrique de la Banque mondiale.
Armel Castets retourne au Trésor en 2021, en tant que chef du bureau épargne et des marchés financiers. En septembre 2023, il est nommé sous-directeur par intérim financement des entreprises et marché financier à la direction générale du Trésor.
Chiffres clés :
77 % des CIF sont rémunérés exclusivement par rétrocessions, 6 % par honoraires, 17 % mêlent les deux.
95 fonds Eltif ont été agréés au niveau de l’UE, dont 21 en France.
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